Au collège des Bernardins, la rêverie “Solitaire” de Stéphane Thidet

Au collège des Bernardins, la rêverie “Solitaire” de Stéphane Thidet

Une mare et deux troncs tournoient lentement dans l'obscurité la plus totale. Pendus à deux mats aussi courbes que les croisées d'ogives du plafond du collège des Bernardins, ces arbres créent des dessins éphémères dans l'eau mais aussi sur la pierre blonde de ce superbe édifice du XIIIe siècle niché au cœur du quartier de Saint-Germain. Le silence règne, propice à la méditation. Car pour voir le « Solitaire », le dernier projet de Stéphane Thidet, il faut ouvrir la porte qui mène à l'ancienne sacristie et protège des bruits extérieurs.

La fable de l'eau et des arbres

Ces deux arbres qui jamais ne se rejoignent partagent cependant la même eau. Ils la troublent et s'y reflètent. Comme Narcisse. Mais contrairement au jeune homme de la mythologie grecque, ils sont déjà morts. Ou plutôt « engagés dans un processus de décomposition où la vie résiste néanmoins », déclare Stéphane Thidet. « Il n'était pas question de travailler avec des arbres qui ne possèdent aucune histoire, ceux des bords de route, par exemple. J'ai choisi des troncs centenaires, originaires du littoral méditerranéen parce qu'ils racontent la tempête, le déracinement, le voyage... » Des arbres victimes d'une catastrophe naturelle que l'artiste compare à « un désastre arrêté à partir duquel l'espoir peut renaître. C'est le paradoxe du réel et de la fiction ». Une fiction qui oscille entre gravité et émerveillement, « comme dans les yeux des enfants, poursuit Stéphane Thidet. D'ailleurs, on pourrait dire que je me suis amusé à faire des ronds dans l'eau ». C'est aussi une fiction qui évoque les voyages immobiles, ceux menés « sans vapeur et sans voile » comme dans les poèmes de Baudelaire. « Les premiers musées que j'ai visités étaient consacrés à l'histoire naturelle. Celui de Rouen notamment fait se côtoyer le rhinocéros et la licorne. Il y a du surnaturel dans cette muséographie, dans la manière dont sont assemblés les morceaux de réel avec l'irréel. »
Alors comme dans les musées de son enfance, Stéphane Thidet laisse une large place à l'imaginaire qu'il ne cherche pas à travestir : les perches qui maintiennent les arbres sont bien visibles et le visiteur est maintenu à distance comme s'il admirait un paysage - ou un décor ? - depuis une rambarde de bois. Comme à Nantes en 2009, quand il lâcha six loups dans les douves du château des ducs de Bretagne que les visiteurs observaient de loin. En compagnie du « Solitaire », les minutes s'étirent à la façon des Drones, de la compositrice Eliane Radigue, structures musicales qui immergent l'auditeur dans une seule et longue note de musique. Une influence que revendique Stéphane Thidet.

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