Chauveau-Lagarde, défenseur de Marie-Antoinette et avocat des causes désespérées
Chauveau-Lagarde n’a eu que quelques heures à peine pour préparer la défense de l’accusée. A 37 ans, ce fils de maître-perruquier, né à Chartres, est déjà un avocat réputé dont le principal « fait de prétoire » est d’avoir obtenu, le 16 mai 1793 et à la surprise générale, l’acquittement du général Miranda, aide de camp du « traître Dumouriez », devant le Tribunal révolutionnaire. Excellent orateur, modeste et courageux, le voilà cette fois commis d’office, le 12 octobre 1793, à la défense de « Marie-Antoinette de Lorraine d’Autriche, âgée de 37 ans, veuve du roi de France » ou « Veuve Capet » selon la terminologie révolutionnaire.
« Une femme, la honte de l’humanité et de son sexe, la veuve Capet, doit enfin expier ses forfaits sur l’échafaud. » Jacques-Nicolas Billaud-Varenne, 3 octobre 1793.
Le décret d’accusation de Billaud-Varenne a été voté le 3 octobre 1793 et la Reine interrogée le 12 par Herman, président du Tribunal, en présence de Fouquier-Tinville, accusateur public. Le 13, Chauveau-Lagarde rencontre la Reine à la Conciergerie, puis prend connaissance de son interrogatoire et de son acte d’accusation. Il sollicite sans succès un délai, rédige le soir sa plaidoirie. Il prendra en charge les accusations d’intelligence avec l’étranger et de dilapidation des deniers publics tandis que Tronçon du Coudray, qui l’assiste, répondra aux accusations d’intelligence avec les ennemis de l’intérieur.
« Rien ne saurait égaler l’apparente gravité de l’accusation, si ce n’est peut-être la ridicule nullité des preuves ». Claude-François Chauveau-Lagarde, 16 octobre 1793.
Près de 41 témoins vont se succéder, à partir du 14, dans la « salle de la liberté » du Tribunal révolutionnaire, où nos rois tenaient jadis leurs lits de justice et où siège à présent la première chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris. Chauveau-Lagarde insistera sur l’absence de preuves formelles comme d’aveux, une opinion publique hostile ne pouvant par ailleurs servir d’élément à charge. Accusée le 15 par le pamphlétaire Jacques-René Hébert d’inceste avec le jeune Louis XVII, Marie-Antoinette s’indigne : « J’en appelle à toutes les mères ! » L’opinion s’émeut ! Le Tribunal révolutionnaire comprend qu’il est allé trop loin: il est temps de conclure. Au petit matin du 16 octobre 1793, Chauveau-Lagarde lance ses dernières forces dans la bataille, dans une plaidoirie de deux heures dont la partie finale sera largement improvisée. Le président Herman conclue le procès par un résumé des débats. Les jurés ayant répondu positivement à tous les chefs d’accusation portés à l’encontre de la Reine, Fouquier-Tinville requiert la peine de mort. Condamnée par Herman, Marie-Antoinette est exécutée le jour même, à midi et quart, place de la Révolution, actuelle place de la Concorde.
Survivre pendant la Révolution
Chauveau-Lagarde et Tronçon du Coudray sont brièvement convoqués après le procès par le Comité de sûreté générale. Chauveau-Lagarde défend ensuite sans succès Madame Elisabeth, sœur du roi Louis XVI, guillotinée le 10 mai 1794. Puis il retourne à Chartres, où il est arrêté en raison de ses sympathies supposées (et réelles) à l’endroit des contre-révolutionnaires. Emprisonné à la Conciergerie, il est libéré après la chute de Robespierre (9 thermidor an II/27 juilllet 1794), qui le sauve de l’échafaud. Il se marie à Chartres en novembre 1794. Accusé en 1795 d’être impliqué dans l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire, il est condamné à mort par contumace. Se constituant prisonnier, il est jugé et finalement acquitté.
L’avocat des causes désespérées
Sa carrière se poursuit sous l’Empire, où il défendra notamment les intérêts de l’impératrice Joséphine après son divorce avec Napoléon. Il sera fait chevalier de la Légion d’honneur, deviendra avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation avant de servir au Conseil du Roi et en Cassation sous la Restauration. Charlotte Corday (juillet 1793), procès des Girondins (octobre 1793), Madame Roland (novembre 1793), « vierges de Verdun » (avril 1794), général Bonnaire (1816), "affaire Bissette" (1824)… Chauveau-Lagarde fait figure d’« avocat des causes désespérées », en particulier pendant l’épisode révolutionnaire où, il est vrai, les têtes peinent à rester en place. Il meurt le 19 février 1841 et est inhumé au cimetière du Montparnasse. On peut lire, sur sa tombe, l'épitaphe suivante: "Ci-gît Chauveau-Lagarde, avocat de la Reine au procès de 1793".
Pour aller plus loin:
"Juger la reine : 14, 15, 16 octobre 1793", par Emmanuel de Waresquiel.
"Chauveau-Lagarde, ses causes les plus remarquables de la Terreur à l'après-Thermidor", par Bernard Berdou d'Aas.