Armée à vendre : les sociétés militaires privées, mercenaires des temps modernes.
Dans la deuxième moitié du XXe s., le monde militaire a vu renaître un genre bien connu de combattant : le mercenaire. Ce métier, aussi vieux que la guerre elle-même, fut de tout temps considéré par les États comme un mal nécessaire dans leur stratégie internationale. Alors que le recours à ce néo-mercenariat est de plus en plus commun, des bavures récurrentes posent question sur son rôle vis-à-vis de l’État. Le néo-mercenariat est-il une réponse à une guerre nouvelle où il faut faire « vite et pas cher » ? Quel rôle le mercenariat prend-il au sein de l’État ? La guerre est-elle un marché économique comme les autres ?
Selon les termes utilisés, il n’est plus question aujourd’hui de « mercenaire » mais bien de « free-lance » ou de « contractors » travaillant au sein des SMP, les sociétés militaires privées. Ces organismes internationaux doivent être distingués des sociétés de sécurité privées : les théâtres d’opérations des SMP s’étendent principalement aux conflits armés ou zones de guerre, bien loin du gardiennage ou de la protection de transfert de fonds. On peut également relever une différence entre mercenaires et contractors : le mercenaire est un individu, ancien soldat, qui vend ses services à un employeur ; les contractors, quant à eux, sont directement employés par une société commerciale qui fournit des services dans le domaine de la sécurité ou de la défense. Bien que cette précision puisse sembler minime, elle permet aux SMP de bénéficier d’un vide juridique très important et sur lequel nous reviendrons.
L’usage des SMP : Une pratique plusieurs fois centenaire
Il faut retourner à la Renaissance italienne pour trouver la plus proche ressemblance avec ces SMP. Durant les guerres qui ravagent l’Italie entre le XIVe et XVIe s., des généraux et leurs armées vendent leurs services aux villes réclamant protection ou soutien militaire. Les condotierri louent les services de soldats presque professionnels à des cités riches mais sans armées régulières. Ces « lances libres » sont notamment à l’origine du terme moderne de « free-lance ».les réponses à ces questions semblent aussi nébuleuses que ces armées privées.
Après la chute de l’URSS, le budget militaire des États subit des coupes drastiques et de nombreux soldats sont démobilisés. Le monde tend à se globaliser et les guerres dites classiques laissent la place à des conflits asymétriques entre groupes armées ou civils. C’est dans ce contexte particulier que d’anciens militaires vont créer des entreprises internationales de sécurité, chargées dans une premier temps de protéger des lieux sensibles en régions instables (ex : les puits de pétrole en Angola sécurisés par Executive Outcomes).
Les SMP vont petit à petit étendre leur domaine de compétence : on commence à voir apparaître des contrats de soutien linguistique, de maintien de la paix, de support logistique, de conseil tactique ou encore de formation de personnel. En somme, de très nombreuses missions que l’armée abandonne faute de moyens et d’hommes. Certaines de ces SMP vont jusqu’à proposer des services normalement monopoles d’État : services de renseignements, interventions militaires offensives ou interrogatoires de prisonniers.
Un deuxième souffle du mercenariat en ce nouveau millénaire
Début des années 2000 et jusqu’à la fin de la 2e guerre d’Irak, le nombre de ces sociétés militaires privées va exploser. On peut parler d’une véritable révolution dans l’utilisation des SMP lorsque le ratio de contractors en Irak passe de 1 pour 10 soldats américains en 2003, à plus de 1 pour 1 fin 20091. L’engagement du privé continuera avec les combats en Afghanistan, en Colombie, dans les Balkans, en Côte d’Ivoire ou encore récemment en Syrie ou au Venezuela.
Ce nouveau commerce de la guerre devient donc très profitable avec un marché estimé à près de 200 milliards de dollars.
Cependant, le marché de la guerre ne bénéficie pas d’une image enviable : bavures, sentiment d’impunité, trafics d’armes, intérêts économiques ont tendance à devenir monnaie courante. Le rôle obscur des SMP dans les relations internationales inquiète également.
Blackwater : dérives de l’armée privée en Irak
Une société semble être le symbole de ces dérives : la bien connue Blackwater. Avant d’être renommée Academi, cette société privée fondée par Erik Prince en 1996 à Moyock (Caroline du Nord) fut une des premières SMP à être médiatisée. Blackwater fait figure de pionnière dans le domaine de la sécurité militaire privée avec de très nombreux contrats de protection de sites militaires, d’aide logistique, etc. Son fondateur, Erik Prince, décroche ces contrats (et ce sans appel d’offre préalable) grâce à ses relations au sein du gouvernement Bush entre 2003 et 2005. Il considère que sa société est un mélange des meilleures pratiques commerciales associées à l’esprit commando. L’intervention de Blackwater en Irak va créer plusieurs scandales qui mettront fin à l’aventure d’Erik Prince. Parmi les bavures, les célèbres photos de la prison d’Abu Grahib (sous contrôle de CACI International) ou encore le massacre de la place Nissour (2007) au cours duquel 17 civils irakiens perdront la vie. Ces évènements auront une résonance internationale et engendreront les premières réglementations : comme par exemple le respect des Droits de l’Homme (interdiction de la torture, de la traite d’êtres humains,…) ou encore certaines dispositions concernant l’embauche et l’élaboration des contrats du personnel. L’ambassadeur américain en Irak, J. Wilson, intervint sur Blackwater en des termes sans ambiguïté : « L’histoire de cette entreprise de mercenaires démontre clairement les graves dangers qu’entraîne la sous-traitance de l’usage de la force qui est monopole d’État ».
