SUR L’ORIGINE DE « L’HOMO OECONOMICUS »
l'homo economicus tel que représenté par Kate Raworth

SUR L’ORIGINE DE « L’HOMO OECONOMICUS »

Savez-vous d’où vient la théorie de l’Homo Economicus qui prétend que l’homme est un être uniquement rationnel, calculateur insatiable, en recherche permanente de son propre intérêt et qui sait parfaitement et prévoit parfaitement ? Kate Raworth dans son livre "la théorie du Donut" nous propose une réflexion passionnante sur l'origine du terme. Comment un modèle tronqué et caricatural de l'être humain en situation économique datant de 1770 est devenu un modèle à suivre et à imiter à partir de 1970.

ADAM SMITH PROPOSE UN PREMIER MODÈLE

Le premier a avoir ébauché cette « certaine idée de l’être humain » est Adam Smith, en 1759, via ses livres « Théorie des sentiments moraux » puis, en 1776, « La Richesse des nations ». Loin d’en faire un modèle parfait et reflétant le réel, A. Smith a simplement mis en avant que la poursuite de son intérêt personnel était de toute les vertus, « la plus avantageuse à l’individu » tout en rajoutant (cette partie-là a disparu des livres d’économie ): « Quelque force qu’on suppose à l’intérêt personnel, la constitution de l’homme referme évidemment certains principes qui l’intéressent au sort des autres, et qui lui rendent nécessaire le bonheur de ses semblables, lors même qu’il n’en retire aucun avantage que le plaisir d’en être témoin ».

La première présentation de l’hypothèse de « l’homme économique » était donc assez subtile et nuancée et ne permettait pas d'établir des règles claires sur le comportement de l'être humain dans ses "activités relatives à la production, à la distribution et à la consommation des richesses" (définition de l'économie dans le Larousse) . C’est par la suite que nous sommes tombés dans la caricature et bien au-delà.

JOHN STUART MILL GROSSIT LE TRAIT ET MODÉLISE LES COMPORTEMENTS ÉCONOMIQUES

John Stuart Mill, à la recherche de modèles économiques solides basés sur la logique et les mathématiques, lui-même inspiré par les travaux de l'utilitariste Jeremy Bentham, proposa un mode de fonctionnement de l’homme dans le cadre économique totalement stéréotypé : dans une situation économique, l'être humain cherche avant tout à maximiser ses gains par un calcul coût - bénéfice et dans une recherche constante d'accumuler toujours plus de richesse. Il indiquait d’ailleurs en 1844 que ce modèle « ne traite pas de la totalité de la nature de l’homme, ni de la totalité de la conduite de l’homme dans la société. Il ne s’occupe de l’homme qu’en tant qu’être animé du désir de posséder la richesse ».

Cette présentation de l'homme, bien qu'arbitraire et simpliste, comme l'admet lui-même son inventeur (S. Mill reconnaissait qu’il s’agissait d’une « définition arbitraire de l’homme » et que cela reposait sur des hypothèses « qui pourraient être totalement non fondées dans les faits » et s’avérer « vraies uniquement dans l’abstrait »), avait l'immense avantage de pouvoir développer des théories qui pouvait prendre en compte et modéliser les comportements humains.

LE TERME HOMO ECONOMICUS, A L'ORIGINE, UNE MOQUERIE DES TRAVAUX DE MILL

C’est un autre économiste, Charles Stanton Devas, critique de Mill qui, en 1880, l’accusa d’avoir créé un bien ridicule « homo oeconomicus » en réduisant l’homme à un simple « animal chasseur de dollars ». L’homo oeconimicus était donc à la base une moquerie et une boutade pour décrire la faiblesse de la définition des comportements humains.

Malgré la critique et les doutes émis dès le départ, cette idée de l’homme dans le champs économique continua de prospérer. Ceci s'explique sans doute par le fait qu'en postulant l’homme comme guidé uniquement par des principes utilitaristes, elle favorisait l'établissement de règles et théories économiques (équilibre de l’offre et de la demande, loi des rendements décroissants…) qui permettait de placer l’économie dans le champs des sciences dures, à l’instar de la physique, de la biologie et des mathématiques.

MILTON FRIEDMAN NOUS INVITE À NOUS DEVENIR NOTRE PROPRE CARICATURE

Jusque dans les années 70, beaucoup d'économistes reconnaissaient que cette idée de l’homme économique, bien qu’utile, était biaisée. Pourtant au lieu de rester une simple caricature, à partir des années 70, Milton Friedmann transforma ce pâle modèle de l’homme, en un modèle pour l’homme. En indiquant qu’il était préférable que les hommes se comportent comme s’ils étaient des homo oeconomicus, et ceci afin de garantir le bon fonctionnement d’une certaine idée de l'économie basée sur ce modèle. C'est vertigineux, non ?

Ainsi, la croyance propagée, répétée et instituée comme vraie, qui prône que nous sommes des « homo oeconomicus » nous aurait amené à nous comporter comme telle. L’exemple même d’une hypothèse auto-réalisatrice…

Trouver un nouveau modèle pour le XXIème (homo spiritualis, homo politicus ?) afin de mieux définir de nouvelles règles en matière économique, ne pourrait-il pas représenter un enjeux central pour nous extraire dans anciens modes de pensée et en proposer de nouveaux, plus responsables et plus pérennes ?

Merci à Kate Raworth et à son livre (passionnant ! lisez-le !) : La théorie du Donut pour avoir éclairé mes lanternes sur cette histoire.

Mathieu Maréchal

Co-fondateur de la coopérative engagée Fertilidée - chef de projet RSE, animateur Fresque du Climat et ateliers d'intelligence collective sur-mesure. 🌱🌱 Levée de fonds en cours ! 🚀

1 ans

Super intéressant, merci pour le décryptage :)

Hélène Bréant

votre atout pour une communication sans frontières (allemand, anglais, portugais)

1 ans

C'est très intéressant, en effet ! Merci Frédéric pour ce partage !

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