Carnets de campagne - semaine du 12 février
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Carnets de campagne - semaine du 12 février

Jeudi 15 février


La Fédération française du bâtiment (FFB), sous l’impulsion de son président Jacques Chanut, organise un colloque important à l’Assemblée nationale sur les organisations patronales et leur financement. Le matin, un article dans l’Opinion dévoile le sondage commandé par la FFB à ce sujet, et qui est sans ambiguïté : nos organisations ont une mauvaise image auprès des Français, et ceux-ci veulent évidemment qu’elles se financent exclusivement grâce aux cotisations de leurs adhérents.


La mauvaise image du Medef et des autres organisations est à mon sens un faux problème. Dans un pays où une grande partie de la population continue de douter des bienfaits de l’économie de marché et qui rêve d’étatisme, il ne faut pas chercher à être aimé : ce serait renoncer à porter nos valeurs dans le débat public. Il faut en revanche être respecté : préserver la cohérence des discours et des actes, élever le débat au lieu de l’abaisser. Défendre sans relâche ce qui est nécessaire à l’entreprise, même si beaucoup refusent encore d’admettre que c’est la voie de l’intérêt général. C’est ainsi qu’on sèmera les germes d’un changement au long cours, pas en cherchant à se faire bien voir de ceux qui nous combattent.


Le rejet de tout financement public ou paritaire de nos organisations dans l’opinion est en revanche salutaire, et traduit probablement une ignorance totale de l’existence des financements actuels ! Même au sein des chefs d’entreprise, je constate souvent que beaucoup ignorent les circuits de financement directs et indirects, et n’ont par exemple pas repéré ce nouveau prélèvement de 0,016% depuis 3 ans sur les bulletins de salaire… dont le produit finance le Medef et les autres organisations patronales et syndicales. Plus de 90 millions collectés ainsi en 2016, tout de même, alors qu’une grande partie des entreprises qui l’acquittent n’adhèrent à aucune organisation bénéficiaire !


Tout ceci est évidemment archaïque et indéfendable. C’est le grand mérite de la FFB, l’une des plus grandes fédérations professionnelles, de mettre les pieds dans le plat et d’appeler le patronat à donner l’exemple. Pierre Gattaz et François Asselin, qui clôturent le colloque, en conviennent, même s’ils ont des divergences sur le timing et les alternatives. Le processus est donc lancé.


Alors que je propose cette évolution depuis des années et qu’elle est au cœur de mon projet pour le Medef, je savoure bien entendu cette journée en écoutant les intervenants qui se succèdent. Qui aurait pu imaginer un tel colloque organisé par un acteur aussi important du monde patronal il y a encore quelques années ? Quand j’ai publié fin 2016 pour l’Institut de l’entreprise l’étude « Faut-il en finir avec le paritarisme ? », les attitudes étaient encore timides sur le sujet.


Mais il faut aller plus loin. D’une part, il ne faut pas se contenter de la fin des financements « officiels ». Il faut aussi couper tous les ponts financiers avec des organisations que l’on dirige de fait ou de droit, car ce sont autant de conflits d’intérêts malsains. Je donne souvent cet exemple, plutôt bénin par rapport à bien d’autres : parmi les principaux « sponsors » de l’université d’été du Medef, on retrouve tous les ans les plus gros « groupes de protection sociale » (GPS), comme Malakoff-Médéric, AG2R, Humanis, Klésia… Or nous sommes l’organisation la plus représentée au sein des conseils de ces organismes ! Il n’est pas acceptable qu’ils consacrent une partie de leurs revenus à financer des actions ou opérations, ou pire encore du fonctionnement de ceux qui sont censés les gouverner et les contrôler.


D’autre part, comme l’évoqueront notamment dans la journée Julien Damon ou Agnès Verdier-Molinié, il est très bien de ne plus vouloir être financé par le paritarisme… mais il est encore mieux de se poser la question de son sens et de son intérêt pour les entreprises. C’est tout le cœur de la première partie de mon projet, « Pour un nouveau pacte social » : revisiter tous ces mécanismes au seul filtre de l’intérêt des entreprises et en privilégiant leur liberté.


