87, c'est trop. Mais pas 92 ?

87, c'est trop. Mais pas 92 ?

Monsieur le Maire,

L'annonce de votre démission m’a touchée. Dans notre jargon journalistique, on l’explique par la « loi de proximité » (ce qui se passe près de chez vous est plus important que ce qui est lointain). Votre village, Saint-Bauzille de Putois, se situe à moins de 30 km du mien. Nous sommes donc quasi-voisins. Et votre bourg médiéval ressemble bigrement au mien : 1800 habitants vivant dans la banlieue nord plutôt chic et tranquille de Montpellier, avec petits commerces et vraie vie de village.  

L'annonce de votre démission (qui est, en fait, une menace car rien n'est effectif à cette heure) m’a touchée. Je ne signerai pas, pour autant, votre pétition de soutien. Car votre démission, vous avez eu raison de la poser !

Parce que quand on est élu de la République, on a tout d’abord des devoirs : respecter les règles et les lois. Le démantèlement de la "jungle de Calais" est une décision de l'Etat et charge était aux préfets de trouver les 12 000 places d'accueil. 

Parce que quand on est élu de la République, on en respecte la devise, gravée sur le fronton de chaque mairie : "Liberté, Egalité, FRATERNITE", dont la définition, dixit le Larousse, est  "lien de solidarité qui devrait unir tous les membres de la famille humaine". 

Pêché d'orgueil et déficit de communication

Monsieur le Maire, je vous renvoie à ce que dit votre présidente de Région, Carole Delga, dans La Dépêche : « refuser son aide est indigne ». L'Occitanie est une terre d'accueil et a connu bien des vagues migratoires qui en font la richesse aujourd'hui. Les tôles et les planches de bois de Calais sont les baraques éventrées aux mille vent des plages du Roussillon de 1936. Est-ce si difficile d'offrir quelques mètres carrés, un lit, une couverture, et un toit pour avoir chaud ?

Monsieur le Maire, soyez assuré que je vous ai lu et écouté dans tous les médias qui ont relayé votre coup de gueule (ou coup de com ?) pour vous comprendre, jusqu'au Grand Journal de Canal Plus (vers la 22e minute

Pourquoi refuser ces 87 migrants ? Parce qu'on vous l'impose, sans concertation... Entre vous et moi, n'y aurait-il pas là pêché d'orgueil ? Est-ce que cela n'aurait pas pu être réglé entre vous et Monsieur le Préfet, entre quatre yeux, sans créer une ambiance délétère proche des relents nauséabonds du Front National ?

Quel seuil de tolérance et de générosité ?

Deuxième raison invoquée : parce que "87 c'est trop". Soit. Quelle est donc votre seuil de tolérance ? 20, 30, 40 ? Je vous renvoie à la récente colère, froide et saine, de la conseillère municipale de Montpellier Clare Hart face aux élus d'extrême-droite et j'ai envie de vous dire, comme elle :  "Vous pleurez pour 87 migrants ? C'est votre niveau de générosité ?"

87 c'est trop pour 1861 habitants ? Monsieur le Maire, regardez les exemples de votre collègue d'Occitanie, du village audois de Lagrasse qui accueille 52 réfugiés pour 600 habitants ou, tout proche de là, de Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire, dont les 60 migrants ont redynamisé la vie des 360 habitants.

87 c'est trop ? Alors, comme j'aime les chiffres, je suis allée regarder la progression démographique de votre village depuis 2008. Et là, que n'ai-je découvert (mais je m'en doutais un peu) ? Selon l'INSEE, ces cinq dernières années, vous avez accueilli en moyenne 92 nouveaux habitants... N'est-ce pas un peu trop ? 

Et c'est là que l'argumentaire risque de riper. Parce que, évidemment, "ce n'est pas pareil"... Dans les médias et sur les réseaux sociaux, vos soutiens se demandent déjà "que vont faire ces migrants l'après-midi ?" et s'interrogent "où sont les enfants et les femmes ?". Que dire aussi de votre urne pour demander l'avis de votre population qui sonne comme un écho au référendum municipal sur les migrants demandé par un certain Robert Ménard à Béziers ? Que dire aussi de vos craintes de "troubles à l'ordre public" ? 

Much Ado About Nothing

Monsieur le Maire, tout ceci est soit une communication de crise mal gérée et mal maitrisés où votre message d'accueil a fini par être brouillé - ce que j'espère -, soit l'orchestration du sort de 87 migrants à des fins politiques où votre SE officiel de "sans étiquette" se cache en fait le R bleu et rouge d'un parti. 

Car, monsieur le Maire, mon petit doigt me dit que je peux continuer de vous appeler "monsieur le Maire". Vous précisez bien être "démissionnaire en l'état". Et j'ai comme l'impression que vous allez trouver un arrangement avec le préfet sur le nombre de migrants que vous tolérez d'accueillir, on pourra bientôt se dire comme Shakespeare, "beaucoup de bruits pour rien". 

PS. Réactualisation. Mercredi 25 octobre au soir, quelques heures après cette lettre virtuelle, la mairie a trouvé un "compromis" avec la préfecture pour accueillir 44 migrants au lieu de 87. Le maire n'est plus démissionnaire. CQFD

Adeline Descamps

Journaliste et rédactrice en chef Journal de la Marine marchande

8 ans

Plume d'acier...mais bien sentie as usual Merci de rappeler que la confrontation avec les autres permet d'elargir les barreaux du moi. "Apres vous" cette formule de politesse devrait être la plus belle definition de la civilisation [@ EmmanuelLevinas]

Excellent ! J'adore quand l'humour féroce mais poli sert une cause qui nous élève tous vers plus de solidarité. Et quelle clairvoyance (mais il est vrai que tout ce ramdam est cousu de fil...blanc).

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