Apport des options réelles dans la gestion des risques
Dans la suite des articles que j’ai consacrés à la gestion des risques dans les projets d’investissement, je propose ici de parcourir les apports d’un outil non encore très utilisé mais conceptuellement intéressant : les options réelles. Elles sont en effet un complément utile dans le processus de décision, dans la mesure où elles mettent l’accent sur l’aspect « flexibilité » de l’investissement.
Les options réelles découlent d’une transposition de la logique des options financières dans le monde des investissements réels.
Donc disons quelques mots sur les options financières pour commencer. Je les définirais comme des « assurances » négociables sur les marchés. Ces assurances portent sur les prix de différents types d’actifs (devises, actions, matière première, dettes, etc.) ; et leurs valeurs varient constamment en fonction de l’offre et de la demande, offres et demandes elles-mêmes influencées par la perception des risques de la part des acteurs en jeu.
Concrètement, une option financière donne le droit à son détenteur, moyennant le versement d’une prime, d’acheter ou de vendre une certaine quantité d’actif (appelé le sous-jacent) à un prix fixé à l’avance et à une échéance donnée (si c’est une option « européenne » ; sinon jusqu’à une échéance donnée, si c’est une option américaine).
Par analogie, une option réelle « permet à son détenteur de disposer du droit de faire ou de ne pas faire un acte futur ou, du droit de prendre ou de ne pas prendre une décision à une date future fixée » (McGrath, 1999).
Le principal apport des options réelles dans l’estimation des risques réside dans le fait s’elles permettent d’étudier certains projets d’investissement de façon dynamique, et non plus statique.
Lorsqu’un projet d’investissement est valorisé par un calcul de la VAN (Valeur Actuelle Nette), il est analysé en général dans une configuration bien précise, définie a priori, sans prendre en compte le fait qu’il peut subir des modifications par la suite.
Dans la pratique, les projets d’investissement sont rarement menés de cette manière : en entreprise, on prend souvent les décisions de façon incrémentale, en ajustent la stratégie d’investissement afin de tenir compte des informations nouvelles qui arrivent au fil du temps. Par exemple, si le projet rencontre un succès plus large qu’escompté initialement, il pourra être étendu à d’autres zones géographiques, ou à d’autres lignes de produits. Si inversement, les conditions économiques s’avèrent peu favorables, on pourra envisager un repli, voire un abandon du projet.
Cette « flexibilité managériale » face à l’aléa possède de la valeur, qui est capturée à travers la notion d’option réelle.
Plusieurs types d’options réelles ont été définis. Les plus répandues sont les suivantes :
- L’option d’expansion (ou de croissance)
- L’option d’attente (dite aussi de report ou d’apprentissage)
- L’option de développement séquentiel
- L’option d’abandon
- L’option d’échange
- L’option d’extension ou de réduction de la production
Dans leur livre "Les options réelles", Olivier Veyne et Jean-Michel Sahut proposent des méthodes de valorisation de ces options, par exemple :
L’option de croissance : L’option de croissance lie un projet actuel à des opportunités d’investissement futures. Elle apparaît quand un investissement initial dans un projet A (à T0) est requis pour se donner la possibilité de lancer plus tard (à T1) un projet B. Lors du lancement du projet A, on ne sait pas si le projet B sera ou non un succès mais on aura plus de visibilité à T1. C’est l’équivalent d’une option d’achat européenne (call) avec :
- pour actif sous-jacent : valeur actuel des cash-flows de B
- pour prix d’exercice : l’investissement supplémentaire pour réaliser B
- pour échéance : T1 – T0
L’option d’abandon : Certains projets devenus non rentables peuvent être interrompus à tout moment en générant une économie. Cette possibilité offerte de pouvoir se « rétracter » est assimilable à une option de vente (put) qui permet soit :
- de recevoir le montant issu de la revente des actifs du projet,
- soit, d’annuler les coûts liés à son maintien.
Il s’agit d’une option de vente américaine d’échéance éloignée sur une action distribuant des dividendes périodiques. La référence de base concernant ce type d’options est un article de Myers et Majd paru en 1984.
Comment tenir compte des options réelles ?
Une fois l’option identifiée, on cherche à calculer sa valeur. Ensuite, au lieu d’utiliser la VAN, on va utiliser la VANA (valeur actuelle nette augmentée) appelée parfois la VANE (valeur actuelle nette élargie) :
VANA = VAN + valeur de l’option
Cette formule est valable pour tout type d’options à l’exception des options de report, où l’on ne calcule pas de VANA.
On réalise le projet si la VANA est positive même si la VAN est négative.
Pour les options de report, on réalise le projet si sa VAN est supérieure à la valeur de l’option.
Pour calculer la valeur de l’option, on peut procèder par analogie avec les options financières en utilisant un des modèles de valorisation en temps continu comme le modèle de Black & Scholes, ou un des modèles de valorisation en temps discret, comme celui de Cox-Ross-Rubinstein.
Les limites des options réelles
La difficulté à valoriser (et surtout à expliquer aux décideurs la façon de valoriser) les options réelles me semble être un vrai frein à leur utilisation généralisée.
Toutefois, il y a au moins trois secteurs où leur intérêt est manifeste : le secteur pétrolier (activités amont d’exploration et de production), le secteur de l’énergie (trading de l’électricité), le secteur de la pharmacie et des biotechnologies (pilotage des programmes de R&D, négociation pour l’achat et la vente de sociétés ou de licences).
Cet intérêt provient de la combinaison d’une forte intensité capitalistique et d’un niveau d’incertitude élevé concernant la rentabilité des projets d’investissement, lié souvent à une incertitude sur le prix de l’actif sous-jacent.
Et même s’il reste clair que tous les investissements ne présentent pas des options réelles, je crois qu’examiner leur existence est un complément utile pour évaluer l’intérêt d’un projet stratégique, ne serait-ce que de manière qualitative.