Assurance et réassurance des catastrophes climatiques : sommes-nous arrivés au "tipping point*" ?
Les catastrophes tres médiatisées de ces dernières semaines en France et aux Etats-Unis sont venues nous le rappeler avec force : le dérèglement climatique est un enjeu crucial pour l'industrie de l'assurance. Et comme le rappelait Florence Lustman au Cercle Lab il y a quelques semaine sur ces domaines : sans réassurance il n'y a pas d'assurance. À l'échelle mondiale, les sinistres liés aux catastrophes naturelles coûtent des centaines de milliards de dollars chaque année, un chiffre en constante augmentation. En France les catastrophes climatiques ont couté 6,5 milliards d'€ en 2023. Cette situation pousse à se demander si nous avons atteint un "tipping point", c'est-à-dire un point de basculement où les systèmes d'assurance et de réassurance ne peuvent plus absorber le choc de ces risques climatiques croissants.
A - L'impact financier des catastrophes climatiques
Les compagnies d'assurance ont toujours eu pour mission de protéger les biens et les individus contre les aléas de la nature. Cependant, face à des sinistres de plus en plus coûteux et imprévisibles, certaines entreprises sont en difficulté. Le modèle traditionnel de l'assurance repose sur une évaluation des risques basée sur des données historiques et sur une mutualisation des pertes. Or, le changement climatique modifie ces variables, rendant les événements extrêmes non seulement plus fréquents, géographiquement plus aléatoire, mais aussi plus dévastateurs.
Selon Swiss Re, l'une des principales sociétés de réassurance mondiales, les pertes économiques dues aux catastrophes naturelles ont dépassé les 280 milliards de dollars en 2022, dont seulement 120 milliards étaient assurés. Cela montre que, bien que l'industrie assure une grande part des pertes, il reste une marge non couverte qui met sous pression les assureurs, les gouvernements et les citoyens.
B - La réassurance : un bouclier de plus en plus sollicité
Pour se protéger contre les pertes massives, les assureurs se tournent vers les réassureurs, qui prennent en charge une partie du risque en échange de primes. Cependant, les réassureurs eux-mêmes sont confrontés à une augmentation des indemnisations dues aux catastrophes climatiques. Leurs modèles actuels, basés sur des événements passés, peinent à prévoir l'ampleur des dégâts futurs. Cela se traduit par une hausse des primes de réassurance, répercutée inévitablement sur les assurés, rendant les polices d’assurance de plus en plus coûteuses voire inaccessibles dans certaines régions à haut risque.
Dans certains cas extrêmes, les réassureurs se retirent complètement de certains marchés, les jugeant trop risqués. Cela a été observé dans certaines régions des États-Unis ou d'Australie, où l'assurance contre les incendies ou les inondations devient inabordable voire inexistante.
C- Les limites du modèle actuel et l'approche du tipping point
Le "tipping point" pour l'industrie de l'assurance et de la réassurance semble de plus en plus proche. Ce terme fait référence à ce moment critique où le système ne peut plus fonctionner dans son cadre actuel sans transformations profondes. Les prémices de ce basculement sont visibles à travers plusieurs phénomènes :
1. L'augmentation des primes : Pour couvrir les pertes potentielles, les assureurs et réassureurs augmentent les primes. Cela pousse certains propriétaires à ne plus s'assurer, notamment dans les zones les plus à risque. Cette baisse de la couverture pourrait créer une crise sociale, où les plus vulnérables ne seraient plus protégés.
2. Le retrait des assureurs : Face à des pertes récurrentes et massives, certaines compagnies réduisent leur présence dans certaines régions, exposant des millions de personnes à des risques non couverts. Ce phénomène est particulièrement visible en Californie avec les incendies de forêt, ou en Floride avec les ouragans.
Recommandé par LinkedIn
3. La pression sur les gouvernements : Lorsque le secteur privé se retire, les gouvernements sont souvent contraints de se substituer aux assureurs, notamment via des mécanismes de couverture nationale ou internationale. Cela augmente la pression sur les finances publiques, souvent déjà fragilisées par d'autres enjeux climatiques.
D - Quelles solutions pour sortir de cette impasse ?
Pour éviter un effondrement du système d'assurance face aux catastrophes climatiques, des solutions commencent à émerger :
- Modélisation plus précise des risques climatiques : Les avancées technologiques, telles que l'intelligence artificielle et les modèles météorologiques de pointe, peuvent aider à affiner la prévision des risques et des coûts associés. Cependant, ces outils sont encore en développement et doivent être davantage intégrés dans la gestion des risques assurantiels.
- Répartition globale des risques : Face à l'ampleur des pertes, certains plaident pour une répartition plus globale des risques à travers des mécanismes internationaux de réassurance ou des fonds de solidarité. Cela permettrait de mutualiser les pertes à l'échelle mondiale plutôt que de les concentrer sur quelques régions ou acteurs économiques.
- Promotion des investissements verts : Pour réduire les risques à long terme, les assureurs et réassureurs investissent de plus en plus dans des projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la transition énergétique, et la résilience climatique. L’idée est d’atténuer les effets du changement climatique en finançant des solutions durables.
- Collaboration entre les secteurs public et privé : Les gouvernements doivent travailler main dans la main avec le secteur assurantiel pour créer des politiques incitatives favorisant la résilience face aux catastrophes. Cela pourrait inclure des subventions pour renforcer les infrastructures, la mise en place de systèmes d’alerte précoce, ou des programmes d'éducation pour sensibiliser aux risques climatiques.
Conclusion
L'assurance et la réassurance des catastrophes climatiques sont à un tournant. Le modèle traditionnel de gestion des risques atteint ses limites face à la réalité du changement climatique. Si nous ne sommes pas encore totalement au "tipping point", nous en approchons dangereusement. Pour éviter une crise systémique, des réformes majeures sont nécessaires pour renforcer la résilience face aux catastrophes, encourager la transition énergétique et mieux répartir les risques. Dans ce contexte, l'innovation technologique, les politiques publiques et la collaboration internationale seront les clés d'une réponse adaptée à cette menace globale.
* Tipping point : point d'inflexion
** Remerciements à Vincent Tallepied pour nos échanges sur les « tipping point »
Senior Sales Manager @ Talan
2 moisMagali Drouet Lucie Mondin Mathieu CHANIER Romuald Tichadou