6 principes pour réinventer son organisation
Structures matricielles à plusieurs dimensions ; multiplication des processus ; augmentation exponentielle du nombre de Key Performance Indicators (KPIs) ; inflation des comités transverses et autres groupes projet ; … Je pourrais continuer la liste sur plusieurs pages sans épuiser le sujet. Nos organisations sont devenues si compliquées que plus personne ne s’y retrouve : « Je ne sais plus qui fait quoi ; qui rapporte à qui ; à dire le vrai, je ne sais même pas exactement combien j’ai de chefs ; les attentes à mon égard sont à la fois floues et contradictoires ; en plus, ça change tout le temps ». Voilà ce que j’entends à longueur de journée chez mes clients.
Lost in Management
Résultat de cette ultra-complication : nos organisations produisent moins de la performance que de la bureaucratie ! On constate à la fois une baisse de productivité, un manque de flexibilité et, malgré la transversalité affichée, un renforcement du fonctionnement en silos et une absence de coopération dont les coûts économiques deviennent exorbitants. Sans compter les coûts social et humain qui se traduisent par un désengagement toujours plus grand des salariés, lesquels n’ont jamais été autant sur-occupés et, en même temps, sous-utilisés. Le fameux « Lost in management » de François Dupuy est une bonne synthèse de l’expérience que chacun d’entre nous fait quotidiennement sur son lieu de travail !
Nos organisations craquent de toute part ! Au même moment, les penseurs les plus clairvoyants nous avertissent : nous sommes en train de changer de monde ! Michel Serres, par exemple, soutient que le digital est une troisième révolution de même ampleur que les deux premières : le passage de l’oral à l’écrit, puis de l’écrit à l’imprimé ! Le mouvement est déjà largement amorcé, mais les principaux changements sont encore devant nous. Si nos organisations ne font déjà plus face aux enjeux d’aujourd’hui, comment pourraient-elles nous permettre de relever les défis de demain ? Impossible ! Il est donc temps de les réinventer.
Transformation des organisations
Réinventer nos organisations nécessite de les transformer ! Il ne s’agit pas de les inventer, elles existent déjà. Nous ne partons pas de la page blanche ! Deux mots clés sont ainsi au cœur de cette ambition : transformation et organisation !
Les principes et méthodes de transformation des organisations remontent au début du XXème siècle. A ce moment-là, les problèmes rencontrés par les entreprises n’étaient plus suffisamment simples pour pouvoir être résolus par le seul bon sens.
Au départ, il y a l’alignement stratégique !
Apparaissent alors les bases de la logique dite de l’alignement stratégique. Il s’agit de s’organiser pour obtenir des comportements permettant de mettre en œuvre un projet stratégique prédéfini. Le raisonnement et le cheminement de cette première logique de transformation sont simples. On se préoccupe d’abord du design de l’organisation, puis de sa mise en œuvre à travers une conduite du changement.
Le design organisationnel comporte trois temps distincts et successifs. (1) Le projet stratégique est précisé et formalisé. (2) Il est ensuite décliné dans une structure organisationnelle qui précise le rôle de chacun en apportant des réponses à deux principales questions : qui fait quoi ? qui travaille avec qui ? (3) Les contours du système de management sont enfin dessinés. Il s’agit de déterminer les moyens d’incitation et/ou de contrôle permettant d’obtenir les comportements requis par les rôles préalablement formalisés.
Une fois l’organisation « designée » autour de son nouveau projet stratégique, il convient de la mettre en œuvre en conduisant le changement. La transformation est ici appréhendée comme le passage d’une organisation A à une organisation B, passage marqué par une rupture.
La logique de l’alignement stratégique est pertinente quand on cherche à obtenir la conformité de comportements par rapport à un cadre organisationnel préalablement défini. Cela suppose des environnements relativement stables et prédictibles. Il faut en effet pouvoir déterminer le but qu’on souhaite atteindre. En outre, la durée du changement doit être inférieure à sa fréquence, sans quoi la transformation n’est pas achevée qu’il faut en amorcer une nouvelle.
Puis apparaît l’agilité organisationnelle
Quand ces conditions ne sont plus remplies, une autre logique de transformation s’impose : l’agilité organisationnelle ! Il s’agit, ici, non pas de chercher une combinaison congruente, comme dans l’alignement stratégique, mais de maximiser le potentiel combinatoire de l’organisation pour agencer et ré-agencer ses unités au gré d’évolutions rapides et pas forcément prédictibles. Comment ? En reconnaissant la valeur ajoutée organisationnelle de la logique organique (voir mon billet sur la différence entre logique mécaniste et organique) et en favorisant son développement et sa pleine expression à partir du triptyque compétences / autonomie / coopération.
Le raisonnement de l’agilité organisationnelle reste linéaire, mais son séquencement est l’inverse de celui de l’alignement stratégique. Il convient de partir de la culture en appréhendant cette dernière davantage comme une ressource et un point d’appui pour la transformation que comme un objet de changement. Il s’agit ensuite de reconstituer les interactions réelles entre les unités de base de l’organisation et de favoriser leur autonomie et leur coopération en procédant aux aménagements structurels et instrumentaux nécessaires.
La logique de l’agilité organisationnelle appréhende la transformation, non comme une rupture, mais comme un processus incrémental, plus Bottom-Up que Top-Down.