Jeudi 15 février, toujours


L’Insee publie un taux de chômage en forte baisse, à 8,9% France entière. Comme mes collègues économistes, je suis surpris par l’ampleur inhabituelle de l’évolution trimestrielle (-0,7 point). Même si elle corrige d’une certaine façon la remontée surprise de ce taux au trimestre précédent, alors que les créations d’emplois et la conjoncture étaient déjà sur le même rythme. Et s’il est également possible qu’une correction opposée intervienne le trimestre suivant, car le « halo » autour du chômage (ceux qui voudraient un emploi mais ne sont pas recensés comme chômeurs au sens du BIT) a augmenté sensiblement fin 2017.


Quoi qu’il en soit, cette statistique tombe à point nommé pour relancer le débat sur le taux de chômage « structurel » dans notre pays. Le gouvernement veut bien sûr y voir une évolution de fond, qui serait liée à ses premières réformes, et qu’il imagine se renforcer. D’autres relèvent que le taux de chômage n’était « que » de 7,2% au premier trimestre 2008, ou encore de 7,7% au deuxième trimestre 2001, les deux planchers précédents. Rien d’anormal à ce que le taux de chômage baisse à nouveau nettement alors que la croissance s’est affermie. Mais certains estiment que le taux « d’équilibre » du chômage est plus élevé qu’avant, par exemple autour de 9%.


Je crains que ce taux hors effet conjoncturel soit en effet très élevé, et bien plus qu’ailleurs. J’ai exposé, notamment pour Challenges, le problème majeur de la taxation de l’emploi qualifié du fait du poids des cotisations employeurs. Celles-ci sont totalement exorbitantes : là où nos voisins ne font cotiser les salaires que jusque vers un niveau compris entre 3500 et 4500 euros par mois, et à des taux modérés, nous atteignons des taux plus de deux fois supérieurs à partir de ces montants de rémunération ! De ce fait, le pays tend à se spécialiser sur les activités à bas salaires, ceux sur lesquels on a concentré les allégements de cotisations, en atrophiant les secteurs à forte valeur ajoutée. Tout en découle, depuis notre commerce extérieur hyper déficitaire jusqu’à nos salaires très concentrés à proximité du Smic ou le faible niveau des marges des entreprises en comparaison de nos voisins. Les qualifiés ont des emplois, mais une partie d’entre eux, surtout chez les jeunes, occupent par défaut des emplois qui ne correspondent pas à leurs compétences, tandis qu’un gros contingent d’actifs moins qualifiés est lui repoussé vers le chômage.


L’autre sujet tabou, c’est qu’on n’atteindra jamais les 3,5 ou 4% de chômage que peuvent connaître nos voisins sans changer notre système social en profondeur. L’assurance chômage et les minima sociaux n’incitent pas, rationnellement, à l’acceptation d’emplois peu rémunérateurs à temps partiel, par exemple. D’autant que contrairement à la plupart des autres pays qui ont assoupli leur droit du travail, nous avons contraint de manière absurde le temps partiel, qui sauf dérogations ne doit pas être inférieur à 24 heures par semaine (et c’est un accord des partenaires sociaux qui est à l’origine de cette contrainte…). Résultat, nous nous privons de la possibilité de faire reculer fortement le taux de chômage comme ailleurs, car l’incitation au travail est tout simplement insuffisante. En Allemagne, où le taux de chômage dépassait les 11% en 2005, bien au-dessus du niveau français d’alors, l’effondrement régulier de cette statistique à moins de 4% aujourd’hui n’est pas le fruit du hasard : réforme drastique de l’assurance chômage en 2006, avec une durée d’indemnisation maximale ramenée de 26 à 12 mois, et un revenu d’assistance en fin de droits réduit à environ 350 euros par mois, tandis que les lois Hartz avaient développé différentes formes d’emplois, notamment les temps partiels courts. C’est un choix de société à opérer : préférer le taux de chômage le plus faible possible, y compris en renforçant les incitations à accepter tout emploi, ou au contraire s’accommoder d’un taux de chômage plus élevé. On ne peut en tout cas continuer à déplorer notre niveau de chômage, espérer atteindre les taux des pays où il est beaucoup plus faible et ne pas réformer nos mécanismes sociaux qui expliquent en partie cette situation.


