Carnet de voyage en prospective - Jour 5 - l'amour de la terre, pas le labour
12 décembre 2019 : 5ème journée de la 22ème Lab-Session de l'Institut des Futurs Souhaitables : où l'on découvre la recette de Bruno Parmentier : mêlez de nouveaux intrants chimiques bio-inspirés, de l'adaptation génétique, du big data agricole et de l'amplification écologique, et vous obtenez un beau plat d'agriculture écologiquement intensive, pour manger tous et bien en 2050.
Pour Bruno Parmentier, qui a du se faire un prénom pour éviter d'être dans la recette toute faite, le challenge de l'alimentation d'ici 2050 est assez simple. Il faudrait augmenter la quantité produite de 70%. "30% du fait de l'augmentation de la population, 30% du fait d'une plus grande consommation de viande. En effet, d'une part, lorsque le niveau de vie augmente, les populations mangent davantage de viande. Et d'autre part, un kilogramme de viande fait appel à davantage de végétaux : 4 kilogrammes de végétaux pour produire un kilogramme de poulet, 6 kilogrammes pour un kilo de porc et 12 kilogrammes pour un kilo de viande bovine. Enfin, plus on a de nourriture à disposition, plus on en gâche, je rajoute 10% pour cela."
Dans le même temps, la surface des terres cultivables par habitant diminue, de 0,267 hectare par habitant en 1980 à 0,192 en 2016, selon la banque mondiale. Moins de terres, plus de monde, il faut donc intensifier la production par hectare pour espérer nourrir bien tout le monde. Mais, depuis 25 ans, les rendements issus du modèle actuel d'agriculture stagnent. En France, cela veut dire : 8 tonnes par hectare en blé, 10 tonnes par hectare en maïs et 40 tonnes par hectare en pommes de terre. D'ici 2050, il y aura moins d'eau, moins d'énergie, donc moins de chimie et moins de mécanisation. Alors, comment résoudre la question du manger bien pour tous ? "Par une agriculture écologiquement intensive", répond Bruno Parmentier.
OK, mais qu'est ce que cela veut bien dire ? "Toute notre agriculture se méfie aujourd'hui de la nature. Il ne faut plus lutter contre la nature, mais il faut l'accompagner", poursuit Bruno Parmentier. Concrètement, cela veut dire changer de chimie et aller chercher des produits qui s'inspirent des 3,8 milliards d'années de R&D de la nature. Poursuivre l'amélioration génétique est essentiel. Il s'agit aussi d'utiliser plus fortement les données agricoles pour construire des outils d'intelligence augmentée pour maximiser l'efficacité des techniques. Par exemple, un capteur placé dans le rumen, un des quatre estomacs de la vache, permet de mieux suivre sa santé et donc diminuer le volume d'antibiotiques administrés. Enfin, tirer partie de ce qu'apporte la nature. "Sur la terre, on connaît assez bien les grosses bêtes. En revanche, on n'a pas encore vraiment exploré le potentiel des micro-organismes présents dans le sol. Seuls 10% des espèces du sol sont décrites. Et il y en a beaucoup. Un mètre carré de sol contient 260 millions d'organismes : acariens, collemboles, nématodes, protozoaires, myriapodes, lombriciens, diptères..."
Et me voilà parti à calculer celles présentes dans mon jardin potager, à Beaumont (Puy-de-Dôme) : 120 mètres carrés cultivés multipliés par 260 millions soit, 380 milliards de bestioles dans ce sol. 380 milliards ! Je n'en avais pas conscience. Ils m'aident donc à produire ces légumes que j'apprécie tant. "Dans ce contexte, le labour c'est de la folie. Sous prétexte d'enfouir les mauvaises herbes, on détruit l'équilibre intrinsèque du sol. Le plus important, c'est d'arrêter de labourer", appuie Bruno Parmentier, "De même, si vous observez bien la campagne, les sols cultivés sont nus pendant 6 mois de l'année. Et c'est souvent quand le soleil est le plus abondant. Il y a là un vrai paradoxe. On a une diminution des surfaces de terre et on les laisse sans couvert végétal pendant de longs mois. ."
Si c'est de la folie, pourquoi alors, tout le monde laboure ou bêche son jardin pour retourner sa terre. "Changer cette habitude est très difficile, car labourer est le symbole de l'agriculture depuis 3 000 ans. Si tu ne laboures plus, on va vite te dire que tu ne travailles pas et que ton champ est sale".
J'approuve ces propos. Hier, dimanche, je croise un voisin qui me dit "quand est-ce que tu bêches. C'est le moment, la terre est bien meuble. Tu devrais t'y mettre. Il n'est pas très beau ton jardin" C'est vrai que mon potager ne fait pas nickel. Je ne retourne plus mon potager depuis deux ans. Il y a un peu de tout partout, du BRF en paillage sur les sols nus, des cartons pour protéger le sol, des vesces semées après les pommes de terre. Pourtant, quel plaisir, en plein mois de décembre, d'aller récolter quelques carottes, deux panais, des navets d'auvergne, des cardes, de la mâche. Alors, cultivons l'amour de sa terre, pas le labour. Et faisons alliance avec la nature. Car, c'est en se plantant qu'on devient cultivé.
Si ce carnet de voyage vous plait, rendez-vous au prochain, qui racontera mon impression du 6ème jour...