Antoine Glaser: «Macron veut tirer une ardoise magique sur la Françafrique»


ENTRETIEN - Le spécialiste décrypte la politique africaine du président de la République, confronté aux nouvelles réalités du continent, redevenu stratégique.

Isabelle Lasserre

Le Figaro

23/04/2021



LE FIGARO.- La mort du président tchadien Idriss Déby peut-elle déstabiliser le Sahel?

Antoine GLASER. - Oui. D’abord parce que le Tchad pourrait retirer son appui à la force Barkhane et fragiliser le dispositif français dans la région, qui s’appuie essentiellement sur N’Djamena. Ensuite parce que Idriss Déby, avec sa poigne de fer, tenait le pays. Enfin parce que la Libye est, depuis son implosion, une armurerie à ciel ouvert où évoluent, dans le Sud, des milliers de combattants tchadiens qui lancent des opérations miliaires chez son voisin. Tant que la Libye ne sera pas stabilisée, elle sera une source d’inquiétude pour le Tchad.

Emmanuel Macron mène-t-il en Afrique une politique différente de celle de ses prédécesseurs?

Oui, dans la mesure où il est le premier président qui, face à un gros bateau comme la Françafrique, avec ses autocrates et ses vieux crocodiles au pouvoir, surtout dans les anciennes colonies françaises, décide de changer de cap et d’aller vers l’Afrique anglophone, de se rapprocher du Nigeria, du Rwanda ou de l’Afrique du Sud. Emmanuel Macron est aussi le seul chef d’État français à avoir créé un Conseil présidentiel africain, le CPA, dans lequel on retrouve des premiers de cordée, des chefs d’entreprise et les intellectuels africains les plus en rupture avec la Françafrique, comme le Camerounais Achille Mbembe. Pragmatique, comprenant que l’armée française au Sahel n’est qu’un cache-misère de la présence de notre pays en Afrique, il s’est aussi tourné vers les diasporas. Enfin, il s’adresse à la jeunesse africaine, qu’il incite à bouger. Emmanuel Macron affirme qu’il faut arrêter de regarder dans le rétroviseur. Il veut tirer une ardoise magique sur la Françafrique.

A-t-il réussi?

Non, car ça ne se décrète pas. On ne change pas d’alliés du jour au lendemain. On ne change pas comme ça un système politique, militaire et financier qui a existé pendant cinquante ans. La chute du mur de Berlin, en 1989, s’est matérialisée en Europe par la réunification allemande. La fin de la guerre froide a profondément changé le destin de l’Europe. Mais elle n’a pas eu d’impact en Afrique, où les Français ont continué à agir dans leur pré carré comme s’ils étaient toujours chez eux et comme si le monde n’avait pas bougé. Il y a eu pendant longtemps une sorte d’aveuglement, encouragé par les milieux patronaux. Pour changer cela, Emmanuel Macron s’est d’abord éloigné des grands dinosaures, comme Sassou-Nguesso, le président du Congo. Mais les dinosaures lui ont rappelé qu’ils avaient le monde entier dans leurs salles d’attente et qu’il était illusoire de croire qu’on pouvait se passer d’eux. Ils lui ont aussi rappelé que l’influence diplomatique de la France repose sur deux choses: sa dissuasion nucléaire et sa politique africaine. C’est l’Afrique qui donne à la France de l’influence, et non l’Europe! En arrivant à l’Élysée, Emmanuel Macron s’est aperçu que le monde entier voulait parler d’Afrique avec lui. Il a compris qu’il avait besoin de ces autocrates. C’est ce que j’appelle le piège africain de Macron. Il voulait changer la relation de la France à l’Afrique, mais il a fini par faire comme ses prédécesseurs, qui ne pouvaient s’empêcher de vouloir gérer le monde. En janvier 2020, il a convoqué, de manière assez peu délicate, les chefs d’État africains au sommet de Pau. Un an plus tard, il s’est comporté au sommet en visioconférence de N’Djamena comme s’il était le chef du Sahel.

Ce qui intéresse Emmanuel Macron, c’est de voir ce que l’Afrique peut apporter à la France et non plus de s’occuper des affaires de l’Afrique Qui gère la politique africaine en France?

À l’Élysée, c’est le CPA. Mais ce qui est intéressant, c’est que tous ceux qui gèrent les dossiers africains, à l’Élysée, au Quai d’Orsay et dans les ambassades, sont aujourd’hui des hommes du renseignement. La plupart sont passés par la DGSE, la Direction générale de la sécurité extérieure. Au fur et à mesure que la France perd ses positions en Afrique, et donc ses connexions, elle fait monter ses hommes de l’ombre.

Finalement, que reste-t-il de la Françafrique aujourd’hui?

Elle se concentre en l’Afrique de l’Ouest, à la fois au niveau militaire et au niveau politique. La France se recroqueville. L’Afrique étant redevenue un continent stratégique, la Françafrique s’est transformée en AfricaFrance. Ce qui l’intéresse, c’est de voir ce que l’Afrique peut apporter à la France et non plus de s’occuper des affaires de l’Afrique. Emmanuel Macron est obligé de faire de la realpolitik parce que le continent s’est mondialisé. De nouvelles puissances s’y installent. La Chine, la Russie et, ce qui agace au plus haut point l’Élysée, la Turquie qui prend de plus en plus de place. On a vu il y a quelques mois Erdogan et Macky Sall, le président sénégalais, inaugurer main dans la main les travaux de l’aéroport de Dakar repris par les Turcs. Quant au Forum international de Dakar sur la sécurité en Afrique, il est organisé par la France dans un palais construit par la Turquie… À Paris, l’ambassade de Chine s’est installée dans l’hôtel de Montesquiou, qui fut jadis le ministère de la Coopération, c’est-à-dire celui de l’Afrique. C’est ça, la réalité.

Emmanuel Macron ambitionne aussi de changer les relations de la France avec le Rwanda et l’Algérie…

Dans ces deux pays, le président se place sur le terrain du symbolisme et du mémoriel. Il aime bien Kagamé, le président rwandais, et a tenté de le séduire. Mais à l’arrivée, il a fait comme ses prédécesseurs, puisqu’il lui a offert, en poussant à sa tête la Rwandaise Louise Mushikiwabo, la francophonie. Comme Chirac y avait en son temps propulsé Boutros Boutros-Ghali, l’ancien secrétaire général des Nations unies, auquel les États-Unis refusaient un second mandat. La francophonie reste une diplomatie d’influence politique. Avec le rapport Duclert sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsis, Emmanuel Macron voudrait faire du Rwanda un marqueur. Mais, malgré son activisme, ses marges de manœuvre sont limitées. C’est pareil avec l’Algérie. Il n’a jamais réutilisé l’expression de «crimes contre l’humanité» prononcée pendant la campagne électorale, qui avait fait polémique. Il a compris qu’il marchait sur des œufs et fait désormais la part des choses. Je pense que tout ce qui était disruptif dans sa politique étrangère va être mis en veilleuse à l’approche des élections de 2022.

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