Carte blanche #7 : Allocation universelle : "The time is now" #moloko
La carte blanche dont vous êtes le héros | Au-delà de son aspect informatif, cette carte blanche est un organisme vivant : chaque chapitre apportera son lot de questions dont vos réponses enrichiront son contenu au fur et à mesure de sa rédaction.
Chapitre 7 - Allocation universelle : "The time is now" #moloko
Nous sommes tous dans le même bateau et ça va secouer sévère. Pourtant, vous allez survivre, rassurez-vous.
Si “propriété oblige”, nous ne pouvons pas vous emmener sur une mer agitée sans gilet de sauvetage. Car si nous sommes privés d’allocation universelle, beaucoup risquent de couler avec le navire (et pas toujours ceux qu’on pense). Elle devient la condition sine qua non pour tenir le coup dans ce changement brutal, déconcertant, étourdissant. Même si nous avons aussi merdé et que nous en sommes là à cause de vous, bande d’enfoirés.
Nous sommes sacrément convaincus de son indispensable rôle dans l’élaboration d’une vie meilleure. Nul besoin d’en faire l’apologie dans notre carte blanche (d’autres l’ont très bien fait). Nous ne ferons pas non plus mention de “oui, mais financièrement ça ne tient pas la route, ce n’est pas viable et qui c’est qui va payer tout ça”. Cela a été largement étudié et le débat n’est pas dans là. Seuls quelques arguments indispensables permettent de rendre le système de l’échelle des valeurs socialement acceptable sont présentés ici.
Nous avons la grande chance de vivre dans un État social où vous, autant que le patron de Jupiler, recevez un traitement efficace contre le coronavirus. En Belgique, le système de santé se veut relativement égalitaire : personne ne peut passer devant vous sous prétexte qu’il a du blé (et ça fonctionne à peu près bien). Pourquoi se plier à cette règle ? Parce que nous recevons les meilleurs soins de santé, peu importe l’état de notre compte en banque. Ça, ça déchire ! Et ça vaut la peine de se battre pour le conserver.
Avec l’allocation universelle, on étend le concept.
De quoi parlons-nous exactement ? “D’un revenu payé à chaque membre d’une société à titre strictement individuel, sans contrôle de ressources - donc aux riches comme aux pauvres - et sans exigence de disposition à travailler.” Un revenu inconditionnel : nul besoin de justifier ses motivations à bosser, son âge, ses disponibilités, ses choix. Pas de contrôle de la part de l’État. Plus de “êtes-vous activement à la recherche d’un emploi ?” ou de “oui mais vous êtes en incapacité de travail depuis quand exactement ?”… avec cette petite pression culpabilisante.
Avec l’allocation universelle, rien de tout ça ! Chacun recevrait tous les mois un montant à hauteur de (par exemple) 25% du PIB par habitant de son pays, qu’on appelle aussi revenu de base. Pour un rapide calcul, le curseur se place à près de 1000€ (964€ exactement) en Belgique. Et c’est tout.
Vraiment ? Non.
Ça change tout.
Dans un premier temps, changer radicalement de système induit une dose de stress non négligeable. Le changement flanque les miquettes à tout le monde. Le premier rôle de l’allocation universelle serait d’apaiser un certain nombre d’angoisses (la première avant toutes : qu’allons-nous devenir?) et de gérer ce stress de façon saine.
Imaginez voir apparaître sur votre compte en banque 1000€ tous les mois. Sans rien faire (badasse !!). Que faites-vous ?
Si vous en avez marre, ras-le-bol, que vous en êtes arrivé.e à débecter votre boulot, vous pouvez toujours passer à ⅘, ⅗, mi-temps. Vous pourrez passer plus de temps en famille, entre amis, faire du bénévolat, vous former à un autre métier, ou simplement vous adonner à ce passionnant cours de poney que vous avez toujours rêvé de suivre. Mais que, faute de temps et d’argent, vous repoussez à la pension généralement (pour être optimiste).
Quitter votre job peut également s’avérer vital pour votre santé mentale. Que diriez vous de lever la tête de ce rythme de dingue qu'on s'inflige, et de respirer ? Car si en plus d’écoper quotidiennement de la tête aigrie de votre “n+1”, vous ne trouvez pas le moindre élément épanouissant dans votre bullshit job, alors cassez-vous. Vous avez un filet de sécurité. Vous ne devez rien justifier pour obtenir votre allocation universelle. Pas de démarche administrative, pas de retard de paiement… Vous avez le temps de vous retourner pour trouver quelque chose qui vous plaît. Vraiment. Faire un temps d’arrêt dans votre carrière.
