Après la rupture consommée des accords de défense entre le Tchad et la France, d'autres types de coopérations gagnant-gagnant sont possibles.

Après la rupture consommée des accords de défense entre le Tchad et la France, d'autres types de coopérations gagnant-gagnant sont possibles.

 

I- Les enjeux de la rupture de coopération militaire franco-tchadienne

 

« Le Tchad est le point central de la France en Afrique » [1]


Vaste territoire d’Afrique centrale partagé entre trois grands Empires : le Baguirmi, le Ouaddaï et le Kanem-Bornou et quelques petites et moyennes chefferies et principautés au Sud : Pays Sara, Moundang, Toupouri etc. par la force des armes la France arrive à conquérir et contrôler le Tchad vers la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle en 1900. Première colonie africaine sous la direction du Gouverneur de l’Afrique équatoriale française (AEF) Félix EBOUE à répondre à l’appel du 18 juin 1940 lancé par le Général de GAULLE depuis Londres, les troupes tchadiennes d’alors se dissimulent avec les tirailleurs sénégalais et forment la colonne Leclerc et participent à la Seconde guerre mondiale aux côtés des Alliés contre les forces de l’Axe. Lors de la Conférence de Brazzaville en 1944 à la différence de la Guinée Sékou TOURE, le Tchad opte pour l’indépendance tout en restant rattaché à la France.

 

Proclamé République le 28 novembre 1958, le Tchad obtient son indépendance le 11 août 1960 à l’exception des trois provinces du Nord, Borkou, Ennedi et Tibesti (le BET), qui demeurent sous administration française jusqu’en 1965[2]. Cinq jours après l’indépendance le premier Président de la toute jeune République François N’Garta TOMBALBAYE signe deux accords de défense dit "d’assistance militaire technique" avec la France : le 1er, le 15 août 1960 et le 2nd, le 19 mai 1964.

Le pays est alors pacifié mais il est fragile, car ethniquement hétérogène. Cette hétérogénéité ne joue pas en faveur de la cohésion nationale, ni à animer une fibre patriotique. Dans la décennie qui suit l’obtention de l’indépendance, des révoltes et des jacqueries éclatent. Dès juin 1966 le Front de libération nationale du Tchad (FROLINAT) est un mouvement de lutte armée fut créé au Soudan, il a pour objectif de renverser le Président TOMBALBAYE, dans le cadre des accords de défense celui-ci fait appel à la France.

La France déclenche l’Opération militaire Limousin en 1969-1971 dans le but de contrer le FROLINAT. Depuis lors tous les présidents tchadiens usent de ces accords en cas de menaces internes ou externes, il s’agit des opérations suivantes : Opération Bison 1972, Opération Tacaud 1980, Opération Manta 1983, Opération Epervier 1986 jusqu’aux récentes interventions contre les colonnes des rebelles de l’Union des forces de la résistance (UFR) en septembre 2019[3] et l’intervention des mirages 2000 français contre l’avancée vers N’Djamena du groupe rebelle le Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT) en avril 2021[4]. Est-ce que ces accords de défense sont-ils devenus caduques à l’ère de la mondialisation ?

Le Gouvernement Tchadien décide par un communiqué officiel signé par le Ministre d’Etat, Ministre des Affaires Etrangères, de l’Intégration Africaine, des Tchadiens de l’étranger et de la coopération internationale, Porte-parole du Gouvernement Abderaman KOULAMALLAH de rompre cette coopération militaire datant de près de 66 ans le 28 novembre 2024 par ces termes « le Gouvernement de la République du Tchad informe l’opinion nationale et internationale de sa décision de mettre fin à l’accord de coopération en matière de défense signé avec la République française révisé date du 5 septembre 2019, visant à renforcer la coopération en matière de sécurité et de défense entre les deux nations[5] »

Toutefois, le Gouvernement Tchadien ne rompt pas toutes ses relations bilatérales qui le lient à la France. Il précise dans son communiqué de presse « le Gouvernement tient à souligner que cette décision ne remet en aucun cas en question les relations historiques et les liens d’amitié entre les deux nations. Le Tchad reste déterminé à entretenir des relations constructives avec la France dans d’autres domaines d’intérêt commun, au bénéfice des deux peuples[6]».