Dernière observation : l’écart entre la mesure du chômage par l’Insee au sens du BIT et le nombre d’inscrits en catégorie A à Pôle emploi devient gigantesque, atteignant ainsi 1,2 million de personnes fin 2017. Ce qui signifie qu’environ un tiers des inscrits à Pôle emploi en catégorie A, qui n’ont donc pas travaillé du tout le mois écoulé, ne sont pas des chômeurs au sens du BIT car ils n’effectuent probablement pas de recherche active (ils sont a priori disponibles s’ils sont en catégorie A). C’est là aussi un indicateur important : une partie significative de la population n’a pas d’emploi, n’est ni en formation, ni en retraite, est inscrite à l’assurance chômage mais a tout simplement cessé de rechercher un travail. Un constat qui renforce le diagnostic précédent.


Samedi 17 février


Déplacement à la rencontre de dirigeants d’un Medef en territoire. Je suis toujours impressionné par l’énergie et la passion des militants de l’organisation. Leur engagement bénévole, alors qu’ils ont souvent déjà tant de préoccupations au titre de leur activité professionnelle. Leurs interrogations sur le sens et la pertinence de ce que fait le Medef, les difficultés à convaincre les chefs d’entreprise de rester ou de devenir adhérents. Leurs idées pour y remédier, sur lesquelles nous convergeons largement.


Cette campagne est passionnante pour toutes ces raisons. Tous ceux qui sont impliqués dans l’organisation sont convaincus du rôle majeur que nous pouvons jouer pour transformer notre pays. Et de la nécessité impérieuse de repenser de fond en comble ce que nous sommes et ce que nous faisons aujourd’hui.


Si l’archaïsme et les failles du paritarisme apparaissent à beaucoup, si son intérêt pour les entreprises pose problème à la plupart, deux doutes principaux subsistent. Le premier : s’il n’y a plus de paritarisme, ce qui le remplacera sera-t-il meilleur pour les entreprises ? C’est le grand argument des conservateurs du système : sans nous, ce serait pire. Mais rien ne le démontre. Et aurait-on pu avoir pire que ce record de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires ou ce déluge de normes sans paritarisme ? Nos voisins ne l’ont pas, et visiblement, leurs entreprises s’en portent mieux. Surtout, le statu quo empêche un pouvoir politique réformateur d’avancer. Il faut donc faire preuve de méthode, mais si l’Etat joue le jeu, il y a une occasion unique de modernisation de notre pays et d’allégement de nos contraintes. Deuxième doute, plus spécifique à notre organisation : si on n’a plus ces responsabilités, à quoi sert le Medef, et comment avoir des adhérents ? Tout d’abord, je suis convaincu que si ces responsabilités concernent les militants les plus engagés avec les mandats qu’ils occupent, elles éloignent beaucoup d’entreprises qui ont l’impression que c’est notre seul centre d’intérêt, et qui ne s’y retrouvent pas. Refonder notre système social en renvoyant vers l’Etat ou le marché ce qui est aujourd’hui paritaire, c’est donc la condition de notre renouveau. Par ailleurs, j’observe aussi que toutes les organisations d’entreprises les plus modernes et dynamiques autour de nous n’ont aucune de ces prérogatives : elles ne gèrent pas le moindre euro d’un budget paritaire et n’ont pas le moindre mandat à pourvoir. Il y a donc évidemment un « business model » pour le Medef hors du paritarisme. C’est tout le sens de la seconde partie de mon projet, « Pour un nouveau Medef »… qui arrive bientôt !


Bonne semaine à tous.

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