BlackRock : les critères ESG à l’épreuve du réel

BlackRock : les critères ESG à l’épreuve du réel

Si vous pensez que les enjeux autour des critères ESG concernent seulement une poignée d’entreprises militantes (et sans résultats), détrompez-vous. À ce titre, le cas du gestionnaire d’actifs BlackRock – 10 000 milliards de dollars d’encours — est édifiant, depuis que son patron Larry Fink l’a engagé en 2020 sur une voie plus durable. En effet, c’est bien parce que les enjeux financiers sont colossaux que nous pouvons apprécier à quoi ressemble l’utilisation des critères ESG à l’épreuve du réel. Surtout en pleine Culture War et alors que la réélection de Donald Trump devient possible.

C’est quoi BlackRock ? C’est quoi les critères ESG ? C’est quoi le rapport ?

BlackRock est une société multinationale américaine spécialisée dans la gestion d’actifs. Des investisseurs, de toutes sortes et de toutes tailles (cela pourrait être vous), lui confient des capitaux qu’elle se charge de faire fructifier. En général, le rendement servi est fonction de l’appétence au niveau de risque choisie par l’investisseur.

Un peu rapidement diabolisé, ce type d’acteur démontre son utilité, même pour le cheminot qui a occupé les locaux de BlackRock France lors de la réforme des retraites, puisqu’il est économiquement possible que son assurance-vie soit elle-même adossée… à BlackRock.

Les critères ESG, de leur côté, sont des outils d’analyse extrafinancière. L’idée est de jauger l’activité des entreprises autrement que par la pure performance économique. Pour cela, on regarde trois dimensions supplémentaires, que sont les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.

Historiquement, le professeur Christophe Revelli situe l’amorce d’une forme de morale financière à partir du mouvement religieux Quaker au XVIIe siècle, et qui s’illustre alors avec le refus d’investir dans l’alcool, les armes ou encore l’esclavagisme. Par la suite, les fonds éthiques évolueront pour aboutir aux critères ESG que nous connaissons aujourd’hui, et qui vivent sous forme de labels. L’ISR, par exemple, est l’un d’entre eux sur lesquels les fonds tels BlackRock basent leurs actions.

Bien sûr, rien n’est parfait. Mais que le premier gestionnaire d’actifs au monde s’oriente sur des critères ESG sans faire de greenwashing a été un tournant spectaculaire. Tout comme les difficultés rencontrées par Larry Fink.

Pourquoi les critères ESG constituent un réel engagement ?

Larry Fink, comme d’autres figures célèbres de la finance telle Warren Buffet, produit une lettre annuelle à ses investisseurs qui fait un peu la pluie et le beau temps dans son secteur. Pareil à un oracle — ou un horoscope chinois très très long, si vous préférez — ce texte est largement commenté par les spécialistes qui tentent de dégager des tendances. Surtout, donc, depuis 2020 et le virage ESG du gestionnaire.

En fait, c’est surtout la réponse au phénomène « anti-ESG » qui est scrutée. Depuis deux ans, les Red States font feu de tout bois (non géré durablement, probablement) pour discréditer une vision de l’économie qui serait hostile à leurs valeurs (trop « woke »). Et surtout à leurs emplois souvent dans les industries polluantes.

Le mouvement consiste notamment à retirer des fonds confiés à BlackRock, voire à lancer des gestionnaires anti-ESG. Pour l’heure, les effets économiques sont dans l’épaisseur du trait et n’ont pas d’impact sur le virage de BlackRock. Sauf dans sa communication.

En effet, s’il y a bien une conséquence, c’est à ce niveau et on pourrait avancer que BlackRock constitue un cas d’école de greenhushing. Ni la lettre de Larry Fink, pas plus que le site Internet de BlackRock évoquent dorénavant leurs engagements ESG. Silence radio.

Et j’y verrais là, quitte à manifester un point de vue controversé, une excellente chose pour avancer sur le sujet.

ESG : faire plutôt que dire ?

Au fond, les sujets environnementaux — incluant les critères ESG — ont un gros problème de communication. Sensibiliser ou dénoncer : ça ne sert à rien. Car les personnes qui se lèvent le matin en se demandant comment elles vont pouvoir activement accélérer la fonte de la banquise doivent être, tout de même, vraiment peu nombreuses.

En revanche, celles qui se sentent attaquées dans le mode de vie, choisi ou subi, constituent sans aucun doute un effectif plus important. C’est l’histoire de la Bud Light et de l’influenceuse transgenre, ou encore de la réactance à l’achat de véhicule électrique dans les états conservateurs américains. Voire du succès du docteur Didier Raoult en France lors de la crise du Covid-19, jugé à ce moment-là plus crédible qu’Olivier Veran.

Personne n’aime les Schtroumpfs à lunette. Encore moins lorsqu’il s’agit d’une société dont l’objet n’aurait qu’un rapport éloigné, comme les glaces et la forêt amazonienne.

Bref. Si « faire et dire » est en général une bonne idée, une petite cure de silence pour « faire » semble s’imposer. L’espace médiatique est saturé et polarisé. À l’extrême. Y descendre, c’est l’assurance de prendre des coups pour un résultat inexistant. Ou qui sera chassé par le prochain sujet.

C’est le parti pris par BlackRock… et qui semble pour l’instant fonctionner.

Une autre bonne idée consisterait à retourner les opposants. Et là, de façon inexplicable, réside un incroyable angle mort de la communication de toutes ces entités, entreprises ou États. Une personne adulte ne s’édifie pas à coup de raison ou de pédagogie. S’adresser à elle de cette façon, c’est tuer toute dimension politique, en elle et dans la société, avec finalement un « there is no alternative  » plus néolibéral qu’académique.

Autrement dit, il est possible qu’écouter les plaintes et comprendre les réactances d’une partie de nos semblables – et donc de nos clients – soient une bonne idée. Concrètement pour l’ESG, il est surprenant que la dimension « emploi non délocalisable et pérenne » ne soit pas martelée dans la Rust Belt. Ou en Bretagne.

En fait, les râleurs ont des angoisses plutôt basiques auxquelles il est assez simple de répondre. C’est d’autant plus dommage que les sachants ne daignent pas faire l’effort de convaincre.



Cet article a été initialement publié sur le site internet de Rhêtorikê, et je le partage ici à des fins de diffusion de la newsletter Café Com'Week. Pour lire la version originale et découvrir d'autres contenus similaires, visitez notre blog.

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