Le 1er décembre 2024, lors de son allocution à la nation tchadienne le Président de la République du Tchad Mahamat IDRISS DEBY évoquant la rupture de l’accord militaire il mentionne ceci « cette décision de rupture ne constitue-t-elle en aucun cas un rejet de la coopération internationale ou une remise en question de nos relations diplomatiques avec la France. Nous restons ouverts à des échanges constructifs avec l’ensemble de nos partenaires y compris la France[7] »  

À travers le communiqué de presse du 28 novembre 2024 et le discours du président tchadien, la France pourrait saisir un avantage comparatif sur le plan économique et le Tchad à son tour pourrait redéfinir ses priorités nationales afin de nouer des partenariats stratégiques dans plusieurs secteurs clés pour y tirer profit et aider le Tchad à se développer.

« Aller à l'idéal et comprendre le réel[8] ».

 

II-  Quelques propositions pour le renforcement de la coopération franco-tchadienne dans divers secteurs stratégiques.

 

Les prémisses de nouvelles formes de coopération entre les deux pays existent, pour certains secteurs, il va falloir les repenser et pour d’autres les créer ou les étendre.


 1. Economique et sociale : les exportations françaises vers le Tchad ont diminué sur la période 2012-2022, mais sont en hausse en 2023 (+47%) et se chiffrent à 117,2 millions d’euros. Dans le même temps, les importations sont en hausse depuis 2019 (+54% par an) et se chiffrent à 431,7 millions d’euros, portées par l’importations d’hydrocarbures[9]. Ainsi, la part des investissements directs étrangers (IDE) de la France au Tchad ne représente que 111 millions d’euros en 2019 (dernière donnée disponible), un niveau inférieur à celui du début des années 2000 (autour de 180 millions d’euros)[10]

  • Renforcer la coopération entre la Direction de la diplomatie économique du ministère des affaires étrangères français et les services du ministère du commerce et de l'industrie tchadien pour étudier les leviers d’augmentation des importations et exportations entre les deux pays ;
  • Réanimer la diplomatie économique en augmentant le stock des IDE français au Tchad ;
  • Orienter les IDE français au Tchad vers les secteurs primaire et secondaire en implantant des industries de transformation de matières premières issues d’agriculture, d’élevage, pêche, ressources minières et fossiles etc. ;
  • Faire participer les géants français de l’agroalimentaire dans le secteur de l’agriculture, élevage, pêche etc. ;
  • Renforcer la coopération entre le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et le Conseil national du patronat tchadien (CNPT) par l’organisation des Assises ou Rencontres à intervalle régulier n’excédant pas une année pour des échanges sur des thèmes économiques secteur par secteur.


2. Développement : le Tchad est enclavé, n’a pas accès à la mer et ne dispose pas suffisamment des routes bitumées et des moyens de transports internes et externes modernes. Ce handicap pourrait offrir des débouchés aux entreprises françaises comme Alstom, Bouygues, Eiffage etc. de gagner de parts de marchés pour la construction des chemins de fer, des routes, bâtiments etc. à l’instar des marchés remportés au Sénégal et au Maroc.

  • Faire participer les multinationales françaises dans les parts de marchés dans les divers secteurs du développement du Tchad ;
  • Créer un partenariat entre Tchadia Airlines et Air-France.


3. Académique : il est à noter que chaque année la France accueil des étudiants Tchadiens dans son système éducatif via Campus France ou d'autres canaux, même si le nombre de ces derniers en France demeure faible par rapport au nombre des étudiants Ouest-africains.

