1 problématique = 3 solutions (innovantes) ?
Quand on parle d’innovation en entreprise, souvent les équipes arrivent avec une solution en tête. Leur objectif est qu’on les aide à la concevoir en la questionnant (un peu) et surtout en l’améliorant. Mais ce qui semble plus efficace est de revenir à la problématique initiale et de se demander comment la résoudre. Cela peut être la solution qu’ils avaient en tête ou pas. C’est d’ailleurs rarement le cas.
Le vrai-faux cas
Chez Experteez, nous proposons alors d’utiliser la méthodologie Design Sprint qui permet à une équipe restreinte de résoudre une problématique en moins de 5 jours. Cette méthode collaborative et itérative, centrée client, est issue de Google Venture (aujourd’hui GV) et pourrait ressembler à un melting-pot de Design Thinking, d’Agile et de Lean, remarquablement efficace. Les équipes abattent un travail de fond conséquent et conçoivent alors une solution innovante. Lorsque nous formons à cette méthodologie pour que les équipes gagnent en autonomie, je prends comme fil rouge une problématique réelle. Ce que j’appelle le «vrai-faux cas». Vrai parce qu’il est issu de la vie courante et est rencontré par de nombreuses personnes. Faux, parce qu’il ne s’agit pas d’une problématique de leur entreprise et que, n’ayant pas de «donneur d’ordre», il n’y a pas d’enjeu ; au pire, la situation ne change pas, au mieux, ils auront contribué à changer le monde ;) La raison ? L’équipe se laisserait happer par le sujet au lieu de se concentrer pleinement sur la méthodologie si c’était «leur» sujet. J’ai quelques thèmes en stock que je propose à l’équipe qui vote :
- Comment faciliter l’expérience des voyageurs long courrier quant aux changes de devises pour obtenir et rendre la menue monnaie ?
- Comment améliorer l’accès aux médicaments pour les patients lors des épidémies dites saisonnières (gastro, rhume, grippes...)
- Comment développer le logement de courte durée en évitant les usages déviants qui peuvent être constatés sur Airbnb ?
Quand ça diverge...
Dans les journées qui suivent, les participants sont donc invités à tenter de comprendre la problématique (étape 1), faire de l’idéation (étape 2), co-concevoir une solution (étape 3), réaliser le prototype (étape 4) et mettre en scène des tests utilisateurs (étape 5), sur un sujet qu’on nomme le challenge.
Les participants se prennent au jeu ; ils se plongent corps et âmes dans cette tentative de résolution de problématique. Il n’y a pas de faux-semblant et, même si certains outils sont passés rapidement (car on peut manquer d’informations ou accélérer son choix par mesure de simplicité), tous les participants suivent le déroulé des étapes du Design Sprint en apportant vraiment leur expérience, leur parti-pris, leurs compétences. Ils conçoivent une solution pertinente en laquelle ils croient, qui pourrait déclencher un projet dans lequel ils s’engageraient... si c’était une problématique de leur entreprise :)
Des solutions émergentes très différentes dès la 1ère étape
Ce qui est frappant, c’est que chaque équipe arrive à des solutions totalement différentes, systématiquement. Pas une fois j’ai constaté une même piste. Non, rien de tout cela. Chaque solution conçue par l’équipe sprintée est fondamentalement différente. Et pourtant, à chaque fois, c’est le même sujet, animé par la même Sprint Master, selon la même méthodologie. C’est en cela que c’est remarquable. D’abord, égoïstement, tant mieux pour moi ; Chaque formation est une nouvelle aventure que je vis avec plaisir comme si je découvrais le challenge. Ensuite, parce que cela permet de mettre en lumière ce qui fait la force et la faiblesse de l’innovation : il n’y a jamais qu’une seule solution à une problématique. Toutes sont viables, voire potentiellement vraiment efficaces. Et, mieux, elles ne sont que rarement contradictoires ! Alors pourquoi ? A quel moment les chemins divergent-ils ?
Avec du recul, je pense que c’est surtout la première étape qui est fondamentale. Cette fameuse première journée où tout est remis à plat, les fausses-croyances disparaissent, les postulats sont challengés et les habitudes volent en éclats. D’ailleurs, même si le Design Sprint n’utilise pas ces petits objets bien connus des parents et des créatifs, je prends souvent l’exemple des Lego. À la fin de la première journée, c’est comme si chaque participant avait déconstruit ses bateaux et autres châteaux-forts de Lego et déversé sur la table la centaine de pièces de couleurs et tailles différentes. Je vous laisse imaginer l’amas en fin d'après-midi ! Alors, ils doivent reformuler la problématique. Ce challenge a été décortiqué et compris dans son contexte global, en se mettant à la place de l’utilisateur final. Les premiers changements apparaissent alors. Chaque reformulation est totalement et clairement le fruit du travail de l’équipe, et ne pourrait pas être confiée à un tiers pour la suite. Le challenge est devenu leur sujet, et ils en ont choisi un angle. Le leur. Dès la deuxième étape et jusqu’à la fin, l’équipe commence à reconstruire.
