Aider les autres ? À vos risques et périls !

« J’ai découvert que beaucoup de gens, après qu’on les a aidés, cherchent querelle pour se débarrasser de leur reconnaissance. » [1] Hemingway voit juste dans son observation. Moins, dans son analyse.

Une analyse, justement plus poussée, pourrait éclairer bien des dirigeants, managers, employés, souvent déconcertés (c’est même un euphémisme) devant le peu de reconnaissance de celui ou de celle qui, sans leur appui, sans leur soutien, serait aujourd’hui perdu(e). Professionnellement sûrement. Au-delà, peut-être. Parfois même « corps et biens ».

Pire, ce sont souvent ces mêmes hommes, ces mêmes femmes — c’est la même chose dans la vie privée — que vous avez aidés, sauvés peut-être, qui peuvent soudainement se montrer vos plus farouches adversaires.

La raison ? Beaucoup de personnes ne supportent pas, dans l’après coup — c’est-à-dire lorsqu’elles vont « mieux » — d’avoir un jour partagé leurs doutes, montré leurs failles, leurs faiblesses, pire parfois. Et moins encore à ceux qui les ont aidés à les surmonter. Témoins par définition de ce que ces personnes veulent désormais oublier. Détruire ceux qui les ont aidés, et reconstruire l’histoire. Révisionniste de leur propre vie, elles sont prêtes à tout... pour « effacer » les traces de leur vie d'avant.

Contrairement à ce que pense Hemingway, ces personnes ne se contentent pas seulement de nier toute cette aide dont elles ont bénéficié. C’est bien plus grave que cela. Elles veulent « tuer ». Tuer ceux qui savent. À l’amour donné, à l’amour reçu, la reconnaissance est inversement proportionnelle. Au flot d’amour reçu répond un flot de haine. Quasi inextinguible !

• Dans un cadre professionnel, vous avez donné sa chance à un collègue en le recrutant, en l’accompagnant, en l'aidant à se sortir d'une mauvaise passe... Plus tard, vous observez, médusé, que ce même collègue semble tout mettre en œuvre pour vous nuire (critiques, disqualifications, fausses rumeurs, détournement de vos propos...).
• Dans une cadre privé, vous avez aidé une personne qui connaissait de graves problèmes personnels ? Dès lors qu’elle se sent mieux, si elle en a la possibilité, réelle ou artificielle, vous devez vous rendre à l’évidence, cette même personne n’hésite pas à s’en prendre à vous.

Nuire à celui ou à celle qu’elle aurait aimé être

Vous n’êtes pas paranoïaque. Au contraire, c’est vous qui êtes la victime d’une forme de paranoïa.

Comme Lacan l’avait déjà montré — dans sa thèse en 1932 « De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité » — celui qui s’en prend à la personne qui l’a aidée, dans un moment très critique de sa vie, peut vouloir détruire cette même personne. Prendre la place de la personne qui représente son idéal du moi. En d’autres termes, la personne qu’il aurait aimé être. C’est-à-dire... vous !

[1] Jeffey Meyers (1985), Hemingway, trad. G. Hily Mane et S. Besse, Paris, Belfond, (1987).