Affaire Tesco: Communication fictive = crise de confiance garantie !
L’affaire a fait grand bruit au pays de la reine Elizabeth II. Pour promouvoir sa nouvelle gamme de produits frais dans ses rayons et enjoliver leur origine de production, l’enseigne de distribution Tesco n’a rien trouvé de mieux que d’inventer des marques de fermes anglaises qui n’existent absolument pas. L’astuce n’a pas dupé longtemps les consommateurs qui se sont aussitôt déchaînés sur les réseaux sociaux, entraînant au passage la chaîne de supermarchés dans une grosse crise médiatique et institutionnelle. Retour sur les faits et analyse.
Indéniablement, la bucolique campagne anglaise a toujours été une source d’inspiration. Surtout lorsque de surcroît, la tendance de consommer des produits agricoles locaux s’est désormais installée comme un facteur d’attractivité supplémentaire auprès des clients. Il n’en a donc pas fallu plus pour que la chaîne de grandes surfaces Tesco décide de capitaliser sur ce filon comportemental en termes d’image et de communication pour mettre en avant sa nouvelle gamme de produits alimentaires censée émaner de petites fermes familiales typiquement « so british » et aux noms fleurant bon le verdoyant paysage agricole anglais.
To be or not to be, that is the question !
C’est donc sur ce postulat marketing que les noms de « Willow farms », « Boswell farms », « Woodside farms », « Rosedene farms » (7 lieux au total) investissent le 21 mars 2016 les étagères et les rayons des magasins Tesco. Sur les affiches et les packagings vantant la viande de bœuf de « Boswell farms », les pommes de terre de « Redmere farms » ou encore les fraises de « Rosedene farms », tout laisse à penser que ces bons produits proviennent d’un exploitant agricole du coin, avec logos campagnards évocateurs et slogan à l’appui : « Exclusively at Tesco ». Ce n’est qu’en se penchant de très près sur les petits caractères des étiquettes informationnelles légales qu’on découvre alors soudainement que par exemple la fraise de Rosedene a plutôt poussé dans des serres marocaines que sur le terroir de Sa Majesté la Reine ! Si quelques produits peuvent toutefois bien se prévaloir d’une source de production anglaise, la majorité d’entre eux possède en effet des passeports aux origines planétaires bien éloignées du royaume anglais !
Face à cette communication publicitaire « subtilement » agencée, le retour de bâton n’a pourtant guère tardé. Dès le lendemain du lancement des 76 nouveaux produits exclusifs Tesco, les réseaux sociaux s’emparent du sujet et font très vertement savoir à l’enseigne leur mécontentement d’avoir été pris pour des idiots et que les fermes en question n’existent pas. Chacun y va de son tweet ironique, accusateur ou carrément dégoûté à tel point que les médias principaux se mettent rapidement à couvrir et amplifier l’affaire. BBC, The Guardian, The Independent, The Times (pour ne citer que les plus connus) mais aussi la presse spécialisée (agricole, alimentaire et marketing en tête) réprouvent les méthodes communicantes de Tesco qu’ils jugent délibérément trompeuses pour le consommateur.
Tesco reste borderline
La réaction de Tesco va néanmoins être à l’aune de cette tentative marketing très « borderline ». Loin de faire acte de contrition, de reconnaître que la provenance suggérée n’est pas très en phase avec la réalité ou même de retirer les produits au moins temporairement le temps de corriger les packagings (ceux-ci sont toujours commercialisés en magasins et en ligne), l’enseigne britannique déclare officiellement et le plus sérieusement du monde :
Nos marques ont reçues des noms de ferme pour représenter les critères de qualité auxquels chaque produit de la gamme satisfait. Chaque produit provient de fermes et d’éleveurs sélectionnés. Certains sont petits et gérés en famille. D’autres sont de taille plus grande et tous répondent à nos standards spécifiques et nos audits.