La richesse du "Travailler seul ensemble" au coeur d'une équipe pluridisciplinaire
Là encore, on ne peut que constater la force d’un des concepts que j’affectionne particulièrement dans le Design Sprint : le travailler seul ensemble. Chacun doit produire quelque chose et l’apporter au groupe et apporte de nouveau, avec l’enrichissement de la mise en commun, et ainsi de suite. Et comme l’équipe est pluridisciplinaire, ce qu’elle apporte est riche des expériences, savoirs et savoir-faire de chaque participant. Si je me permets l’analogie simpliste avec la cuisine, il ne s’agit pas ici de faire faire une sauce mayonnaise différente par équipe, parce que chacun apporterait ses ingrédients plus ou moins originaux, sa touche personnelle dans les quantités ou encore dans sa façon d’ajouter les éléments et de les mélanger. Oui, il y a des bonnes et des mauvaises mayonnaises. Ici, il s’agirait plutôt que chaque équipe apporte sa réponse à «comment pourrions-nous sublimer ce plat de légumes ? ». Une équipe créerait une sauce mayonnaise, une seconde proposerait de mixer le tout en ajoutant des épices, une troisième ajouterait de la viande tout en écartant certains légumes, et une quatrième pourrait bien inventer des diodes qui modifieraient notre goût sans rien changer au plat. Voilà, les 4 solutions répondraient bien à la question initiale. Certaines pourraient être validées par des tests de consommateurs. C’est la solution mêlant le mieux retours clients (désirabilité) + faisabilité technique et qui est viable (pour l’entreprise) qui devra être choisie. Donc à la question posée, il n’y a pas qu’une seule solution.
La preuve : 1 problématique santé / 3 résultats
Pour illustrer mes propos, voici 3 exemples de solution prototypée et testée de 3 équipes différentes sur la problématique de la santé « Comment améliorer l’accès aux médicaments pour les patients lors des épidémies dites saisonnières ? ».
L’équipe 1 a conçu un nouveau processus majeur : la livraison de médicaments. Ce service comprend la numérisation de l’ordonnance et la collecte de données personnelles dans une application en communication avec un réseau de distribution et livraison de médicaments sécurisé. Cette solution permet un accès direct aux traitements sans devoir passer systématiquement par des officines.
L’équipe 2 a proposé un changement phare dans le rôle des pharmaciens, une sorte de pharmacien augmenté. Là encore, le processus ainsi conçu nécessitait la numérisation des ordonnances et le passage par une application personnelle. Finie l’attente interminable dans l'officine où le patient, titubant de fièvre, partage ses microbes avec les clients venus acheter une crème de jour.
L’équipe 3 a proposé aussi un changement chez un des acteurs clés du système actuel, mais cette fois-ci, c’est le médecin qui a été transformé en une sorte d’hybride, un peu pharmacien et encore très médecin. Fort de sa connaissance des épidémies (grâce aux datas collectées et partagées) et des patients, il se dote des traitements-types à délivrer au moment du diagnostic confirmé.
Les 3 équipes ont posé les mêmes constats et ont travaillé avec les mêmes critères : meilleure connaissance du patient grâce à la collecte pertinente et l’analyse de datas, digitalisation du médecin avec notamment la dématérialisation de l’ordonnance, le besoin fondamental de laisser le choix, de responsabiliser le patient éclairé sur son traitement (coûts réels, ce que j’ai en stock, ce qui me soigne ou me soulage, ce que j’accepte de prendre ou pas), enfin, et surtout, la nécessité urgente de repenser l’expérience du patient dans son accès aux traitements, qui n’a pas évolué depuis quelques siècles... À l’heure de l’Intelligence Artificielle, de l’urgence du développement durable, du e-commerce international, de la carte vitale et des smartphones, il serait sage de repenser la proposition de valeur de chaque acteur de la santé, avant que d’autres ne s’engouffrent dans la brèche... Et malgré tout, 3 solutions bien différentes ont été conçues.
Remettre en cause pour mieux innover
J’ai partagé ce constat avec nos experts et nombre de nos apprenants ; nous sommes arrivés à la même conclusion : ne pas partir bille en tête sur une solution. Pouvoir être convaincus de son efficacité, oui, mais ne pas jurer que c’est la bonne, la seule, the solution. Nous risquerions de nous décevoir et de décevoir notre entourage professionnel ou nos clients. Apprendre à remettre en cause, apprendre à nous plonger dans un sujet, à plusieurs et avec les bonnes méthodes, essayer, tenter en étant suffisamment ouverts aux autres solutions. La méthodologie Design Sprint est garante du respect de cette posture. Une équipe sprintée n’a d’autre choix que de remettre en cause pour mieux innover. C’est sans doute pour cette raison qu’elle a un tel succès.
PS : Si vous êtes membre de la fédération des pharmaciens ou adhérent de l’ordre des médecins ou encore travaillant à la Sécurité sociale ou au ministère de la santé, je serais ravie de partager ces travaux avec vous ;)
Hélène Desliens - co-fondatrice de Experteez et de l'Académie Design Sprint Mentors, Sprint Master certifiée par Google.
Product Manager / Chef de projet digital - Designer UX • Service • Data/AI
5 ansL'énoncé est important et pour ma part je reconnais et apprécie la qualité du design à ce que sa solution règle plusieurs problèmes en même temps .
Spiral Dynamics Wizard - Swiss retired in Gascony
5 ansLe problème, c'est la problématique. Cette ancienne méthode de résolution de problèmes - 1 parmi tant d'autres - n'est pas faite et n'a jamais été pensée pour arriver à une solution unique.
Responsable eCommerce Ricoh France | Échangez avec moi sur le Digital 🤖!
5 ansCe qui serait intéressant de voir, c'est 3 solutions pour 3 réussites ? Ou bien si une des 3 réussit => pourquoi ?