Finie aussi l’angoisse de lancer votre propre activité. Vous savez, celle qui vous démange depuis longtemps. L’indépendant d’aujourd’hui doit commencer par payer des charges avant de pouvoir espérer la moindre rentrée d’argent. Là, plus de pression. L’indépendant de demain aurait alors une marge de sécurité qui lui permettrait d’avoir davantage le coeur à l’ouvrage. (Plus besoin de faire de black en stoemeling pour survivre).
Avec une allocation universelle, que feriez-vous ? (promis, on n’en parle pas à votre boss)
Dans un contexte comme celui-là, on redistribue d’une certaine manière toutes les cartes. Ceux qui accepteront de se coltiner les bullshit jobs pourront exiger un salaire de ministre. Oui oui. Il risque d'y avoir vachement moins de volontaires tout à coup ! Pourquoi ceux qui nettoient les salles de classe (et leurs toilettes annexes) ne seraient pas mieux payés que ceux qui y donnent cours ? Le débat est ouvert, mais quand personne d’autre que Ronald n’acceptera un tel job aux apparences ingrates, mais à un salaire plus élevé, on revalorisera sans doute Monsieur Ronald.
Si personne ne veut travailler dans l’usine X de monsieur Y, il sera bien forcé de prendre en considération l’ergonomie, le temps de travail adapté et des toilettes séparées suivant les genres comme le demandent depuis 20 ans les ouvriers.
Qu’apporterait alors concrètement cette allocation universelle à la société qui en bénéficierait ?
Le super kiffe : les inégalités se verraient diminuer, vu qu’il s’agit d’accorder à tous une part de la richesse nationale créée par la collectivité. Aujourd’hui, vous réduisez ou perdez vos droits aux allocations dès que vous gagnez le moindre revenu. Du coup, les exclus du marché du travail sont enfermés dans leur éviction et maintenus dans leur condition précaire.
En parallèle, une limitation dans l’écart des revenus est essentielle. Un dirigeant d’entreprise ne pourrait gagner que 5 à 10 fois le salaire de son employé le moins bien rémunéré.
Oui mais : “l’égalité c’est un truc de loser, de pauvre type pas assez malin pour tirer son épingle du jeu et jaloux de la réussite des autres. C’est du nivellement par le bas, la République des Médiocres. Est-ce un crime d’être plus intelligent que les autres, plus performant ? Allons-nous vraiment étouffer nos purs sangs… ?” Dans un excellent ouvrage que nous vous recommandons chaudement, (“Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous”), les auteurs examinent consciencieusement comment se portent les sociétés, relativement à leur niveau d’(in)égalité. Le constat est sans appel : dans les pays davantage égalitaires comme le Japon ou la Suède, les indicateurs sont meilleurs en termes de santé physique et mentale, d’obésité, d’enseignement, de mobilité sociale, de grossesses précoces, de violence, de consommation de drogues, de bien-être des enfants. Et cela profite autant aux nantis qu’aux pauvres.
Si nous voulons d’ailleurs tous nous en sortir dans un contexte de crise, un château avec 17 salles de bains comme Céline Dion (info non sourcée, on avoue) ne servira pas à grand chose. Souvenez-vous : nous sommes dans le même bateau.
Nous voulons moins d’inégalités, mais aussi plus de liberté. L’allocation universelle représente la seule manière authentique d’étendre le concept de liberté à l’économie. Qu’est-ce qu’être libre économiquement si ce n’est être en mesure de décider ce qu’on souhaite faire sans être menacé.e par la faim ? Aujourd’hui en Belgique, nous sommes libres, parce que ¾ d’entre nous sont moyennement riches et protégés par l’État social (jusqu’à présent). Mais ¾ de l’humanité sont loin d’être aussi chanceux. Sans même évoquer les conditions scandaleuses dans lesquelles vivent hommes, femmes et enfants des pays du Sud, imaginez-vous seulement tomber malade du coronavirus aux USA sans assurance santé privée (comme 27 millions d’Américains). Vous faire soigner vous coûterait les yeux de la tête : de 9000$ si c’est une hospitalisation simple, à 35.000$ en cas de complications sévères. Même avec un bon boulot, vous avez la boule au ventre. Si vous n’avez pas de boulot, vous n’avez pas d’assurance. Pas d’assurance, pas de thune. Pas de thune, pas de soin. Pas de soin, … pas de soin. Et vous pouvez crever devant les portes de l’hôpital. Parce qu’on regarde d’abord si vous pouvez payer avant de vous entuber (oui, il y a un double sens)... Charmant n’est-ce pas ? Rien dans cette terreur ne peut faire l’éloge de la “liberté”. On en est là.