  • Renforcer le partenariat entre le ministère de l’enseignement supérieur du Tchad et la Délégation aux affaires européennes et internationales du ministère de l’enseignement supérieur français ;
  • Encourager les Universités françaises à créer des écoles ou instituts dans les facultés tchadiennes à l’instar de l’Ecole de Droit de la Sorbonne au Caire-IDAI ou encore des partenariats entre les Grandes écoles : Ecole normale supérieure du Tchad et les Ecoles normales supérieures françaises, l’Institut Universitaire Polytechnique de Mongo avec les écoles Polytechniques de France, l’Institut supérieur des arts et métiers de Biltine avec le Conservatoire national des arts et des métiers (CNAM) en France avec des échanges semestriels entre les étudiants ;
  • Etendre le type de partenariat entre l’Ecole nationale d’administration (ENA) du Tchad et l’Institut national du service public (INSP) à toutes les écoles d’ingénieur et du service public.


4. Scientifique : cette coopération offre au Tchad une opportunité pour étoffer son programme et la qualité de son enseignement supérieur et la formation professionnelle dans le cadre de la santé, l’éducation, emploi et l’alimentation.

  • Créer et/ou renforcer les partenariats gagnant-gagnant entre les laboratoires de recherches scientifiques français et tchadiens dans le cadre des intérêts communs ;
  • Affecter les enseignants Français du supérieur à dispenser des cours dans les domaines spécifiques par semestre au Tchad et les enseignants Tchadiens dans les écoles et universités françaises.  


5. Technologique : le Tchad pourrait en bénéficier de l’expertise technologique française et la France pourrait y gagner.

  •  Créer et/ou renforcer le partenariat entre la Société Tchadienne des Eaux (STE) et Suez dans le cadre des traitements des déchets et la redistribution des eaux dans toute l’étendue du territoire tchadien ;
  • Créer et/ou renforcer le partenariat entre la Société nationale d’électricité (SNE) et EDF et Véolia pour la production de l’énergie bas carbone et l’électrification de toute l’étendue du territoire tchadien avec la construction des nucléaires civils ;
  • La STE doit signer un contrat pour le traitement des déchets et redistribution des eaux avec Véolia et Suez ;
  • La SNE doit signer un contrat pour la construction des nucléaires civils avec les multinationales françaises EDF, Orano, Andra, CEA, IRSN, ASN à l’instar du Burkina[11] et du Mali[12] avec la société russe ROSATOM.

6. Administrative : le Tchad bénéficie de l’expertise des coopérants techniques dans le cadre des différents projets financés par la France au Tchad et même dans les administrations tchadiennes. L’administration tchadienne pourrait toujours s’inspirer de l’administration française pour se réformer, se moderniser par la numérisation, mettre en place et évaluer ses politiques publiques, lutter contre la corruption et reformer son système fiscal.

  •  Créer et/ou renforcer le partenariat entre les services du ministère de la Fonction Publique et du Dialogue Social du Tchad, le ministère de l’Administration du Territoire du Tchad avec le Comité Interministériel de la Transformation Publique (CITP) français ;
  • Créer et/ou renforcer le partenariat entre les services du ministère des Communications, de l’Economie numérique et de la Digitalisation de l’Administration et la direction interministérielle du numérique (DINUM) français ;
  • Créer et/ou renforcer le partenariat avec tous les organismes d’inspection, d’évaluation et de contrôle français et les organismes ad hoc de l’administration tchadienne ;
  • Créer et/ou renforcer le partenariat entre la la Direction de la sécurité sociale (DSS) française et les services des ministères sociaux tchadiens, la Caisse nationale de la prévoyance sociale (CNPS) pour une extension de la couverture sociale à tous les Tchadiens sans distinction de catégorie sociale ;
  • Renforcer le partenariat entre les services des ministères économiques et financiers des deux pays pour une réforme complète ou évolution du régime fiscal au Tchad.

