Calendrier de l'Avent Culture: 12 Décembre - Douze Hommes en colère
12 Décembre.
Douze Hommes en colère a été non seulement mon film préféré pendant une longue partie de mon adolescence mais probablement un de ceux qui a le plus changé ma vie de par son discours, sa mise-en-scène et sa direction d'acteur. J'ai eu la chance d'aller plus tard revoir une adaptation du même texte au théâtre et j'en ai encore pleinement apprécié toute la saveur. Mais le film éternel de Sidney Lumet demeure à jamais ce monument du cinéma qui m'aura bouleversé et parviendra à me transporter entre la fureur et la sérénité à chaque visionnage.
Si vous n'en connaissez pas l'histoire, en voici un bref résumé. Suite à un procès pour meurtre où un jeune homme est accusé d'avoir causé la mort de son père, douze jurés se réunissent pour délibérer du sort de celui-ci. Ils ont sa vie entre leurs mains car la peine à la clé en cas de verdict coupable c'est la mort. Une sentence dramatique et irréversible avec laquelle on ne se doit aucune légèreté. Pourtant, dès le début des discussions et des votes, la question semble vite tranchée: les jurés semblent tous convaincus de la culpabilité de l'accusé et sont prêts à expédier leur décision. Tous sauf un. Joué par Henry Fonda, un des douze jurés a des doutes. Il remet en cause les faits qui ont été assumé durant le procès et objecte avec ses propres réflexions. Ne pouvant éthiquement envoyé un adolescent à la mort sans être pleinement convaincu, il impose que le débat puisse continuer au grand désespoir des autres qui paraissent excéder par son caractère contrariant.
Grand film sur la fragilité d'un système judiciaire, la peine de mort ou encore la pression sociale, Douze Hommes en colère est une œuvre multithématique aux nombreux aspects et au talent profond. Il exige une attention constante de son spectateur pour en tirer chaque goutte de son propos. Enfin, c'est aussi et surtout une immense mise en scène de la malléabilité de la vérité. Vu sous le prisme de la morale et de la gravité du jugement judiciaire, le film est un des plus grandioses huis-clos du cinéma enfermant en réalité un récit d'enquête avec douze personnages qui ne sont pourtant pas des enquêteurs et qui ne disposent clairement pas de toutes les pièces du puzzle ou des bons moyens pour résoudre un mystère. Mais c'est justement pour cette raison que le sujet de la vérité est si primordiale ici. Car il n'y a rien de plus incomplet, de plus controversé et de plus ambivalent que ce que l'on nomme justement la vérité.
Comme un un autre film pivot le démontre, c'est à dire Rashomon d'Akira Kurosawa, personne ne détient toutes les versions des faits, et donc ne connaît la pleine dimension d'une réalité, qu'elle soit criminelle ou non. Douze Hommes en colère exploite cette faille avec le génie du texte théâtrale et avec la puissance du cinéma. Alors que le personnage d'Henry Fonda refait tout le procès, le déconstruit et parvient à faire germer le doute dans chacun des autres protagonistes du film, un à un, il ne provoque en fin de compte aucune révélation dans l'intrigue. Ce n'est d'ailleurs pas son but. Lui, et les autres hommes, ne parviennent jamais à prouver une réalité contraire. Mais ils parviennent à prouver l'impossibilité d'une certitude, ce qui est finalement plus important encore. En somme, il s'agit d'un film sur la non-existence du vrai et sur la primordialité de ce point dans le cadre de la justice, c'est à dire celle qui met à mort des êtres humains. Il pose alors la question suivante: éthiquement, est-il juste pour une société de tuer des individus sur le biais de certitudes qui n'existent seulement que par l'acceptation générale ? La problématique devient encore plus vertigineuse et floue lorsque chaque juré, dans le sillon de la caméra, perd son caractère anonyme et devient un véritable personnage avec ses propres faiblesses, ses préjugés, sa condition sociale et sa propension à ne pouvoir se montrer objectif réellement, même quand l'accusé est un inconnu pour eux. Ceux-là deviennent les maillons authentiques de la synecdoque d'une société qui se remet en cause. Tous les liens entre les personnages, les affrontements ou les collaborations ne sont que les moyens de montrer une communauté qui s'éclaire dans le bon sens et démonte la voie de son couperet; tout cet élan provoqué par la bravoure d'un seul qui ne se laisse alors pas écraser par la masse d'abord désapprobatrice.
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La remise en perspective de la vérité et de l'illusoire (notamment cinématographique) qu'évoque le film sera aussi un sujet très bien développé dans Blow-Up de Michelangelo Antonioni, notamment à propos d'un meurtre supposé. Mais pour aller encore plus loin, je conseillerai vivement de découvrir Autopsie d'un meurtre d'Otto Preminger ou le plus récent mais néanmoins assez passionnant L'Hermine de Christian Vincent qui tous deux traitent de procès avec tout le souci du réalisme plutôt que du sensationnalisme, et n'ayant jamais pour point dans son dénouement une vérité quelconque, mais au contraire la bataille incertaine des preuves autour d'elle, et son éternelle méconnaissance.
Douze Hommes en colère de Sydney Lumet, sortie en 1957, est un des plus grands films de procès (sans procès) et un des meilleurs huis-clos. Il contient tous les plus fondamentaux éléments du cinéma pour tisser une intrigue d'une richesse infinie et qui ne vieillit pas tant qu'elle est pleine d'enseignements pour chaque génération qui aura la chance d'en faire le visionnage. Henry Fonda, un de mes acteurs favoris, y brille avec ferveur et incarne sans doute une des formes d'héroïsme les plus contemporaines du grand écran: l'homme qui persévère en dépit du nombre.
Léo Martin.