Co-agulation
"Quand la colle des post-it englue l'entreprise"

Co-agulation

#innovation #management #transformation #rh #intelligencecollective #assurance

Coco sans Chanel

Après Chanel une autre mode CoCo s’impose depuis quelques années. Co-Co comme Cortège Collaboratif : co-design, co-création, co-idéation, co-innovation etc. En tête de ce cortège d’assonances et de néologismes parade la déesse de l’intelligence co-llective.

Une déesse dont les vertus ne sont évidemment plus à vanter. Mais une déesse dont les pouvoirs s’estompent lorsqu’elle est aveuglément vénérée comme le recours universel aux impasses stratégiques ou manageriales. Et là est bien le problème.

En coulisse de l’intelligence collective

Car si l’IC (intelligence collective) assemble efficacement les compétences individuelles au profit d’une construction commune, facilite l’expression et l’acceptation des divergences de points de vue, libère du carcan hiérarchique le temps des échanges, son exploitation abusive et lourdement revendiquée n’est pas sans inconvénient. 

Il devient en effet tentant de se retrancher derrière la doxa du collectif pour s’affranchir de toute responsabilité. Le consensus mou trop souvent recherché retarde ou empêche les prises de décision alors que l’environnement, lui, poursuit son accélération. Discussions sans fin et « réunionite » finissent par miner l’organisation et les individus, et font exploser les coûts. Bref, si elle est conçue comme une fin en soi ou invoquée sans réserve, l’IC peut se révéler fort couteuse, incuber les germes d’une perte de leadership, ou masquer l’absence de vision.

Sophismes

Le numérique (qui n’est évidemment pas une mode) et la culture de ses emblématiques entreprises ont fort salutairement dopé la quête de transversalité et de partage créatif qui inspirent CoCo. 

Mais au terme d’un étonnant sophisme, un amalgame a pu se figer dans l’esprit de certains : en s’adonnant aux rites du Cortège Collaboratif, on rejoindrait de facto la modernité du digital et la communauté des innovateurs. Mieux encore, on incarnerait la mythique entreprise x.0, le facteur x faisant d’ailleurs l’objet de telles surenchères que l’on ne sait plus trop s’il faut aujourd’hui revendiquer 6.0 ou 7.0 pour se démarquer du peloton.

Les nouveaux InC’Oyables et Me’veilleuses

Au lendemain de la Terreur, une divertissante mode fut lancée en France par d’excentriques élégants, les Inc’oyables et les Me’veilleuses. Outre la singularité de leur accoutrement et de leurs expressions linguistiques superlatives, ils affectaient une nouvelle manière de prononcer les mots, en adoucissant à l’extrême, jusqu’à les omettre, les « r ». La mode CoCo a vu naître leurs descendants. 

Comme leurs illustres prédécesseurs, les nouveaux inC’Oyables et Me’veilleuses se co-optent, se co-gratulent, tiennent salon, se remettent mutuellement des prix et surtout se reconnaissent instantanément entre eux par leur langage savamment codé. Il faut bien avouer que « je file à la Factory pour un atelier de co-idéation sur l’UX » sonne infiniment plus sexy que « j’ai une réunion Métaplan sur le processus client ».

Quand la colle des post-it englue l’entreprise

Ce Métaplan rappelle au passage que la mode est cyclique. Ainsi, 30 ans nous séparent de l’engouement pour ces planches et mallettes qui recelaient déjà les précieux outils de la communauté créative que sont post-it et stabilo. Mais il est vrai qu’à l’époque le street art et les manga n’avaient pas encore inspiré les magnifiques frises graphiques résumant désormais le déroulé des séances et ornant avantageusement le fruit des productions collaboratives.

Ces séances colorées exposent aux mêmes travers potentiels que ceux d’une overdose d’IC. Lorsqu’elles se multiplient à l’envi sans discernement quant à la valeur réellement produite, elles engluent l’entreprise jusqu’à la coaguler, tout en consommant un temps vertigineux. 

Elles ne sont pas non plus dénuées de biais, involontaires ou non. Observez le moment où l’animateur proclame : « bon, cette idée est la même que celle du post-it précédent, je les regroupe donc »… Est-ce vraiment la même ? A quelle synthèse ou pondération aboutirions-nous si l’on avait rapproché ce post-it d’une autre idée, finalement tout aussi « voisine » ? Amusant de retrouver là les mêmes problématiques que celles adressées par les algorithmes séparant un jeu de données en groupes distincts homogènes. Peut-être les biais de l’IC mériteraient-ils d’être autant commentés que le sont aujourd’hui les biais de l’IA…

Perméabilité durable

Une mode, en soi, n’a rien de péjoratif. Nous, dirigeants, entreprises, avons été et resterons d’ailleurs probablement perméables à ces modes successives, tout du moins à certaines.

