Cette crise du coronavirus sera un test pour mesurer la prudence et le courage de nos hommes politiques.
La familiarité de nos grippes françaises récurrentes depuis des années après les fêtes ne nous tétanise plus malgré leur virulence. On s’y attend, on s’y prépare. Elles appartiennent à notre paysage national et font partie de nos marronniers saisonniers. À l’inverse, l’étrangeté de ce nouveau virus, provenant d’un pays aussi lointain en distance qu’en mœurs, éveille nos craintes.
Les questions de santé publique atteignant rarement un niveau de certitude absolu, nos craintes redoublent. Pourquoi les propos d’un médecin ou d’une organisation de la santé ne nous semblent-ils jamais suffisamment rassurants? Parce que la science se caractérise par une incertitude intrinsèque.
L’argument scientifique étant de la forme: «A est vrai, tant qu’on n’aura pas prouvé le contraire ou apporté des ajustements à A», le simple fait d’envisager qu’une vérité puisse être infirmée ou modifiée nous apparaît comme un risque. Le risque suscitant la crainte, et l’esprit humain truffé de biais cognitifs croyant immédiatement ce qu’il craint, là encore l’inquiétude peut rapidement l’emporter sur la rationalité.
Le réel n’étant jamais aussi ordonné que notre esprit de contrôle le souhaiterait, dès qu’un phénomène s’avère complexe, mondial, multi-factoriel, son évolution reste imprévisible et nos réflexes d’angoisse se renforcent par cette ignorance inévitable.
Pour être parfaitement compris, les énoncés scientifiques nécessiteraient des connaissances peu accessibles à la plupart d’entre nous. Aussi est-il tentant de préférer aux difficiles exigences du savoir la simplicité des raisons d’avoir peur. Les recherches médicales s’avèrent souvent anémiées en nutriments médiatiques. Sans punchline ni bons mots répétables à l’envi, le discours scientifique pâtit de son caractère complexe et désenchanteur dans une société du sensationnel simpliste.
Face à l’incertitude, c’est clairement la fiction du pire qui domine aujourd’hui les réseaux et les chaînes d’infos. Le temps long de la connaissance ne peut suivre le temps court médiatique. Pas le temps d’approfondir les hypothèses, la concurrence est rude, le marché de l’info est darwinien, seuls les meilleurs, c’est-à-dire les plus efficaces, les plus rapides résistent dans le paysage médiatique.
Pour impacter médiatiquement, plusieurs conditions doivent être réunies. Il faut inclure et alarmer, ce que fait à merveille ce virus. Il nous concerne potentiellement tous et s’avère mortel. On peut enfin parler d’un sujet d’actualité moins complexe que le conflit syrien, moins technique et barbant que la retraite à points. Et enfin, il est inédit. Trois conditions de pandémie sur les chaînes d’infos. Quant aux réseaux, le contenu dépend de la motivation des internautes. On y trouve ce qu’on recherche et on recherche dans ce qu’on trouve. Les bulles de filtrage entretiennent un circuit fermé de l’information et donc une contagion en boucle des craintes motivant les recherches.
Pour toutes ces raisons non exhaustives, nos angoisses se comprennent, s’expliquent, se propagent. Néanmoins ces bonnes raisons sont-elles raisonnables? Ce sentiment de peur, compréhensible et bien légitime, est-il pour autant juste et pertinent? «Un homme, ça s’empêche», écrit Camus dans Le Premier Homme. Ça s’empêche de céder aux passions dangereuses, aux errances de jugement, aux opinions faciles, à l’alimentation d’une psychose précautionniste.
Faire preuve de prudence est une chose, tomber dans un précautionnisme strict en est une autre. Celui-ci consisterait à appliquer à la lettre la recommandation de H. Jonas dans Le Principe responsabilité (1979): «In dubio pro malo.» «Dans le doute opte pour le pire» est un adage bien sage, mais ne fait que révéler la paralysie de l’intelligence humaine face à l’incertitude.
Souvenons-nous du malheureux précautionnisme de Roselyne Bachelot en 2009. La commande, en juillet 2009, de 94 millions de vaccins afin de faire face à la pandémie annoncée de grippe H1N1. Un chiffre astronomique que la ministre de la Santé de l’époque, avait justifié par les prévisions alarmistes des épidémiologistes. La grippe A s’étant finalement - et heureusement - révélée moins dramatique que prévu, les Français n’avaient été que 6 millions à se faire vacciner!
