Antilogie

Antilogie

 

A vos dictionnaires, s’amusa Jonathan. Il aurait pu leur dire ’’’contraire’’, bien entendu. Mais l’initiateur du projet, le jeune ingénieur agronome, binoclard, épaisse chevelure désordonnée, légèrement exalté, lui avait demandé de les provoquer. Afin de stimuler leur créativité. Cette première réunion du groupe, sur la plage, profitant d’une journée ensoleillée et chaude, n’incitait pas, il est vrai, à l’excitation des neurones. Une fois les consultations des smartphones terminées, il se fit donc le relais du jeune homme. Nico, expliqua-t-il, est frappé des contradictions de réalités, des oppositions d’idées, que la complexité du monde moderne génère. Et souhaite faire apparaître, avec vous, des ‘’antilogies’’, puisqu’il s’agit de ça, qui révèlent la dimension d’incertitude qui est la nôtre.

A toi maintenant, allume la mèche ! Nicolas suivit l’injonction en se levant, face aux participants, dos tourné à la mer, redevenue bleu turquoise.

En même temps que tout se complique, dans monde élargi, en ébullition, les positions politiques, les convictions religieuses, les théories sociales deviennent plus simplistes et plus radicales. C’est la première des divisions. Qui entraîne beaucoup d’autres. Qui obscurcit la perception de vérités. Par exemple : la relation entre les Etats et le marché. Quel est celui qui conduit l’autre ? Croyance commune, la crise a fait des Etats les maîtres du rétablissement économique. Erreur disent les experts. La finance internationale, via les fonds de pension, réinstalle la prédominance des lois du marché sur celles des Etats. Autre exemple : médias et culture. Une nouvelle génér@tion – il dessina le @ dans l’air - pour faire saisir l’écriture particulière du mot, tire l’étendue de ses connaissances autant, sinon plus, de tous les médias offerts par la technologie, que des parcours d’éducation. Ce qui est vrai. Mais ce qui se heurte au manque de profondeur des connaissances et des idées que seule l’éducation peut apporter aux hommes.


Jonathan s’interposa. La règle de ce jeu, c’est que chacun ajoute sa pierre pour consolider to constat.

L’avocate, secouant sa crinière brune, prit naturellement la parole. Pour mettre en regard, l’immigration et la pénurie de main d’œuvre. D’une part, de façon très générale, un discours et un comportement de contrôle au mieux, de répression le plus souvent. De l’autre un appel au secours des entreprises, limitée dans leur développement par un manque de collaborateurs, d’employés, d’ouvriers. Intervention qui propulsa immédiatement au premier rang la jeune sociologue. Justement, d’un côté, la fleur vénéneuse en France de la thématique du ‘’grand remplacement’’. Visant essentiellement la communauté arabe. De l’autre, les faits têtus. Tout calcul fait, la population immigrée en France, équivaut à 7,6% de la population totale. Contre 12,5% en Allemagne. Et sur une échelle de 10 à 16% chez nos autres voisins européens. Une troisième voix s’éleva. Celle, un peu haut placée du rondouillard expert-comptable. Le monde contemporain a franchi une barrière civilisationnelle. Rien ne peut empêcher la folie humaine, mais les grands équilibres internationaux sont désormais bien établis et garantis.        Mais il suffit de la détermination aveugle d’un des puissants du monde pour que cet équilibre, si vanté, vole par-dessus la table.


Emulation croissante, les exemples s’ajoutèrent aux exemples. Géopolitique, vérités contestables des rapports Est/Ouest, Nord /Sud. Santé, lourdeur des structures et rapidité des innovations. Education, immobilisme contre mutation. Science, clé d’évolution du monde, dépassement de l’homme. Sport, victoire du spectacle, perte de l’esprit sportif…..

Jusqu’à ce que la professeure d’anglais, réservée et digne, réclame d’orienter le défilé des cas vers le territoire commun.   Car, là aussi vaut le constat des ‘’antilogies’’. Elle préférait personnellement ‘’affrontement’’. Oppression institutionnelle contre les arabes israéliens.  Ou, au contraire, libération progressive d’une communauté bloquée dans ses traditions de toutes sortes. Ambition de ‘’faire fleurir le désert’’ contre spoliation de territoires dédiés au nomadisme et mode de vie des Bédouins. Start up nation et dichotomie minorité florissante/ majorité souffrante. Justice, garante de la démocratie contre justice sûre d’elle-même et arrogante. Etat juif et pays pour les juifs. Je pourrai poursuive l’énumération finit-elle par dire, calmement.


Le compte est bon, heureux de voir que ne sommes pas quittes ! interrompit une nouvelle fois Jonathan.

Heureux, lui, de cet emballement partagé, Nicolas proposa aux valeureux participants d’aller se rafraîchir la tête et les pieds, autre antilogie ! dit-il, au bord de l’eau. Proposition acceptée à l’unanimité et passée à exécution immédiate et joyeuse.

Hormis la prof d’anglais, svelte, droite sur son fauteuil de plage, sereine. Antilogie à elle toute seule versus cette bande bruyante et gesticulatrice.

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