7. Décentralisée : la coopération décentralisée créée le rapprochement entre les nations, ce type de coopération doit être renforcée pour celle qui existe entre les villes sœurs à l’instar de N’Djamena et Toulouse, elle doit être créée pour les autres villes.

  •  Faire du jumelage entre les villes un point phare dans le renforcement de la coopération entre les deux nations ;
  • Organiser des colonies de vacances entre les jeunes des villes jumelées avec des visites guidées en France et au Tchad ;
  • Organiser des visites de travail entre les administrations municipales des villes jumelées.



Les besoins du Tchad en matière du développement peuvent être une opportunité économique pour la France, le Tchad doit définir ses priorités et c’est à la France de saisir cette opportunité pour nouer des coopérations stratégiques, dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant qui sera au bénéfice des deux nations. La France et le Tchad peuvent s’appuyer sur l’expertise et la connaissance du terrain des Alumni Tchadiens ayant étudié en France pour bâtir de nouvelles formes de coopération.

 

Hassan Ahmat Djamaladine

Diplômé de Master II en Administration publique de l' Institut d'Etudes Politiques de Fontainebleau intéressé par la dynamique des relations franco-tchadiennes.

Présidence de la République du Tchad Présidence de la République


[1] Claude SILBERZAHN Préfet et ancien Directeur de la DGSE (1935-2020)

[2] La France en Guerre Au Tchad 1969-1972 - La Victoire Oubliée Michèle GOYA Colonel et historien militaire français.

[3] Tchad : qui sont les principaux groupes rebelles ? | TV5MONDE - Informations

[4] FACT : qui sont les rebelles tchadiens et que veulent-ils ? - BBC News Afrique

[5] Communiqué de presse n°05354/MAEIACITE/DC/2024 du 28 novembre 2024

[6] Ibidem

[7] 𝐏𝐑𝐄𝐒𝐈𝐃𝐄𝐍𝐂𝐄 𝐃𝐄 𝐋𝐀 𝐑𝐄𝐏𝐔𝐁𝐋𝐈𝐐𝐔𝐄

[8] Jean JAURES Homme politique, Socialiste français (1859 - 1914)

[9] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/tchad/relations-bilaterales/#:~:text=Les%20exportations%20fran%C3%A7aises%20vers%20le,l'importations%20d'hydrocarbures.

[10] Ibidem

[11] Burkina Faso : 3 accords signés avec la Russie pour des projets de centrale nucléaire

[12] La Russie et le Mali décident de coopérer sur le nucléaire civil | TV5MONDE - Informations

ISSA ADOUM YACOUB

Étudiant en Master 2 Sciences politiques parcours études stratégiques et Relations internationales

3 sem.

Merci d’avoir partagé ! Une analyse très pertinente. Ça mérite d’être partagé par nos autorités administratives.

Hamid Abdessit Mahamat 🇹🇩

Diplômé en science politique et relations internationales,avec un Master 1 en Diplomatie et Géostratégie de l'Institut Supérieur de Management (ISM) de Dakar.Passionné par les enjeux géopolitiques et la coopération.

3 sem.

Merci pour votre contribution frère Hassan Ahmat Djamaladine 👏👏 😍C'est un sujet crucial et j'apprécie vos propositions pour un partenariat gagnant-gagnant. Il est essentiel de réfléchir à de nouvelles collaborations qui bénéficient à nos deux pays. J'aimerais beaucoup en savoir plus sur vos idées et comment nous pourrions avancer ensemble dans la bonne direction !

Ali Tidjani

Auditeur Financier chez Natixis Algérie

3 sem.

Tes propositions en matière d'enseignement son bonne mais économiquement tout les entreprises françaises présente sur notre sol tel que : Total, Air France, Bolloré transport, Novotel la tchadienne, ect... paie leur taxe en France et non au Tchad donc il faut une révision globale de cette partenariat surtout économiquement.

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