Chapitre 2 – les admissions – ou comment gérer un mouton de Panurge

A force de craindre le pire, je fus ravi de trouver la porte ouverte sur le vaste atrium des admissions, étrangement désert comparé à mes précédentes visites. On eut dit que l’endroit était privatisé pour les happy few ! Cela me rappela la conférence TED du psychologue Barry Schwartz et son secret du bonheur ; low expectations ! Instinctivement, mes yeux balayèrent la salle et se posèrent sur quelques patients arrivés avant moi. Un couple d’une soixantaine d’années, une jeune fille en béquilles avec ses parents attentionnés, et une autre personne seule. Je saisis la joie de faire comme mes semblables, me dirigeai vers le même endroit sans plus y réfléchir, avisai un distributeur de tickets sur le parcours et récupérai le numéro 005. Le double zéro évoqua chez moi les aventures de James Bond, et je m’amusais à imaginer que j’étais un agent spécial blessé en mission qui venait se faire soigner incognito. Dans le SONCAS c’est l’orgueil qui se réveille ici. Puis je réalisais aussi que malgré mes efforts je n'avais pas été le premier sur ce coup-là. Comment des gens avaient-ils pu arriver avant 7h du matin aux admissions de l'hôpital alors que c'était l'heure de ma propre convocation. Oui je suis finalement assez orgueilleux et j'aime chaque fois que c'est possible être le meilleur mais pas au prix de la prétention ou de blesser l'autre car la sympathie est aussi un besoin essentiel pour moi. C’est presque pathologique chez moi de vouloir bien s’entendre avec tout le monde, et de souffrir de ne pas être bien avec toutes et tous. C’est surement l’une des tendances qui m’ont poussé vers la négociation au point d’en faire mon métier ! Comme la sympathie s'accommode mal de l'arrogance, j'essaye d'être le meilleur discrètement. Mes meilleurs ennemis pourraient vous l'assurer ; dans l’excellence, je suis un homme toujours discret !

Le ticket 003 était affiché sur un tableau numérique rouge et devait donc être servi par l'unique agente qui seule assurerait l'accueil à cette heure très matinale. J'étais étonné et admiratif de voir une personne seule dans un espace aussi grand, assurant avec beaucoup de sérieux et tant de responsabilité l'admission des patients pour qui cette matinée et cette journée étaient nécessairement très importantes.

Le 004 fut appelé et ne se présenta jamais. Était-il déjà reparti en mission spéciale ? Ce fut mon tour. La charmante hôtesse, légèrement maquillée, concentrée et attentive me demanda mon dossier et quand je lui répondis que j'avais déjà fait ma pré admission 15 jours auparavant, elle me regarda sans s’énerver, sans juger, sans dominer, sans soupirer, sans rouspéter et m’indiqua l’escalier qui menait à l’étage inférieur pour me rendre directement au service d'accueil ambulatoire où l’on devait m’attendre. Je venais de recevoir une belle leçon de management. S’en tenant aux faits, l’hôtesse m’avait parlé avec les états du moi Adulte-Adulte, suivant le vocabulaire de l’analyse transactionnelle inventée par le célèbre psychiatre Eric Berne. Elle m’avait en quelque sorte épargné.

J’avais donc patienté 10 minutes pour rien, en faisant la queue au mauvais endroit, illustrant parfaitement le récit de Rabelais . Avant même l’anesthésie locale et générale, j’avais reproduit le comportement des moutons de Panurge. Finalement, mon vrai numéro ce matin, c’était un peu triple zéro. 

À suivre Chapitre 3 – l’accueil des hospitalisations ambulatoires – comment réussir sa prise de contact

SONCAS acronyme rassemblant 6 leviers de la motivation : Sécurité, Orgueil, Nouveauté, Confort, Argent, Sympathie

[2] Le Quart Livre : François Rabelais