La catastrophe sanitaire n’étant là encore pas strictement impossible, le scénario du pire a toutes les chances de reproduire le syndrome de Bartleby (personnage d’une nouvelle de Melville parue en 1853) qui par son attitude craintive paralyse toute forme de prise de risque en invoquant systématiquement la formule «I would prefer not»). Aussi serait-il dangereux de substituer à l’action politique cette éradication du moindre risque.
La véritable prudence, «l’œil de l’âme», disait Aristote, est cette capacité à décider et agir dans l’incertain. Aussi devrait-elle être la qualité suprême des hommes d’État, régulièrement confrontés à des situations humaines nouvelles et singulières, et qui de ce fait n’ont aucun moyen de choisir en toute connaissance de cause. L’opinion générale surestimant par angoisse les dangers, les situations à risque sont de nature à faire diverger l’opinion publique et l’intérêt du pays. Or l’opinion publique pèse sur la décision politique, ce qui n’est pas un mal en soi, mais devient problématique quand elle ne va pas dans le sens de l’intérêt collectif mais dans celui d’une tétanie généralisée.
Que les politiques soient attentifs aux inquiétudes sanitaires est une chose, tomber dans le populisme catastrophiste et indexer la décision politique sur les tendances de l’opinion en est une autre. Cet épisode sanitaire reste donc un test idoine pour mesurer le courage et l’intelligence d’action de nos décideurs politiques. Sont-ils capables - pour servir l’intérêt général - d’agir par-delà la crainte légitime et bien compréhensible de l’opinion publique?
Commercial spécialisé en agroalimentaire avec expertise en négociation client
4 ansJulia de Funès superbe article mais qui aurait pu faire mieux , ce n'est pas une question philosophique , c'est la réalité de nos gouvernements qui ont traité au mieux "l incertitude" , quant à la santé ce n'est pas un sujet de moralité mais un recours pour mieux être face à la maladie , qui est prés à jeter sa carte vitale dans le fleuve de la philosophie. allez demandez à un vietnamien ou à un malgache ce qu'est une carte vitale. c'est une carte qui parfois est vitale pour son détenteur.
Engineering Manager
4 ansMerci pour cet article. Ce sont certaines de nos réponses à nos propres questions et non la science qui peuvent se caractériser par une « incertitude intrinsèque ». Le doute, nécessaire à toute démarche scientifique, fait le lit du relativisme et des théories du complot quand il se fait général et radical. Il est pourtant chaque jour démenti par les progrès scientifiques. Contre Pyrrhon, l’esprit est bien assez puissant à connaitre la vérité. Et si la science se constitue bien comme connaissance objective d’abord approximative, les vérités scientifiques absolues existent, y compris sur des questions de santé. Ainsi les propos des médecins conduisant à des craintes sont plutôt le fait du manque de connaissances sur ce virus à ce jour. C’est donc plus l’ignorance et son aveu qui suscitent la crainte que le risque de réfutation d’une connaissance jusqu’alors considérée comme vraie ! Popper n’est pas si populaire. Quant aux craintes suscitées par le soi-disant manque d’intelligibilité des connaissances scientifiques, celles-ci naissent surtout des croyances triviales proférées par des ignorants qui flattent le bon sens ordinaire mieux que ne sauraient le faire les connaissances scientifiques souvent contre-intuitives. Le manque d’effort fait la part belle au populisme scientifique ! Bachelard l’a décrit parfaitement : l’opinion pense mal, elle ne pense pas. Sur la prudence, celle d’Aristote, je vous rejoins, elle manque cruellement de nos jours. Toutefois, elle n’est pas l’exclusivité des politiques. On peut s’attendre de tout Homme qu’il agisse comme il convient avec sagacité. Or cette vertu n’est pas la mieux partagée. Ainsi, pointer la responsabilité de la science et des politiques (voire des algo de LinkedIn) dans l’évolution de cette crise ne doit pas nous exonérer de notre propre responsabilité individuelle, au risque de flatter un sentiment anti-élites.
Fondateur de Dataway
4 ansDeja dans la société occidentale en général qui se manifestent par seulement dans l'acte de consommer le DP dans les nouvelles spiritualités , dans le marketing relationnel etc... etc...
Fondateur de Dataway
4 ansAntoine Peillon le New Age n'ayant pas marché à la sortie des années 60 mi 70 en raison de certains délires alors c'est pour ça en autres raisons qu'on est entré dans le Next Age ou l'individualisme ou le bricolage spirituel etc... ✌