Back to Godard
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Back to Godard

Back to de Baecque, pour ce faire. Pas du tout étouffe-chrétien, son gros bouquin. Il décrit un salaud d’Hélvétie, un méchant parpaillot du canton de Vaud. Ses tournages, ses collages, ses chantages, ses ratages. 

Au fil des pages, on voit des images, de l’amour sur la toile, beaucoup d’amour. Le texte recueille les beaux restes d’une tradition et d’une révolution. C’est le récit d’une nostalgie.

Godard, voleur de la pire espèce dès sa jeunesse – depuis qu’il a vu, ou plutôt pressenti l’admirable Picpocket de Bresson -, est parti ad patres avec la caisse, avec la civilisation des picaillons. Il nous laisse dans de beaux draps.

J’ai lu le pavé d’une traite. Avec une certaine fièvre. J’en ai presque oublié « la décivilisation ».



« À l’instar de Godard, Pelechian apprivoise les ciels à merveille. La caméra laisse intouchée sa prise. L’image est délicatement tachetée de beautés muettes. On y voit le burlesque à vif, la tête longue de ceux qui n’ont pas voulu.


Dans le sillage d’une fusée, les coupures de nuage dévoilent le dessin d’un félin. Artavazd Pelechian peint les eaux qui tournoient et l’homme qui s’y noie, les pèlerinages d’oiseaux et l’exode animal. Ce cinéma, digne des yeux, fait flèche de tout voir. Il fait entendre un cri de berger, venu de haut, dont l’accent des rocailles se détache au soleil.


Le cinéma, des images qui bougent, de l’émotion volée comme un baiser, une sensation qui saisit un corps, qui voile le regard. À Cannes, il pleut. Godard est acrobate, fait des soleils. Godard court le cinématographe en 17 minutes. Record. D’entrée de jeu, on empoigne la rambarde. Il faut se tenir à carreau comme dans la grande roue. On touche les choses pour se persuader d’y croire. Godard achève le festival. Avec des cartouches de terreur dans son fusil. Des images inimaginables qui entrent dans le sang. Un luxe inouï. De la lumière qui erre, des éclaboussures de couleur, une voix humaine. Godard révèle le cinéma, sa beauté venimeuse, hors industrie, sans gnangnan. Film pas, peu économique : soigné, chiadé, tailladé au poignet. Soigneusement aimé. Le contraire du travail, c’est le soin. Soigner l’image comme un malade. Avec la folie maniériste d’un médecin de campagne.


Godard retient du mot opus son pluriel opéra. Il y a le sang du siècle sur la pellicule du cinéaste. Cette poignée de minutes inguérissables terrifie l’oeil roi. On se cramponne. Godard joue dans la cour de récréation, de re-création. Celle des petits ouvriers. Il est immensément seul. Après quoi, le mot de palme semble extrait du vocabulaire de plongée, et les images sorties en scaphandre du Grand Bleu. En un quart d’heure, Godard a tué le match. Le festival est mort, déballe pour rien. N’est original que l’origine. Comme n’est génial que la genèse. On passe alors les copies, si bien nommées, comme des plats, des plateaux-repas de long courrier, la mécanique irrésistible de Soigne ta Droite.


Galabru n’était pas un malappris. Mais bien épris de fantaisie. Galabru est le fils aîné, le fils aimé de Raimu. Galabru n’avait rien d’une brute. Il est l’Amiral, loufoque pilote de ligne de Soigne ta Droite, grand bonhomme du poème de Godard. »


« L’amitié de mes genoux » (5 Sens Editions, pages 68/69, 2018)



https://catalogue.5senseditions.ch/fr/poesiereflexiontheatre/192-l-amitie-de-mes-genoux.html

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