Big bang ou souris
Après le Plan pour renforcer l’accès territorial aux soins (lancé en octobre 2017) et l’adoption de la Stratégie nationale de santé (fin décembre 2017), le gouvernement relance les dés et propose un Plan de transformation de l’offre de soins. Même ambition, précise et affirmée que dans les textes précédents, de la nécessité d’une réforme profonde du système de santé, de le recentrer sur les services rendus aux patients, et, surtout, de retrouver l’accès aux soins dus aux malades.
Il porte donc aussi le même diagnostic sur les insuffisances actuelles du système de santé : extension des inégalités de santé, recul continu de l’accès aux soins, progression des déserts médicaux. Le tout désespérant les professionnels, à la ville comme à l’hôpital, et creusant les déficits.
Les cinq pistes de ce « Big Bang » proposé par E. Philippe et A. Buzyn dessinent un système tout à la fois séduisant et frileux :
- Inscrire la qualité et la pertinence des soins au cœur des organisations et des pratiques: avec 30 à 40 % au moins d’actes inutiles, les marges d’amélioration qualitatives et financières sont conséquentes.
Le recours à la HAS, dans le contexte de renouvellement actuel de cette institution, pourrait être l’occasion de lui (re)donner ses lettres de noblesse. Qu’elle s’inspire de la seule recommandation Diabète en contraignant les professionnels à l’utiliser et la dynamique pourra être lancée. L’accompagnement par une Autorité renouvelée dans son rôle et ses prescriptions pourrait être le levier pour aboutir à une politique régulée.
- Repenser les modes de rémunération, de financement et de régulation: la tarification récompense aujourd’hui largement les acteurs les moins compétents ou les moins honnêtes. De ce point de vue aussi, l’article 51 de la LFSS est une ouverture sans commune mesure ; pour le reste, demander aux représentants des professionnels, principaux intéressés par le maintien de la situation actuelle, les voies pour changer de logique aboutira aux mêmes mesures cosmétiques : faux ralentisseurs, accumulation d’actes au nom de la sécurité des patients.
- Accélérer le virage numérique et l’annonce d’une mission « E-santé » rassurera les professionnels – en ces temps d’incertitude, nous aurions tort de ne pas nous réjouir d’une dose de réassurance – mais à la vitesse où change les choses, une mission… vraiment… ?
- Adapter les formations et les ressources humaines: les questions RH dans les établissements sont cruciales et doivent être éclairées autant qu’il est possible. Le débat sur le numerus clausus en lieu et place du questionnement relatif au conventionnement sélectif (là où les malades en ont besoin) rassurera les acteurs ; il ne faudrait pas que ce constat que la France forme beaucoup de médecins qui au final ne soignent pas ou n’exercent pas là où la population en a besoin soit remplacé par cette pirouette : formons plus de professionnels pour répondre aux besoins…. Les étudiants rodés comme les syndicats de professionnels aux discours ambiants sur les « moyens à ajouter » ne seront pas inquiétés
- Repenser l’organisation territoriale des soins en «continuant à structurer les soins de ville ». Voilà qui est dit, bien dit. Et malheureusement répété. Quoi qu’il en soit, l’organisation territoriale des soins évite d’aborder le sujet des déserts médicaux qui prospèrent sur un tiers du territoire de notre pays et aboutira là aussi aux expérimentations habituelles qui devraient permettre à ce gouvernement de confier ce sujet aux gouvernements suivants.
L’enveloppe de 100 millions d’euros proposée pour l’accompagnement de cette transformation est à la fois totalement insuffisante au vue des multiples chantiers à engager et tout à fait démesurée si l’on pense à l’habituel mécanisme d’accumulation – un financement nouveau vient s’ajouter aux financements en cours – en lieux et places du mécanisme de substitution souhaitable –et au final d’un financement non maîtrisé.
Outre la méthodologie peu enthousiasmante, les cinq pistes annoncées sont corsetées dans un calendrier complexe où les organisations professionnelles joueront leur rôle pour freiner toute évolution et obtenir des compensations financières à leur participation aux concertations. Pour autant, la principale difficulté demeure dans la nécessité de faire preuve de courage politique pour pouvoir (enfin) avancer sur ce terrain.
Surtout, pour que le « Big Bang » annoncé ne fasse pas pschitt, il faudra avant tout veiller à ne pas reproduire les habituelles erreurs en la matière :
– proposer des mesures sous formes de recettes qui n’ont fait d’autre preuve que de leur complexité et marquée par leur inefficacité, et vice-versa (PTA, généralisation des MSP, SISA, missions d’appui des ARS, etc.). Les mesures doivent avant tout être simples pour les soignants : leur donner une marge de manœuvre qui devra s’affranchir des contraintes administratives incessantes et qui n’ont, parfois, d’autre justification que celle d’assurer la raison d’être des multiples échelons administratifs existants ou à venir ;
– utiliser les quelques marges financières existantes pour arroser largement les professionnels, creuser les déficits et surtout contribuer à rajouter de la désorganisation à ce maelstrom qui nous sert aujourd’hui de système de santé ; de manière générale, une approche financière ou économique ne peuvent, paradoxalement, être le préalable d’une réforme profonde qui sera d’abord et avant tout structurelle. La désorganisation générale et l’absence de missions claires et précises acceptées et respectées par chacun des acteurs sont à l’origine de tous nos maux.
– initier des mesures sans les évaluer comme il se doit. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que l’auto-évaluation par les acteurs eux-mêmes, ceux-là même qui sont rémunérés sur la base de leurs propres déclarations, ne constitue pas à proprement parler une évaluation…
Bref, si l’urgence est bien identifiée de réformer notre système en profondeur, si le besoin de permettre à chaque malade l’accès aux soins dont il a besoin est incontournable, prenons d’abord le temps de respecter ces quelques repères fondamentaux pour que le Big Bang n’accouche pas d’une nouvelle souris.
Association Soins Coordonnés
26 février 2018