Perméables pour de bonnes raisons : les approches sous-jacentes sont le plus souvent pertinentes, qu’elles soient basées sur des observations scientifiques ou sur des principes relationnels de bon sens, conceptualisés et « mis à l’échelle » pour l’entreprise. Elles participent de la recherche permanente de méthodes de management adaptées aux complexités des organisations, des relations inter-personnelles, de l’économie et des tendances socio-culturelles du moment.

Mais aussi, parfois, perméables pour de moins bonnes raisons que sont le mimétisme, le recours à la facilité, ou la seule recherche d’un étendard à hisser bien haut pour gagner le concours de beauté. Reste également que ces modes successives génèrent le précieux carburant d’influents cabinets de conseil et gourous… carburant présentant l’immense avantage d’être « renouvelable » puisque ces modes se succèdent les unes aux autres.

Au-delà de la parodie

Parti pris ? Parodie ? Sans doute car nous avons compilé là un florilège de situations et de postures que d’aucuns jugeront extrêmes, non représentatives, ou effets collatéraux mineurs au regard de tous les avantages. Mais puisse alors cette courte promenade parmi les figures les plus carnavalesques du Cortège Collaboratif suggérer cinq contrepoints à la mélodie ambiante.

1) D’abord, conservons en toute circonstance recul et sens critique, et osons un minimum d’autodérision. Les trop systématiques « politiquement correct » et « bien-pensant » d’entreprise siéent finalement assez mal à l’esprit de liberté qui irrigue l’innovation.

2) Orchestrer tactiquement les rouages des méthodes collaboratives dites de transformation ou d’innovation ne doit pas pour autant obérer d’autres réalités humaines plus individuelles : l’affirmer finirait presque par sonner ringard, mais le succès stratégique et la véritable innovation nécessitent aussi intuition, audace, rébellion, persévérance, alternance de phases de conviction et de doute, résilience, capacité à affronter une opposition largement majoritaire, et bien sûr réelle prise de risque. Sans aucun de ces catalyseurs, le collectif le plus fluide et le mieux outillé du monde aura du mal à voire naître mécaniquement l’étincelle tant attendue. 

3) Les méthodes sont comme les modèles : elles ont leurs conditions et champs d’application, au-delà desquels elles peuvent se révéler contre-productives. En abuser les dessert. Préservons leur efficacité.

4) La gestion du temps est clé. Le temps passé dans les diverses messes collaboratives est un prix à payer dont le retour sur investissement est attendu lors de l’accélération que l’appropriation large est supposée permettre ensuite. Cette équation n’est cependant pas universelle. Dans un monde violemment concurrentiel lui-même en constante accélération, le temps engouffré au départ peut disqualifier s’il crée un retard tel que tout rattrapage devient illusoire. 

5) Enfin, il en est de la mode d’entreprise comme de la mode vestimentaire : chercher le chic en empilant systématiquement sur soi les plus flamboyants atours du moment finit par nous transformer en sapin de Noel. Et ce n’est déjà plus la saison… alors bonne et heureuse nouvelle année !

Audrey Lambert

Responsable études et projets marketing chez MAAF Assurances - Groupe Covéa

4 ans

Ah ces ateliers interminables qui aboutissent bien trop souvent soit à rien, soit à un nouveau atelier pour « peaufiner » soit à une idée «fade » que l’on aurait pu coucher sur le pied en une minute à son bureau. Dommage car il y a du bon dans ces méthodes. Il faut toujours garder un objectif clair et un esprit critique en mettant en place ce type de méthode! Merci Jean Louis de nous rappeler cela via cet article!

Philippe SIMON

Business Advisor, Business Angel, Board Member, SW & BPO with specific expertise in Health and Insurance

4 ans

Pas si impertinent que ça ton post Jean Louis Davet, je pourrais même dire "rafraîchissant"... Se rappeler l'importance du leadership, que la méthode aussi pertinente soit-elle n'est pas une fin en soi, qu'un médicament qui soigne utilement peut devenir dangereux en surdosage etc... Et puis finalement que l'important est le "faire" et pas le "paraître", avec l'obsession du résultat.. Oui, rafraîchissant

Louis Bruhl

Dirigeant chez RéSolutions - Votre futur voulu, résolument

4 ans

Un grand merci Jean Louis pour cette belle, piquante et (im)pertinente réflexion. j'en retiens notamment cet extrait : "la véritable innovation nécessitent aussi intuition, audace, rébellion, persévérance, alternance de phases de conviction et de doute, résilience, capacité à affronter une opposition largement majoritaire, et bien sûr réelle prise de risque. Sans aucun de ces catalyseurs, le collectif le plus fluide et le mieux outillé du monde aura du mal à voire naître mécaniquement l’étincelle tant attendue."; Très bonne et heureuse année. Bien cordialement. Louis.

Sibylle Tard

Coach professionnelle certifiée RNCP

4 ans

Merci de nous secouer en ce début d'année. La linéarité est trop fade :) 

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