Fabrice Hyber : "Il y a un aspect pipi-caca très présent chez Dubuffet"
Jean Dubuffet a peut-être trouvé un digne successeur avec Fabrice Hyber. “Nos œuvres fonctionnent visuellement de la même façon”, estime le plasticien français. Une exposition les réunit à Paris. Entretien.
Hyber et Dubuffet, comment cette histoire a-t-elle commencé ?
Sur une intuition, née lorsque Françoise Guichon, conservateur au CentrePompidou, a visité l'expo consacrée aux dernières acquisitions de la Fondation Dubuffet, à Paris. Elle a tout de suite pensé qu'il existait des liens entre les œuvres de Dubuffet et les miennes. Evidemment, j'ai d'abord douté. Puis, je me suis pris au jeu : j'ai consulté les archives et me suis dit que l'idée n'était pas si farfelue.
Vous êtes né en 1967, soixante-six ans après Dubuffet. Vous puisez dans la science alors qu'il s'inspirait de l'art populaire. Qu'est-ce qui vous rapproche ?
Nos esprits reflètent des époques différentes, mais nos œuvres fonctionnent visuellement de la même façon, avec des similitudes dans les thématiques et les modes de production, faits de découpages et de collages... Pour autant, ce qui nous lie par-dessus tout, c'est le langage, le jeu sur les mots, la mécanique de la pensée plutôt que l'esthétique.
Quelle est votre méthode de travail ?
Elle ressemble à un puzzle. Je commence toujours mes tableaux en couvrant les murs de papier, où je décris à l'aide de quelques mots ou de quelques dessins la forme que je veux inventer. Je me raconte une histoire, que j'alimente au fur et à mesure jusqu'au moment où les idées se mettent en place : le tableau est alors terminé. Comme ici dans la galerie du Bourg-Tibourg que j'ai transformée en atelier : j'y ai installé mon établi et je profite de la proximité des œuvres de Dubuffet pour dessiner. Lui, il ne savait pas, mais il puisait partout, et il savait admirablement valoriser ses sources.
Vous présentez quelques-uns des deux cents POF (prototype d'objets en fonctionnement) que vous avez créés. Comment s'insèrent-ils dans l'univers de Dubuffet ?
Dubuffet a multiplié les objets, les a agrandis, de 1 à 5 mètres, voire 25 mètres, comme La Tour aux figures, de l'île Saint-Germain, à Issy-les-Moulineaux. Ça m'a conforté dans l'idée de changer d'échelle. Donc, maintenant, j'invente une maison pour accueillir tous mes POF. Elle sera forcément suspendue, car elle contiendra un escalier. Je la construis avec les Compagnons du devoir. Dubuffet, lui, travaillait avec des artisans. Quant à la porte, ce n'est pas un POF, c'est une reproduction de celle des Vacances de M. Hulot, de Jacques Tati. Elle correspond tout à fait à l'univers jovial de Dubuffet, celui des congés payés et des fêtes populaires.
Comment concevoir une exposition de deux artistes liés par la mécanique de la pensée ?
Par analogie, en réunissant des œuvres liées par un même thème. Par exemple, Dubuffet fait souvent référence à la terre, au compost. Et qui dit compost dit fertilisation, et donc nourriture. Une étape à laquelle succède celle des toilettes, que j'illustre avec mon Homme de Bessines, une allusion directe à la série des « Pisseurs » de Dubuffet. Il y a un aspect pipi-caca très présent chez Dubuffet ; je n'ai fait que le mettre en évidence.
Hyber Dubuffet, du 20 mai au 13 juillet, à la Galerie Nathalie Obadia, 3, rue du Cloître-Saint-Merri et 18, rue du Bourg-Tibourg, 4e.