Avis de cyclone sur les paradis fiscaux
Le monde d’après est-il en train enfin de s’esquisser ? En tout cas, la proposition faite le 5 avril par Janet Yellen, la secrétaire au Trésor américain, ouvre des perspectives capables de changer le visage de la mondialisation. « Ensemble, nous pouvons utiliser un impôt minimum mondial pour nous assurer que l’économie prospère sur la base de règles du jeu plus équitables en matière d’imposition des sociétés multinationales », a-t-elle déclaré au Chicago Council on Global Affairs. Sous des aspects techniques et généraux, il s’agit d’une révolution copernicienne.
Les Etats-Unis se disent prêts à mettre en œuvre un mécanisme obligeant une multinationale à payer un minimum de 21 % d’impôts sur ses bénéfices, quelle que soit sa nationalité, quel que soit l’endroit où elle les réalise. Ce taux plancher, calculé pays par pays, permettrait aux principales économies de la planète de récupérer des sommes substantielles en s’imposant comme percepteurs fiscaux de dernier ressort.
L’idée est d’octroyer, dans le cadre d’un accord multilatéral au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le droit d’imposer une multinationale sur un territoire donné à hauteur de la différence entre ce minimum de 21 % et les taux ridiculement bas pratiqués par les paradis fiscaux. Ces derniers perdraient alors l’essentiel de leur attractivité.
Chaque pays garderait son droit souverain à fixer le taux de prélèvement qu’il souhaite, mais si celui-ci est inférieur à l’impôt minimum mondial, d’autres se chargeront d’encaisser à sa place le manque à gagner fiscal. « Il s’agit d’une rupture fondamentale, car elle aboutit à inverser la logique de la concurrence internationale », nous explique Gabriel Zucman, professeur d’économie à l’université de Californie à Berkeley et coauteur, avec Emmanuel Saez, d’un livre, Le triomphe de l’injustice (Seuil ; 2019) dans lequel il appelait de ses vœux un tel aggiornamento.
Pour comprendre ce qui est à l’œuvre, il faut revenir aux origines d’une idéologie qui s’est imposée à partir des années 1980 avec Ronald Reagan aux Etats-Unis. La concurrence fiscale s’est vue parée de toutes les vertus en prétendant limiter la propension inextinguible des Etats à surtaxer les propriétaires du capital.
Certains théoriciens comme le politiste Geoffrey Brennan et l’économiste James Buchanan ont été jusqu’à faire des actionnaires des victimes soumises à la « tyrannie de la majorité ». Selon eux, le seul moyen de contrôler cette dérive démocratique, les peuples, en réclamant toujours plus d’impôts, étant incapables de se gouverner rationnellement, a consisté à instaurer une course au moins-disant fiscal censé garantir l’efficacité économique réclamée par les multinationales.
Le jeu de dupe a suffisamment duré
Le système a marché à merveille faisant de ces entreprises les grandes gagnantes de la mondialisation au détriment d’une partie des classes moyennes. Les multinationales, dont les activités sont devenues de plus en plus mobiles et insaisissables, ont cherché à se domicilier dans des Etats confettis, qui concentrent 40 % des bénéfices de ces entreprises au nez et à la barbe des nations où elles exercent pourtant l’essentiel de leur activité.
Lire aussi :
Dès lors, à force de se professionnaliser, le cynisme de l’industrie de l’optimisation fiscale a tourné à la caricature. En 2001, l’un des limiers du système, le géant du conseil, Accenture, n’a pas hésité à quitter Chicago pour les Bermudes, avant de s’installer en Irlande à partir de 2009. Une enquête de l’Institute on Taxation and Economic Policy, publiée le 2 avril, a révélé que 55 grosses entreprises américaines n’ont versé aucune taxe sur les sociétés en 2020 malgré des bénéfices substantiels, parmi lesquelles 26, dont Nike, Salesforce ou FedEx, n’en ont payé aucune au cours des trois dernières années. Quant à Google, Amazon ou Apple, le fait que Donald Trump ait ramené en 2017 le taux d’impôt sur les sociétés américaines à 21 % ne les empêche pas de payer moins de 14 % de taxes au niveau mondial.
Le jeu de dupe a suffisamment duré. La pandémie oblige les Etats à optimiser leurs recettes budgétaires. Ils n’ont plus les moyens de rester spectateur de ce bonneteau fiscal, d’autant qu’il n’a pas tenu les promesses vantées par ses organisateurs. L’impôt a fondu comme neige au soleil sans qu’on observe pour autant une accélération des investissements. De ce point de vue, le bilan de la réforme fiscale de Donald Trump est édifiant.
Comme pour la fin du secret bancaire au sortir de la crise financière, ce sont les Etats-Unis qui sont à la manœuvre et non l’Europe, qui reste paralysée par la règle de l’unanimité sur les questions fiscales. Après tout, seul le résultat compte. Certes, l’initiative sert l’agenda de Joe Biden pour financer sa relance de l’économie américaine. Mais pour l’UE, elle constitue une occasion unique de reprendre la main sur sa souveraineté fiscale. Il faut se féliciter que les intérêts des deux plus grandes économies du monde, qui rassemblent la grande majorité des multinationales, convergent.
Changer la dynamique
Les Européens doivent accompagner le mouvement en n’hésitant pas à taxer leurs champions nationaux – Kering, LVMH, Chanel pour la France, Mercedes, BMW pour l’Allemagne – tout en résistant à la tentation de négocier un taux d’imposition minimum trop bas.
La bataille s’annonce homérique. Les lobbys vont se dresser de toutes parts. Joe Biden doit convaincre un Congrès où il dispose d’une majorité étroite. Mais aux Etats-Unis comme en Europe, les opinions publiques sont majoritairement en faveur de davantage de justice fiscale. Tentées par des solutions populistes, elles n’adhèrent plus à vision d’une mondialisation qui s’est résumée ces dernières années à un jeu à somme nulle générateur d’inégalités. Cet impôt minimum peut changer la dynamique.
« Au lieu de rivaliser à qui baissera le plus ses taux d’impôt, les pays viendraient à se faire concurrence en augmentant les dépenses publiques d’infrastructure, en investissant dans l’accès à l’éducation et en finançant la recherche », veut croire Gabriel Zucman. L’opportunité est historique, tâchons de ne pas la gâcher.
Docteur en medecine chez Groupe Elsan Nimes-Orange
3 ansEt un bonhomme gentil avec une barbe blanche va sortir plein de cadeaux de sa hotte. C’est beaux les contes de Noël !
Formateur professionnel pour Adultes
3 ansDommage d'attendre que les USA donne le "LA", alors que l'Europe est incapable de faire le ménage dans ses propres rangs.
Chief Investment Strategist at Safanad
3 ansJamais
General Ledger
3 ansOccasion que le monde finance la dette. Mais laquelle?
DAF Groupe - MBA, M2 Finance
3 ansBeaucoup en rêvaient en France et ailleurs mais seuls les Etats-Unis pouvaient le faire car ils concentrent 60% de la capitalisation boursière mondiale. Souvenez vous que c'est Barack Obama qui a mis fin au secret bancaire Suisse alors que les Européens n'y arrivait pas depuis des années.