Et le community manager de Tesco ne va guère lui non plus briller par le souci d’être plus explicatif et transparent. Interpelé par les internautes, il répète alors en boucle :
Nightingale, Redmere et Rosedene ont accueilli des fermes dans le passé. Ces noms de marques ont été choisis avec nos fournisseurs.
En d’autres termes, il s’agit pour Tesco d’une polémique nulle et non avenue.
Tesco n’est certes pas la première enseigne de grande distribution à flirter avec les lignes et recourir à une certaine duplicité marketing. Un de ses féroces concurrents en Angleterre, l’allemand Aldi possède également une ligne de produits similaires sous le nom de « Ashfield farms ». D’ailleurs, d’un point de vue strictement légal, Tesco n’est pas attaquable. A aucun moment, la chaîne n’affiche par exemple une estampille « 100% produit au Royaume-Uni ». Néanmoins, l’enseigne joue dangereusement avec sa réputation. Tout d’abord parce qu’à la différence d’Aldi, Tesco communique déjà depuis plusieurs années sur sa volonté d’améliorer la transparence suite au scandale de la viande de cheval en 2013 auquel l’enseigne s’était retrouvé confrontée. Dans un communiqué de l’époque, l’entreprise clamait même : « Rien n’est plus important pour Tesco que la confiance que nos consommateurs placent en nous » ! Avec ces fermes sorties tout droit de l’imagination des marketeurs de Tesco, on peut légitimement se demander si un large coin n’a pas été justement enfoncé dans la confiance.
Ensuite, certains experts estiment que Tesco a perdu de vue (volontairement ou pas ?) des exigences consommateurs particulièrement spécifiques au segment des produits alimentaires frais et de qualité. Du fait d’un prix élevé, les acheteurs sont nettement plus attentifs à ce qu’ils achètent et attendent donc en retour un produit qui correspond point pour point à ce qui est présenté par le vendeur. Or, dans le cas de Tesco, c’est avant tout un malin discours subliminal qui laisse accréditer quelque chose que tout en n’affirmant pas clairement et en surfant sur les perceptions que des noms de fermes anglaises peuvent entretenir.
La confiance est entamée
Du côté des professionnels de l’agro-alimentaire, la pilule Tesco est rude à admettre. Présidente de Soil Association, un organisme qui promeut une agriculture durable et respectueuse de la santé, Helene Browning a la dent dure : « Les gens méritent mieux. Nous voulons de plus en plus savoir d’où vient notre nourriture. Nous voulons de l’honnêteté et de l’authenticité, pas du vernis déceptif ». Du côté des syndicats professionnels, c’est le même son de cloche. Experte de la chaîne alimentaire pour le National Farmes Union, Ruth Mason déplore : « Notre souci est que les consommateurs peuvent penser que cela vient d’une ferme britannique (…) Les noms inspirent en effet un charmant sentiment pour la marque Tesco mais ils doivent pourtant s’assurer que l’étiquetage du vrai pays d’origine est absolument clair ».
Les consommateurs ne sont plus ou ne veulent plus être dupes des artifices marketing et communicants. Tesco aurait largement pu s’économiser cette crise réputationnelle en ne jouant pas de manière ambivalente dans sacommunication produit. La preuve en est que les clients des magasins ont immédiatement débusqué l’anguille sous roche et l’ont fait massivement savoir sur les médias sociaux. Dans un contexte sociétal où la suspicion alimentaire est déjà largement partagée (et même excessivement entretenue par certains médias), Tesco a exposé sa marque et mis en péril le contrat de confiance qu’il revendique pourtant haut et fort avec ses consommateurs. Aujourd’hui, il s’avère de plus en plus risqué de s’adonner encore à la cosmétique communicante sans réels fondements à la clé !
Ce billet a originellement été publié sur le blog de Daar Communication et a été rédigé par Olivier Cimelière, président d’Heuristik Communications et auteur du Blog du Communicant.
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