Aux jeunes traducteurs
C’est mon message à celles et ceux qui nous succéderont, qui se lancent ou qui se cherchent encore. C’est ce que je veux transmettre à celles et ceux qui n’ont pas étudié les langues juste pour avoir un atout de plus sur leur CV, mais parce que la philologie, la linguistique, la traductologie et l’écriture les font vibrer.
Je veux leur dire que même à l’épilogue de leurs études, même à l’entame de leur carrière, ils font autorité. Leur savoir-faire et leur expérience encore précoces ne changent rien à leur droit fondamental d’être respectés.
Le respect. Comme la plupart de nos droits, même acquis, il doit se gagner. Le respect n’est pas une valeur dominante dans la vie professionnelle. De moins en moins, d’ailleurs. S’en plaindre ou dénoncer le mépris que l’autre nous inflige serait naïf et stérile. Je sais les jeunes linguistes trop souvent sur la défensive, dans l’acceptation, voire la soumission. J’ai fait de même, jadis. Il n’y a rien à blâmer, si ce n’est l’indifférence des aînés qui auraient pu tendre la main de l’expérience pour éviter des souffrances.
Notables
Il fut un temps où la structure sociale de nos villes et villages s’appuyait sur quelques notables : le médecin, le notaire, le curé, l’instituteur, l’écrivain, le traducteur… Des gens de savoir et de lettres. Des personnes qui inspiraient le respect non par une ascendance dans la noblesse, mais par leur érudition et leur culture, née des amours rugueuses de la science et du quotidien. Les enseignants et les gens de lettres étaient reconnus pour cette faculté de donner saveur, relief et couleur à l’existence morne.
Ils ont toujours ces capacités aujourd’hui, mais le contexte a changé. L’enfant qui, à l’école, manifeste des prédispositions en ce sens, se fait taxer d’intello. Et c’est une insulte. Déplorer cette situation constitue-t-il, de ma part, un sursaut de nostalgie ringarde ?
Le sens
Non ! Le respect que l’on reçoit commence par celui que l’on donne. Et tous deux donnent du sens à notre existence. Et donc aussi à notre carrière de lettrés, d’écrivains, de traducteurs. Notre maîtrise de la langue maternelle et d’une ou plusieurs autres de ces merveilles nous confère un autre regard sur le monde. J’oserais la comparaison avec l’émerveillement de l’astronome dont le regard s’enivre d’espace. Il y a une jouissance réelle dans l’écriture avec, à la clé, celle complémentaire du lecteur. Les professionnels de la plume le savent bien.
Le respect a ceci en commun avec la bienveillance que plus on en donne, plus on en reçoit. C’est à l’auteur et au lecteur que le traducteur en témoignera avant tout. Certes, les textes envoyés en traduction ne méritent pas tous de figurer dans la bibliothèque de la Pléiade. Mais l’effort de l’auteur, dont les compétences s’exercent incontestablement dans d’autres domaines, mérite au moins que l’on honore sa crédibilité. Ainsi donc, si la verve du traducteur donne naissance à une version linguistique nettement supérieure à l’original, ce professionnel du texte proposera à tout le moins à son client d’optimiser le texte-source.
Saveur, relief et couleur, disions-nous. Du côté du lecteur, voilà les stimuli du plaisir de lire, de l’intérêt et du processus d’adhésion. Les techniques d’écriture efficace que maîtrise le traducteur génèrent une plus-value multilingue dans le texte du client et par corollaire, sa reconnaissance et son respect.
Partenaires
Ce respect mérité et reçu n’a pas vocation de carburant de notre orgueil. Il est en revanche le terreau d’un partenariat avec le client dans sa communication écrite. La relation professionnelle, entre adultes égaux par la complémentarité de leurs compétences, est gratifiante pour tous. Elle s’appuie sur la franchise, la critique constructive et l’évidence qu’il y a toujours plus dans deux têtes que dans une.
Osons déclarer ici que tout service de traduction axé avant tout sur la productivité, le lucre et la rémunération d’actionnaires passe complètement à côté du rôle fondamental que les lettrés jouent dans notre monde ô combien fragile.
Erik Buelens
Cet article est aussi traduit, grâce à des orfèvres de la profession.
Conseil en communication ✒ Plume privée
4 ansMerci Erik pour cette belle réflexion. Et, pour utiliser un néologisme que j'affectionne (bon allez, ce n'est déjà plus tout-à-fait "néo") : je "plussoie".