L’armée turque s’éloigne de ses partenaires occidentaux

L’armée turque s’éloigne de ses partenaires occidentaux

Source : LE MONDE N° 22735| 14/02/2018 à 11h01 ; édité le jeudi 15 février 2018 page 3|

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/02/14/l-armee-turque-s-eloigne-de-ses-partenaires-occidentaux_5256667_3218.html

 Par Marie JÉGO (Istanbul, correspondante) et Nathalie GUIBERT

Deuxième contingent de l’OTAN, les militaires turcs ont accentué le tournant conservateur et anti-occidental après le putsch raté de 2016.

Engagée, depuis le coup d’État manqué du 15 juillet 2016, dans un bras de fer permanent avec ses alliés traditionnels, la Turquie est devenue un partenaire difficile à déchiffrer. Vues depuis le quartier général de l’OTAN à Bruxelles, les gesticulations du président Recep Tayyip Erdoğan ne doivent pas être prises au pied de la lettre. « Les Turcs restent investis dans les dossiers de l’Alliance, explique une source au sein de l’organisation. Les choses ne sont pas simples au quotidien, mais chacun sait que la présence de la Turquie dans l’alliance est un grand facteur de stabilité, et le président Erdoğan est obligé de tenir compte de l’OTAN. »

  Si l’attachement aux fondamentaux reste présent dans le discours officiel, force est de constater que la Turquie n’est plus pro-occidentale. Deuxième contingent de l’Alliance atlantique, l’armée turque est le laboratoire de ce changement de cap. Après la tentative de putsch du 15 juillet 2016, M. Recep Tayyip Erdoğan a mis les militaires au pas, limogeant 149 généraux sur 358, tandis que 10 840 officiers et soldats étaient débarqués. La purge a été drastique au sein des structures de l’OTAN, avec 400 attachés militaires turcs en poste à l’étranger pour l’Alliance atlantique relevés de leurs fonctions et rappelés en Turquie.

  La plupart ont demandé et obtenu l’asile politique dans les pays où ils étaient basés, ce qui a ulcéré Ankara. Accusés d’être des adeptes du prédicateur Fethullah Gülen, le cerveau du putsch selon les autorités turques, ces officiers étaient pro-occidentaux et parfaitement au courant des rouages de l’Alliance atlantique. Leur mise à pied a été déplorée, notamment par le général Curtis Scaparrotti, le commandant en chef de l’OTAN pour l’Europe. Ils n’auraient été remplacés qu’à 40 %.

 « Schéma de pensée »

  Avec les États-Unis, les relations sont à couteaux tirés. Autrefois, l’état-major envoyait des officiers turcs en formation au National War College de Washington. Or, « depuis deux ans, Ankara n’envoie plus d’officiers, il y a une crise de confiance entre les deux alliés », indique Omer Taspinar, qui enseigne dans cette académie militaire. La crise, souligne-t-il est antérieur au putsch raté : « Déjà entre 2006 et 2015, la plupart des officiers passés par l’académie ne voulaient pas être perçus par Ankara comme étant trop pro Américains, ce genre de perception pouvant avoir un effet négatif sur leur réputation. »

 La tentative de coup d’État et la dégradation des relations avec Washington, due à sa coopération avec les Kurdes syriens proches du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), l’ennemi juré d’Ankara, n’ont fait que renforcer la dynamique antiaméricaine au sein de l’armée turque.

 Juste après le putsch raté, le président Erdoğan a pris pour conseiller principal Adnan Tanriverdi, un général précédemment versé dans la réserve pour ses vues conservatrices et islamistes. Mission lui a désormais été donnée de restructurer l’armée décimée par les purges. Les officiers écartés ont été remplacés par de nouvelles recrues réputées proches du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) ou encore par des partisans du courant « eurasien » favorable au rapprochement avec la Russie.

 En mai 2017, Aydinlik, l’organe de presse du parti Vatan (« patrie », la formation politique des « eurasiens »), expliquait que 30 % des candidats reçus à l’académie militaire d’Istanbul avaient été recommandés par des représentants régionaux du parti au pouvoir. Selon Omer Taspinar, qui est aussi chercheur à la Brookings Institution, « la nouvelle alliance entre Erdoğan, l’armée et les milieux nationalistes est fondamentale pour comprendre son schéma de pensée. Il faut le voir, selon moi, comme l’affirmation d’une sorte de gaullisme à la turque ».

 M. Recep Tayyip Erdoğan, qui se fait désormais appeler « commandant en chef », entend traiter d’égal à égal avec les États-Unis. « À mes yeux, l’OTAN n’est pas synonyme des États-Unis, chacun des pays membres a le même poids qu’eux », a-t-il martelé, mardi 13 février 2018, lors de la réunion de groupe de l’AKP au Parlement. La Turquie, a-t-il expliqué, est déterminée à défendre « les droits que lui confère l’histoire, les accords et le droit international ». ces droits, estime-t-il, sont les mêmes « en mer Egée et à Chypre qu’à Afrin », dans le nord de la Syrie.

 Par Marie JÉGO et Nathalie GUIBERT.


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