COMMENT JE VOIS LE LEADERSHIP
L'une des complexités les plus vulgarisées dans le monde actuel est la notion de leadership. On la galvaude souventes fois, donnant d'elle des définitions les unes plus fantaisistes que les autres. Quelqu'un aurait même dit: le leadership, c'est vous, et moi devant... C'est dire combien on simplifie la complexité. En face des défis majeurs de notre génération, qui semble souffrir d'une embolie généralisée, manifeste à la qualité des dirigeants que nous avons dans la plupart de nos pays, il est bien de se demander si notre définition du leadership n'est pas cause qu'on ait tant de décisions mal assorties au sommet de nos structures. Et si donc, comme l'affirme John C. Maxwell dans son Million Mandate, tout s'élève et tout s'écroule par et sur le leadership, ne convient-il pas de s'arrêter un instant pour vérifier notre compréhension commune du leadership?
Certains y voient l'art de communiquer. C'est au point que la plupart des formations en leadership focalisent l'attention sur l'art oratoire. On estime en effet qu'un bon leader doit savoir et pouvoir parler en public. D'ailleurs, les premiers travaux dans ce domaine ont porté essentiellement sur "Comment parler en public"[1]. Pour d'autres, le leadership est essentiellement l'art d'influencer les autres. C'est comme la fragrance d'un parfum qui oblige à se couvrir ou à se découvrir... C'est surtout dans ce sens que John C. Maxwell voit le leadership[2]. Pour lui en effet, on ne peut être leader si l'on ne peut au moins influencer une personne ou une situation dans le sens qu'on désire. Ceci est parfaitement compréhensible quand on sait que, selon la loi de l'inertie, en l'absence d'influence extérieure, tout corps ponctuel perdure dans un mouvement rectiligne uniforme. D'autres enfin voient dans le leadership l'art de commander. Pour ce groupe de leaders, la fonction de leadership est une question de direction, et de prise de décision à l'égard d'une personne, d'un groupe ou d'un événement.
Sans occulter la valeur de ces définitions, il convient de notifier qu'elles se rattachent toutes à des fonctions connexes du leadership sans en épuiser l'essence substantifique. Certes, le leader doit savoir communiquer, parler en public, mais un bon orateur ou un bon communicateur ne sont pas forcément de bons leaders. On peut souvent les confondre mais la réalité du terrain fera toujours la différence. De même, un homme qui sait influencer les autres, à la limite de la manipulation, finit par les exaspérer avec ses stratégies. Parce qu'il s'agit des hommes, et qu'ils ne doivent jamais être vus autrement que comme la fin, et non le moyen de nos actions[3]. De fait, si un homme sait influencer les autres, il ne doit pas oublier qu'il est lui- même l'objet d'influences extérieures, qui peuvent être la source, l'origine et la cause réelles de sa capacité à influencer. Enfin, le leadership est, par nature, plus que l'art de commander, car s'il s'agissait uniquement de donner des ordres qui soient suivis à la lettre, les militaires seraient les meilleurs dirigeants de ce monde. On le sait désormais par expérience, la plupart de ces hommes en armes font de piètres dirigeants pour nos nations, exception faite de certains génies qui ont su briller dans leur temps.
Alors qu'est ce que le leadership? Je voudrais proposer une analogie qui pourra aider à cerner de loin la notion, sans chercher à l'épuiser. Vous êtes maître d'orchestre, et vous avez en face de vous des instrumentistes et des choristes. Certains sont novices, vous devez les amener à leur niveau maximal de perfection pour qu'ils puissent donner le meilleur d'eux dans cette harmonie que vous souhaitez créer. D'autres sont rodés, vous devez leur donner envie de partager leur savoir en toute humilité pour que cette harmonie soit le fait de tous et de chacun. Certains jouent à des instruments qui, l'espace du chœur, n'auront le privilège que de jouer une seule fois, et en un court instant. Ou alors leur voix ne sera mise à contribution que pour un court intermède. Vous devez les entraîner à bien jouer leur partition, tout en acceptant de ne pas être les instrumentistes ou choristes principaux du moment, sachant qu'il y a d'autres symphonies où leur instrument ou leur voix sera la figure de proue. D'autres encore sont au cœur de la symphonie du jour, et vous devez les motiver à donner le meilleur, dans une constance et une sympathie absolues, les uns à l'égard des autres. Ces instrumentistes et choristes devront se forger une mentalité de persévérance dans l'effort, et ne pas arrêter de donner d'eux- mêmes, parce que toute la symphonie dépend en priorité de leur prestation. Tout maître d'orchestre sait que les instrumentistes et les choristes sont un peuple particulièrement sensible, qu'on ne brusque pas, à moins de vouloir produire une dysharmonie tout à fait bruitive lors d'un concert. Parce que c'est le cœur du chœur qui chante, non les centaines de bouches ou de mains qui produisent un son plus ou moins diffus, pris à part.
Pour moi, le leadership est l'art de créer de l'harmonie, avec des ressources différentes, en vue de satisfaire les sens d'un public plus ou moins grand. Cette définition comporte des approches pratiques tout à fait évidentes: le leader n'est pas un chef, il devient un facilitateur qui doit harmoniser les points de vue et les idées en vue de produire l'agréable. Il n'est pas un chef au sens classique du terme: il n'ordonne pas, il partage les partitions et invite chacun à donner le meilleur de lui- même, le temps de sa partition. C'est lui qui inspire chez les autres membres de l'orchestre le désir de parfaire leurs prestations, mais aussi leurs qualités morales, telles que l'humilité, l'empathie, la persévérance, la douceur, la patience, etc. C'est aussi lui donne un rythme et un ton à la chose, en lui imprimant une émotivité congruente. Car, en effet, l'art de créer l'harmonie comporte ses exigences. Apprendre à quelqu'un un instrument ne fait pas partie des prérogatives d'un maître de chœur, c'est le rôle de l'instrumentiste lui- même, ou de ses formateurs. Cependant, le maître de l'orchestre devrait savoir à quel moment cet instrument entre dans la danse, et comment il doit opérer, s'il veut apporter sa contribution essentielle à la partition générale. Tout ceci relève non pas du génie, mais de l'empathie, c'est-à-dire de la capacité à écouter les cœurs qui battent à l'unisson.
En définitive, le leadership, c'est la capacité de créer cette empathie, c'est-à-dire d'aimer son prochain, et amener celui- ci à chanter au même diapason que les autres, même lorsqu'il se sait différent.
[1] le livre de Dale Carnegie sur la question est l'un des premiers publiés sur les lois de l'éloquence directive. Il date de 1936. Depuis lors, peu d'efforts a été fourni dans ce domaine...
[2] Les 21 Lois irréfutables du leadership, un best- seller à ne plus présenter
[3] Pour ne pas rappeler à la classe émergente de jeunes leaders la maxime la plus importante qu'un homme ait laissée à l'Humanité. Merci au Professeur de Königsberg. Es ist gut...