Comment réussir sa stratégie partenariale ?

Comment réussir sa stratégie partenariale ?

Cet article est inspiré de conférences et d’articles publiés par Selenis. Il approfondit de nombreux aspects et est enrichi de multiples illustrations.

Dans un monde qui se complexifie et où les chaînes de valeur tendent à se dissocier, le recours à des partenaires devient la norme (focalisation sur le cœur de métier, acquisition de compétences clés, développement de synergies industrielles ou commerciales, recherche d’un bénéfice d’image).

De nombreux partenariats ne délivrent pas les résultats attendus. A l’inverse, ils s’avèrent même destructeurs de valeur et s’achèvent quelques fois par des ruptures douloureuses et coûteuses.

🤔 Le meilleur exemple d’une fusion ratée est la méga-fusion entre Daimler-Benz (Mercedes) et Chrysler en 1998 (CA d’ensemble de 128 Mds USD) qui a conduit à une valeur de l’ensemble inférieure à celle de Daimler seul pré-fusion. Sur le papier, les complémentarités géographiques et de gamme étaient évidentes et ont été saluées par la bourse (+15% pour Chrysler, +10% pour Daimler). Les deux firmes finiront par se séparer en 2007. Daimler encaissant une perte totale de près de 31 Mds USD à l’occasion. Au-delà des problèmes commerciaux (féroce concurrence japonaise) et financiers (engagements de retraite) de Chrysler, l’incompatibilité culturelle entre la firme allemande (Focalisation sur le respect des règles et la qualité) et la firme américaine (Créativité et initiative) explique en grande partie ce méga-échec. Fiat remportera le morceau en 2014 et Chrysler contribuera à restaurer sa profitabilité…

Les partenariats se définissent comme des opérations impliquant deux entités sur moyen / long terme et créant une interdépendance totale ou partielle avec une communauté de destin sur l’évolution de tout ou partie du bilan et du compte du résultat.

Nous pouvons distinguer quatre grands types de partenariats, présentés ici selon un degré d’importance stratégique croissant :

1.Les partenariats d’image : mécénat, sponsoring, association de marques, …

Au-delà des prévisionnels permettant d’évaluer l’impact économique du partenariat sur les ventes, il conviendra de se montrer très attentif à l’histoire, à la communication, à la perception du partenaire.

🤔 Tout évènement influençant négativement l’image du partenaire pouvant immédiatement impacter l’entreprise (Ex : Louboutin avec Assa Traoré ou H&M avec Kate Moss).

🤔 A l’inverse, les résultats d’un partenariat à grand succès peuvent s’avérer fragilisés en cas de départ subit à la concurrence (Ex : Roger Federer quittant Nike pour Uniqlo).

2. Les partenariats de distribution : engagements avec un distributeur exclusif ou non sur longue période, vente éventuellement croisée et / ou packagée de produits ou services avec une société industrielle ou de service.

La question fondamentale à adresser dans ce type de partenariat est l’alignement à long terme des intérêts des parties dans un environnement mouvant et parfois à forte intensité concurrentielle. Dans l’idéal, il faut imaginer les cas potentiels de discorde et prévoir des modalités de résolution des conflits.

C’est un modèle partenarial fort utile choisi par certaines marques, délaissé par d’autres au sein d’un même secteur.

😉 Rolex s’est développée à travers des contrats de distribution exclusif sur un territoire donné en contrepartie d’engagements forts des distributeurs sur la mise en valeur du produit, l’intégration des codes de la marque et la présence de réparateurs intégrés au contraire de Richemont, qui a mixé distribution en propre et distribution sélective.

 3. Les partenariats industriels : mise en commun de ressources et de compétences dans le but de réaliser des économies d’échelle, de mutualiser des moyens techniques, d’associer des compétences pour développer ou optimiser un produit ou un service existant.

La question essentielle ici repose généralement sur les règles de coopération notamment entre des firmes qui peuvent être concurrentes par ailleurs et qui entendent bien chacune profiter des savoir-faire spécifiques du partenaire.

👍 Le partenariat stratégique mais non capitalistique signé en 2019 entre Volkswagen et Ford dans le développement des véhicules utilitaires, des pick-ups et des véhicules électriques est un bon exemple de partenariat industriel illustrant la coopétition à l’œuvre dans le secteur automobile.

👍 Dans le même temps, Volkswagen créait une joint-venture à 50 / 50 avec NorthVolt AB (Groupe Suédois) pour la construction d’une méga-usine de batteries lithium-ion en Allemagne susceptible de soutenir le fort développement du constructeur automobile dans le véhicule électrique (70 nouveaux modèles à venir).

4. Les partenariats de recherche : investissements en commun et mutualisation de savoir-faire pour mettre au point des solutions technologiques innovantes susceptibles de générer un avantage concurrentiel majeur.

👍 Pfizer s’associe avec BioNtech à compter de mars 2020 et réussissent ensemble à mettre au point un vaccin anti-covid autorisé par l’union européenne en décembre 2020.