La complexité organisationnelle
Ce qui rend les environnements complexes, ce n’est pas seulement l’incertitude ou l’accélération du changement. C’est surtout leur multi-dimensionnalité qui met la contradiction et le paradoxe au cœur de l’organisation. Edgar Morin nous invite à penser la complexité de manière dialogique, c’est-à-dire en appréhendant les aspects à la fois complémentaires et antagonistes des réalités organisationnelles. Il ne faut donc pas substituer les logiques organisationnelles entre elles et encore moins les logiques de transformation. Il faut, au contraire, les combiner et les conjuguer les unes aux autres en dépassant leurs antagonismes pour tirer profit de leurs complémentarités.
Il est illusoire de penser que l’agilité organisationnelle peut se substituer à l’alignement stratégique et que, seule, elle va nous permettre de réinventer nos organisations. C’est l’erreur de l’entreprise libérée (voir mes billets sur le sujet ici et ici). Les organisations auront toujours besoin de produire de la conformité et peut-être encore plus demain qu’hier. L’alignement stratégique reste donc indispensable. Mais, dans le même temps, les organisations ont besoin de développer leur adaptabilité pour faire face à des situations évolutives, changeantes et peu prédictibles. La complexité, ce n’est pas la conformité OU l’adaptabilité. C’est la conformité ET l’adaptabilité.
6 principes d’action pour réinventer son organisation
Réinventer son organisation nécessite non plus de concevoir la transformation comme un problème de management, mais comme un sujet d’organisation. Il ne s’agit plus de s’organiser puis de se transformer pour s’organiser autrement, mais de se transformer en s’organisant et de s’organiser en se transformant.
Au-delà, une organisation complexe peut prendre des formes très différentes. Il n’y a pas, aujourd’hui, de modèle organisationnel à proprement parler. Du reste, il n’y en aura peut-être jamais. En revanche, six principes d’action permettent de réinventer son organisation pour la faire entrer dans le monde de la complexité :
- Principe N°1 : Faire de la culture l’axe principal de la transformation
- Principe N°2 : Mettre en place une double structure permettant de s’organiser et de se transformer en même temps et de manière permanente (voir mon billet sur le sujet)
- Principe N°3 : Conjuguer les logiques de transformation de base : alignement stratégique et agilité organisationnelle
- Principe N°4 : Prendre appui sur le potentiel technologique, notamment le digital (voir mon billet sur le sujet)
- Principe N°5 : Diffuser la pensée complexe au sein de l’organisation pour émanciper l’ensemble de ses membres
- Principe N°6 : Utiliser la dynamique de transformation pour mettre l’organisation en mouvement (voir mon billet sur le sujet)
Article initialement publié sur mon blog Questions de Management.
Directrice Engagements Entreprise Mutualiste à mission
8 ansMerci pour le partage . Face à une telle complexité, il appartient au top management d'offrir une vision inspirante et innovante, puis de laisser s'exprimer l'intelligence collective pour déterminer le chemin et la façon de s'organiser pour y parvenir ..Du coup comment créer les conditions pour que celle-ci s'exprime ? à mon sens c'est le véritable enjeu des nouvelles organisations .
Conseiller et formateur en leadership humaniste - Responsable de WIAL-France promoteur et formateur en Action learning
8 ansBonjour, permettez moi d'être en désaccord avec votre diagnostic et vos principes d'action proposés "pour réinventer son organisation". D'abord , une longue expérience de consultant en entreprise et d'observateur du monde des organisations me conduit à dire ,contrairement à ce que vous affirmez, que repenser intelligemment et efficacement son organisation est d'abord un problème de management avant d'être un problème de choix de structures organisationnelles… Ensuite vous semblez penser que l'objectif principal doit être "de faire entrer son organisation dans le monde de la complexité" . Pour moi au contraire l'objectif prioritaire , en tous cas pour toutes les grandes organisations, est de sortir de la complexité dans laquelle elles se sont enfermées du fait de leurs modes de management et d'organisation, très souvent sous ll'influence néfaste et aux effets pervers de cabinets conseils et autres SSII qui leur ont vendu habilement des solutions de gestion "miracles" fort coûteuses et qui créent des liens de dépendance, par ailleurs fort juteux et pérennes pour eux... Aussi, la problématique essentielle des grandes entreprises qui ressort des études sérieuses les plus récentes dans ce domaine au plan international, notamment celle du professeur Watkins de l'IMD en 2015 auprès de 300 dirigeants montre que ce qui arrive en tête de leurs préoccupations sont : 1)la simplification des processus et systèmes de gestion (73%), 2)le changement de culture de l'organisation ( 68%) Ce qui me conduit à partager votre principe no 1 mais à émettre de sérieux doutes sur vos principes no 2, no 5 et un certain scepticisme sur sur les no 3 et no 4. La priorité de la simplification à tous les niveaux est une clé de l'amélioration globale des performances : elle doit conduire à repenser toute l'organisation des tâches (en jouant notamment la carte de la décentralisation, de l'auto-organisation et de l'autonomie des équipes), ses processus de gestion et surtout de contrôle souvent aberrants et démotivants, etc.. en unmot il s'agit de sortir et d'abandonner enfin les schémas mentaux "néo tayloriens" toujours prégnants qui ont conduit à cette absurde complexité au nom de croyances aujourd'hui complètement obsolètes !
Consultant - Formateur SharePoint - Business Intelligence -Certifié IRCA ISO 27001, 9001
8 ansJ'adhère
Directrice Générale @ Groupe Pomona
8 ansMerci pour ces excellentes réflexions, en particulier les 6 principes pour réinventer son organisation. Je crois beaucoup en la double structure, mais cela nécessite d'embarquer les équipes sur le concept, et ce n'est pas une tâche aisée - en pratique, avez-vous des résultats probants à partager ?