Et pourtant, c’est clair que le risque zéro n’existe pas… La plus grosse erreur serait de balayer par la même occasion du revers de la main le système de sécurité sociale. “On vous donne toutes les aides possibles en un package, et vous vous débrouillez avec ça!” Il va sans dire que la sécurité sociale belge a sa place aux côtés de l’allocation universelle. Ce n’est pas l’un ou l’autre, mais bien une complémentarité indissociable.
La réflexion sur un revenu de base existe depuis longtemps et les arguments ont été développés depuis plus de 30 ans. Quelques exemples pratiques ont tous un intérêt à être creusés davantage. Avec l’allocation universelle, nous voulons donner un message clair à chacun : nous sommes tous dans le même bateau, et il y a de la place pour tout le monde. Si nous voulons des changements radicaux dans notre société (et ils sont indispensables à notre survie), il va falloir sacrément secouer notre système économique. Impossible de prévoir toutes les conséquences de ces changements. Il n’empêche que nous voulons donner à chacun la même sécurité de ne pas tomber dans la misère.
C’est possible. Dans la crise actuelle, nous vivons avec un danger clairement identifié (le virus), et des règles obligatoires qui s’appliquent à tous de façon objective, qui sont respectées. Si demain nous réduisons drastiquement la consommation d’énergies fossiles, et que la règle est la même pour tout le monde, elle sera systématiquement appliquée, quelle que soit la frustration engendrée. Elle le sera d’autant mieux que personne ne sera abandonné.
“Un revenu inconditionnel est avant tout un instrument d’émancipation”. Ce serait la seconde étape. Après avoir changé de système, bouleversé nos habitudes, nos coutumes, après avoir vaincu la tempête, nous devons continuer à naviguer vers l’équilibre d’une vie désirable. D’autres l’écrivent mieux que nous : il faut passer à l’État résilience. Dans leur “proposition pour un retour sur terre”, quelques-uns de nos penseurs contemporains avancent toute une série de mesures tellement balaises que nous avons envie de vous en présenter l’une ou l’autre. Ils imaginent un État résilience, qui offrirait “une garantie de solidarité, universelle, à proportion des revenus de chacun, et couvrant l’ensemble des risques, y compris les risques écologiques. Il s’agit de faire de la “sécurité” un horizon de civilisation, dans un monde instable et menacé par le réchauffement climatique et les bouleversements écologiques sans précédents… Dans un tel monde, la sécurité sociale devient une valeur essentielle, et la garantie d’une vie stable le substitut de l’appétit pour le “gain” et la distinction sociale par l’avoir qui avaient caractérisé l’imaginaire social du capitalisme.”
Ils sont même allés plus loin avec la création d’un nouveau type d’allocation : le Revenu de Transition Écologique (RTE) qui, selon nous, s’inscrit parfaitement dans le chapitre 5 pour une transition réussie. Dans le cadre d’une Coopérative de la Transition écologique (CTE), il rémunère des personnes qui se lancent dans des activités orientées vers l’écologie et le lien social. L’intérêt ? S’appuyer sur des personnes, des réseaux et des structures qui existent déjà et deviennent les principaux acteurs de cette CTE. En France, il existe ce type de coopérative, dont la seconde est en cours de création en Aude. Grâce à la RTE, nous pourrions “construire un nouveau modèle économique, écologique et social, fondé sur un processus bottom-up”.
Quelle activité pourriez-vous lancer dans ce contexte ?
Quand on vous dit que ça change tout...
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Cette carte blanche est coécrite par le collectif des slips en fougère, une bande de quelques idéalistes qui ont à coeur de partager leurs réflexions sur ce que nous vivons au regard du changement climatique. Ce texte n’a d’autre prétention que de donner quelques semences d’inspiration pour répondre à la question : comment est-il possible de combiner une vie désirable tout en diminuant drastiquement notre empreinte environnementale ? Il est destiné au grand public, mais aussi aux politiques qui nous gouvernent. Son objectif ? Agir et faire réagir. D’ailleurs vous serez souvent bouleversés, parfois choqués. Et alors ?