Bureaucratie, tous coupables! Comment faire taire le bureaucrate en nous?
Une fois encore la bureaucratie est accusée d’être à l’origine de -presque- tous nos maux. C’est dit, cette fois c’est la bonne, le Président l’affirme on va Sim-pli-fier ! Et si ce n’était pas si simple ?
« Ce serait mieux si, il est indispensable de, il faut impérativement ajouter, il ne faut surtout pas oublier que…» C’est cette petite voix, la nôtre, multipliée par les millions que nous sommes, qui est en fait le vrai moteur de la bureaucratie actuelle. C’est nous qui nourrissons quotidiennement la Bête, pas d’obscurs et d’affreux énarques, polytechniciens ou eurocrates. Ils ne sont que nos porte-paroles, nos porte-plumes, parfois zélés il est vrai… Depuis deux mois tout le monde - du président de notre pays en passant par le citoyen dit « de base » - tombe à bras raccourcis sur la bureaucratie et fait mine de découvrir effaré son poids et ses ravages, qu’il s’agisse de la conduite générale du pays, de celle des entreprise, de l’agriculture ou de l’environnement ou de notre vie quotidienne. Et chacun y va de sa proposition d’une commission supplémentaire (!) pour lutter contre la bureaucratie, promue maladie principale et nationale, à l'origine de toutes nos souffrances et nos manques de performance et qu’il suffirait d’éradiquer pour que tout aille beaucoup mieux. Un peu facile, mais c’est très populaire….
Historiquement, bien au contraire, la bureaucratie voulait être le règne du rationnel et de l’efficacité contre l’arbitraire et le gaspillage des ressources. C’est le Malouin Vincent de Gournay qui inventa le mot en 1759. L’organisation du travail des Chinois influença très directement Colbert et Louis XIV puis fut « perfectionnée » par l’administration Prussienne. Ensuite le sociologue allemand Max Weber en 1920 en fit une théorie complète en analysant la société allemande au début du XXème siècle et en postulant qu’elle pouvait être, pour tous, la forme d’organisation le plus efficace. En France sa critique construite commence il y a 60 ans principalement avec Michel Crozier qui met en évidence son action paralysante et inhibitrice, et plus largement avec Hannah Arendt qui démontre son caractère déresponsabilisant et anonymisant qui permet le pire.
« Le mieux est le MORTEL ennemi du bien » constatait Montesquieu il y a plus de 250 ans et il ajoutait « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Cela fait donc longtemps que nous savons. Donc pourquoi cela continue et prospère ? On voit bien quelle est la nature de la bureaucratie, un système où l’édiction de règles internes fini par se suffire à elle-même, devient l'activité principale et empêche de voir la réalité, et donc de la traiter. Exemple la situation de l’hôpital, voir comment pendant la pandémie de Covid le fonctionnement s’est amélioré rapidement quand, in fine et débordé, on a fini par redonner le pouvoir quotidien aux médecins et aux infirmiers.
C’est surtout notre manque de confiance qui est réellement en cause dans le développement de la bureaucratie, plus que notre perfectionnisme. Manque de confiance, en nous, en l’autre, dans le collectif. Et ce manque de confiance se traduit à la fois par une aversion au risque, un refus permanent de l’incertitude et par une difficulté fondamentale à échanger, dialoguer, négocier avec l’autre, les autres. Car ce que permet la bureaucratie c’est de rendre les choses anonymes, obligatoires, impersonnelles et de supprimer tout zone de flou. Et plus nous en rajoutons, plus se pose la question du contrôle et de qui contrôle le contrôleur. Le mouvement perpétuel existe, ça s’appelle la bureaucratie. Il est clair qu’une grande partie des normes actuelles, en entreprise comme dans le pays, sont souvent les fruits amers du refus de dialoguer, de trouver une solution amiable, de construire un consensus, de ne vouloir renoncer à rien de ce que nous croyons absolument nécessaire car bien sûr nous avons raison, en dépit de l’avis de l’autre, contre l’autre.
Lutter contre la bureaucratie, oui, bien sûr, qui pourrait être contre, mais alors arrêtons-nous même à chaque difficulté de constamment réclamer haut et fort une nouvelle loi, un nouveau règlement, une nouvelle norme, une nouvelle procédure, une nouvelle instruction, un nouveau formulaire. Faisons le plus souvent possible avec ce qui existe et dialoguons. Développons la confiance, le respect, le discernement, la prise de recul et de hauteur de vue ,concentrons-nous sur l’essentiel et la bureaucratie reculera d'elle-même.
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