D’autres incidents extérieurs à Blackwater seront également observés : plusieurs trafics d’armes, divers contrats d’entraînement avec des groupes comme l’UCK (pendant longtemps considéré comme terroriste), des incidents avec les forces de l’ordre,…
Les SMP incompatibles avec le droit?
C’est donc en 2008 que l’accord de Montreux sur les SMP va être ratifié. Les sociétés militaires privées bénéficiaient d’un flou juridique sur leur statut : elles ne sont ni des civils, ni des militaires et ne sont presque jamais jugées lorsque des bavures sont commises en opération. Les contractors, pour l’essentiel d’anciens militaires attirés par des salaires intéressants et la perspective d’aventure, correspondent en tous points au statut de mercenaire mais ne peuvent être considérés comme tels. L’accord de 2008 remplit ce vide juridique à l’origine du manque de sanctions. Il oblige à respecter un code de conduite pour les pays commanditaires des SMP mais également les pays où les SMP possèdent leurs sièges d’entreprises et enfin les lieux où les SMP opèrent. Malgré une nécessité croissante de réglementations, peu de pays ont signé cet accord. On peut l’expliquer par le lobbying exercé par les entreprises afin de limiter toutes les réglementations contraignantes (sous couvert de la liberté commerciale).
Le succès des SMP est facilement identifiable à plusieurs facteurs. Premièrement, la capacité opérationnelle des États a été largement réduite, tant financièrement qu’humainement avec des armées plus petites et moins de moyens. Les SMP permettent donc de fournir des hommes entraînés qu’il ne faut payer que le temps de leur utilisation, sans le coût de leur formation ou de leur retraite comme pour des troupes conventionnelles. De plus, les contractors permettent de répondre à des activités bien spécifiques avec des compétences multiples qui auraient nécessité parfois des années de formation.
Le mercenariat comme outil de guerre asymétrique?
Le fait que les conflits asymétriques demandent une souplesse opérationnelle explique également l’usage bientôt systématique des free-lances. Les SMP ont une variété de compétences et une liberté bien plus importante que les armées des démocraties occidentales : aucun contrôle, peu de regard de l’opinion publique, relative discrétion, peu de résonance médiatique lors de décès au combat… Ainsi les SMP permettent aux États occidentaux de continuer des opérations aux objectifs obscurs ou difficilement justifiables vis-à-vis de leur opinion publique.
Ces atouts indéniables ne sont pourtant pas dénués de désavantages : outre les bavures évoquées précédemment, la proximité entre les responsables de ces sociétés et les politiques gouvernants reste problématique. Les hauts-cadres des SMP sont en effet souvent issus des ministères de la défense ou du renseignement et entretiennent des liens étroits avec leurs anciens collègues. Or, les intérêts financiers des entreprises sont en jeu puisque la longévité de la guerre détermine la longévité du contrat. On pourrait évoquer Erik Prince qui fut un généreux donateur du parti républicain, dont il partage les idées de l’aile radicale. Il y développa des liens qui firent la richesse de Blackwater, et la sienne, parfois à l’encontre des intérêts américains.
Alors que ces entreprises militaires répondent effectivement à une demande croissante, le monopole de la violence, principe fondateur de l’État moderne, semble être de plus en plus contesté. Alors que les SMP sont peut-être les armées de demain, leurs intérêts mystérieux, leurs méthodes et le manque de cadre qui les caractérisent posent de plus en plus question.
Conseiller sécurité / logistique
6 ansArticle intéressant..
Bonjour, merci pour cet article très intéressant ! #RouxDidier auriez-vous des livres à recommander sur ce sujet, notamment en ce qui concerne le mercenariat ou les sociétés militaires privées ? Par avance merci.
Business Development Manager @ EUROtrade S.A. | International Business
6 ansMerci pour cet article. Très intéressant et très éducatif, pour moi qui ignore tant de choses sur les SMP. Ca ouvre les yeux!
Independant
6 ansLes chinois s’y mettent aussi les prix vont encore chuter !
Cadre dirigeant chez Ronin Protection Rapprochée
6 ansIl ne faut pas mélanger les genres. Un mercenaire, est un guerrier payé par son client, et ne fait que la guerre. Espèce de combattant que lbeaucoup d états ont interdit, car dangereux et ingérable. Un combattant au delà de toutes notions de patrie. Une SMP appartient à un gouvernement, gère du multiservices, et rarement dans le combat pur. Une SMP, est au service de son gouvernement, principalement. Donc, gérable, voir servile. Si le mercenariat fut interdit et supplanté par les SMP, c est bien un arrangement voulu par les états dominants.