Cher Milton....(Economie)
Si vous avez découvert avec effroi la vacuité et l'absence de jugement de la majorité de nos dirigeants ("leaders") tels qu'ils transparaissent au travers de leurs livres de chevets avoués au journal économique français Les Echos, si vous jugez qu'ils sont tous atteints d'un tropisme gauchisant et d'une ambiance post sixties, je vous conseille de profiter de vos vacances pour décrocher de votre smartphone et vous plonger dans la lecture originale de classiques de la littérature économique comme "Capitalisme et Liberté" (1962) du Prix Nobel d'Economie Milton Friedman, réédité en version française chez Flammarion.
Comme souvent, l'original vaut mieux que les commentaires ou les critiques et on ne peut que déplorer l'image trés critiquable du maître qu'en ont donné certains de ses disciples ("Chicago boys") y compris familiaux. Milton Friedman a traversé le XXeme siècle en honnête homme malgré les dérives et raccourcis, qualifiés d"ultra-libéraux" ou "anti-sociaux" par leurs opposants, de certains des régimes soutenus par ses disciples ou ceux qui se réclament, souvent abusivement, de lui. On peut regretter qu'il ne soit connu en France qu'à travers ses opposants étatistes et fort peu par les libéraux...
Contrairement aux idées reçues, "Capitalisme et Liberté" n'est ni anarcho-libertaire ni anti-social et encore moins raciste. Friedman y précise bien qu'il se considère libéral et non anarchiste. Il défend l'individu et la responsabilité individuelle contre l'interventionnisme d'Etat mais reste conscient que tous les individus n'étant pas "vertueux", on ne peut se dispenser de quelques mesures étatiques. Il n'est pas anti-social non plus et consacre un chapitre entier aux plus pauvres. Mais son approche face aux problèmes reste la confiance en la responsabilité individuelle et une pragmatique méfiance vis-à-vis des interventions étatiques autoritaires ou collectivistes. Pour lui, l'intérêt général est une notion abstraite trop souvent utilisée pour limiter les libertés des individus....
Sur le plan technique, même en matière monétaire,"Capitalisme et Liberté" défie les idées reçues. Les clichés quantitativistes simplistes, attachés pendant de longues années à l'Ecole monétariste de l'Université de Chicago où il était professeur et qui influencent encore, parfois dramatiquement, les institutions monétaires, n'étaient pas présents dans "Capitalisme et Liberté". A l'époque Milton Friedman pensait, je cite: "....Il est indéniable qu'il existe un rapport étroit entre les actions monétaires et le niveau des prix. Mais ce rapport n'est ni si étroit, ni si invariable, ni si direct que l'objectif d'un niveau stable des prix soit un guide approprié pour les activités au jour le jour des autorités monétaires....". Peut-être avait-il anticipé les travaux de l'un de ses détracteurs, l'économiste Wicksell, analysant la période de taux d'intérêts et d'inflation trés bas à la fin du XIXeme siècle. En tout cas les pères de la BCE et les traders apprécieront.
Trés modeste, Milton Friedman croyait encore dans sa Préface de 2002 que sa gloire et le succès de ses idées étaient surtout le résultat des circonstances et des échecs des politiques dirigistes de ses opposants.
Milton Friedman n'aurait sans doute pas aimé, sauf pour de brefs moments, être français au XXème siècle. Il se serait demandé par quelle ambivalence ou manipulation politique, une pays comme la France, qui a la Liberté pour devise, peut être parmi les pays les plus enclins à y renoncer au profit de bureaucraties étatiques ou de réglementations liberticides envahissantes. Contrairement aux autres pays occidentaux, la France n'a pas connu sa cure de détox libérale et reste encore globalement socialo-étatiste et keynésienne, au point d'être devenue championne du monde développé en matière de dirigisme étatique. Mais là comme ailleurs, les nécessités économiques et les abus interventionnistes pourraient y rendre Milton Friedman "nécessaire"....Il y reste en tout cas plus pertinent que Karl Marx et Thomas Picketty ....ou Maurice Allais...Si l'idéal français de Liberté aurait pu le séduire, en tant que juif conservateur il aurait sans doute laissé l'utopie égalitaire aux jésuites et la fraternité aux psychanalystes.
Plus prosaïquement, alors que le G20-Finance se tortille dans tous les sens pour trouver un consensus sur des interventions publiques tout en luttant contre le protectionnisme rampant, les arguments pour le libéralisme commercial et le laissez-faire de Milton Friedman dans les années 1960-80 pourraient redevenir d'actualité voire nécessaires.