Bienvenue aux Bulgares ?

Hier, le 11 janvier 2018, a eu lieu le lancement officiel de la présidence bulgare du Conseil de l'UE. Elle intervient 11 ans après l'adhésion, dans un contexte difficile qui fait craindre, comme le soulignent assez unanimement les médias français, l'échec d'une présidence "à haut risque". Elle intervient aussi 6 mois plutôt que prévue. La Bulgarie remplace en effet le Royaume Uni à la présidence du Conseil de l'UE, puisque dans les conditions du Brexit, confier celle-ci au Royaume Uni paraissait logiquement inopportun.

Le titre "Bienvenue aux Bulgares" n'est pas choisi au hasard. Couramment adopté au moment de l'adhésion, il permet de reposer les mêmes questions: la Bulgarie est-elle prête, fait-elle suffisamment d'efforts - maintenant en tant qu'Etat membre et il y a 11 ans pour le devenir - pour se conformer, en particulier, aux valeurs fondamentales de l'article 2 du Traité sur l'Union européenne. Et à dévoiler toujours la même position de donneur de leçon, que les anciens Etats membres, France notamment, adorent adopter.

Les noces d’étain avec l'Union européenne que la Bulgarie vient de célébrer le 1er janvier 2017, devraient-être symbole d’un couple à la fois solide, souple et malléable, prêt à affronter les 10 ans à venir. Mais le mariage Bulgarie-Union européenne ne se conforme-t-il pas plutôt à l'image "je t'aime, moi non plus"?! En effet, après 10 ans de mariage, la Bulgarie n'est toujours pas membre de l'espace Schengen, auquel elle souhaite adhérer. La non-admission laisse un goût amer, puisque, selon les évaluations faites par l'Union européenne elle-même les Bulgares remplissent tous les critères pour y adhérer. Ce n'est que pour des raisons politiques que certains Etats, Pays Bas, France, bloquent, en s'appuyant sur le vote à l'unanimité exigé au Conseil à ce titre, l'adhésion bulgare. 

La Bulgarie ne fait pas non plus partie de la zone euro, alors que son économie connait non seulement une stabilité grâce au bord monétaire mis en place par le FMI encore en 1997, mais aussi la plupart du temps depuis une croissance économique certaine. Petite nuance, dans le contexte de la crise, la Bulgarie ne semble pas pressée de franchir le pas.

Et, le mécanisme de monitoring mis en place il y a 11 ans en contrepartie à une adhésion jugée prématurée reste toujours en place. Tout comme la Roumanie, la Bulgarie est soumise à ce titre à une surveillance constante et les rapports périodiques établis par la Commission européenne continuent à souligner son manque des progrès dans la lutte contre la criminalité organisée et la corruption. La surveillance pourrait toutefois arriver à son terme à la fin de l'année. C'est ce que promet l'Union européenne elle-même.

 La Présidence bulgare du Conseil de l'Union européenne pourrait-elle y contribuer? N'en exagérons toutefois pas l'importance, puisqu'elle a fortement perdue face aux présidences permanentes des institutions, celle du Conseil européen, de la Commission, mais aussi celle du Conseil Affaire étrangères, désormais entre les mains du Haut représentant pour les affaires extérieures et la politique de sécurité. Cette dernière, instaurée par le traité de Lisbonne, empiète cette fois-ci directement sur les prérogatives de la Présidence du Conseil attribuée à titre général et par voie de rotation. 

De plus, cette présidence est collective, car exercé, depuis le traité de Lisbonne, dans le cadre d’une troïka européenne, la Bulgarie étant « accompagnée » de son successeur et son prédécesseur, l’Estonie et l’Autriche. Enfin, elle constitue plus une mission technique et administrative, de coordination et de représentation, que de décision et de gestion.

 D'aucuns estiment que la Présidence du Conseil ne préserve son intérêt que pour les petits Etats à la recherche d'un moyen de s'affirmer.

 La présidence du Conseil de l’UE fournit néanmoins à la Bulgarie l’occasion de prouver qu’elle a une vision d’avenir pour elle-même et pour l’Union européenne et qu’elle souhaite s’investir pleinement dans sa réalisation. La devise "l'union fait la force" et les trois C (K en bulgare) pour consensus, compétitivité et cohésion, affichés en tant que priorités de la présidence bulgare expriment-ils une ambition suffisante ?

L’explication du Ministre en charge de la Présidence bulgare du Conseil de l’UE 2018, Liliana Pavlova à l’appui, les trois K appréhendent l’essentiel des sujets d’actualité européenne dans le contexte de la crise qui continue à secouer l’Union, les migrations et la sécurité, l’élargissement aux pays des Balkans occidentaux, le marché commun, le gouvernement électronique et la digitalisation, l’Etat de droit…

Posons enfin la question de savoir comment la Bulgarie se place-t-elle par rapport à l'opposition qui semble se désigner au sein de l'Union européenne, entre les adeptes d'une Europe à plusieurs vitesses et ceux de l'Europe fondée sur la participation égale de tous dans une construction en commun. Si l'Europe à plusieurs vitesses s'impose, la différenciation déjà présente au sein de l'Union européenne se transformera en rupture permanente du principe d'égalité entre Etats membres. Pourtant, la séparation entre un noyau dur européen et une Europe de seconde zone, s'éloigne incontestablement de la vision des pères fondateurs. Elle risque de compromettre à plus ou moins long terme le projet européen lui-même. L'Europe des patries que certains milieux politiques et intellectuels bulgares appellent de leurs vœux participe de la même réflexion, bien que, dans une Europe à plusieurs vitesses, la Bulgarie risque fortement de se retrouver dans l'Europe de seconde zone. 

Strasbourg, janvier 2018

Philippe Karpe

Senior Scientist, International expert, International technical adviser, Lecturer, Supervisor

6 ans

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