Ces partenariats peuvent être conventionnels (accords de distribution, convention de recherche,…) ou structurels (fusion, absorption, prise de participation, création d’entités communes). Ils peuvent mobiliser peu ou pas de capitaux mais ils ont pour point commun de s’inscrire dans le temps long (au moins 3 ans) et de viser un impact significatif sur la performance des sociétés.

Quel que soit le type de partenariat et le degré d’impact sur les structures, nous avons identifié trois grands types d’écueil à prévenir :

💣 Sous-estimer les risques opérationnels induits et surévaluer les synergies,

💣 Mésestimer les dimensions socio-culturelles des organisations et leur niveau de compatibilité,

💣 Prêter insuffisamment attention à la dimension interpersonnelle entre les dirigeants / porteurs du projet.

S’il faut une bonne dose d’optimisme pour se lancer et que la mise en place d’un partenariat est souvent source d’enthousiasme, la volonté de faire conduit souvent à sous-estimer les risques opérationnels induits par manque de données, d’expérience ou par excès de confiance et parfois à projeter des bénéfices trop importants ou à trop les anticiper.

L’histoire est truffée de mégafusions aux résultats catastrophiques.

🤔 Alcatel / Lucent fusionne en décembre 2006 et la valorisation boursière de l’ensemble décroîtra très rapidement et continuellement pour être divisée par trois juste avant la prise de contrôle par Nokia en février 2019. Les raisons de l’échec sont multiples mais on peut notamment citer une surestimation des profits à venir sur la zone Amérique du Nord alors que les opérateurs entraient en phase de consolidation et ont reporté plusieurs investissements, une technologie en voie d’obsolescence dans le mobile qui était initialement perçue comme un point fort de Lucent. Au final, les plans sociaux s’enchaînent et les résultats opérationnels s’effondrent…

🤔 AOL Time Warner représente également une histoire intéressante de virage numérique raté… Début 2001, le pionnier des services internet et le géant des communications fusionnent pour former un groupe dont la capitalisation dépasse les 160 Mds USD. La promesse de revenus récurrents et fortement croissants dans l’univers internet s’envole assez vite avec une perte record de 54 Mds USD en 2002 conduisant à une division par trois de la capitalisation boursière de l’ensemble. Finalement TimeWarner ne trouvant pas de repreneur pour AOL introduira en Bourse la société pour seulement 6 Mds USD soit environ 18 fois moins que sa valeur estimée au moment de la fusion… Les raisons de l’échec tiennent pour l’essentiel à une comptabilité truquée d’AOL, l’éclatement de la bulle internet au tournant des années 2000, des rivalités managériales importantes et un modèle économique très fragile.

La frustration ressentie est à la hauteur des espoirs déçus, d’autant plus grande que les écarts d’évaluation auront été élevés.

Rappelons-nous que les synergies lors de fusions entre égaux se révèlent dans la formation d’une entité nouvelle qui prend le meilleur de chaque entité dans un cadre collaboratif et objectif.

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 Pour se prémunir de ce risque majeur, nous recommandons trois mesures :

1.     Constituer une équipe ayant pour but, en amont de la réalisation, de rechercher toutes les raisons objectives et factuelles de ne pas mener l’opération.

  • En questionnant l’intérêt réel du projet, sa supériorité par rapport à d’autres alternatives (autres partenaires, réalisations internes, achats de produits / services auprès d’un simple fournisseur, renoncement pur et simple),
  • En évaluant objectivement les coûts directs et cachés du partenariat actuels et futurs (renoncements stratégiques induits, fragilisation éventuelle d’autres partenariats, marges rognées, pertes d’opportunités éventuelles, arbitrages nécessaires avec d’autres projets, dépendance induite,…)
  • En recherchant tous les cas comparables qui ont conduit à un échec afin de mettre en exergue les causes et évaluer leur transposabilité à la situation présente.

Cette méthode permet d’éclairer objectivement le projet et focalise l’attention de l’équipe sur les sujets clés pour prendre les mesures de précaution qui s’imposent.

1.     Interroger les parties prenantes pour mesurer leur soutien / adhésion au projet effectif et non supposé quand bien même une des motivations du projet consiste à faire évoluer le rapport de force avec des clients, fournisseurs ou autorités de régulation.

  • Il est extrêmement utile de prendre le pouls de l’environnement pour évaluer la pérennité des relations établies sans se contenter de la supposer, pour procéder à d’éventuelles adaptations afin de limiter la perte potentielle et, in fine, cartographier l’état des relations post-partenariat, souvent différentes de ce qui était imaginé a priori,
  •  Evaluer les évolutions de l’environnement postérieures au partenariat (mouvements / postures des clients, fournisseurs, concurrents, régulateurs, société civile) car le système économique réagit à tout stimulus.

2.     Evaluer le « sinistre maximal potentiel » en simulant une occurrence simultanée de plusieurs risques, de synergies en-deçà des attentes ou nettement plus tardives, de coûts de mise en œuvre supérieurs et juger sur cette base de la capacité à surmonter ce scénario extrême sur les plans économique et opérationnel.

  • Si les deux entités sont capables de projeter le pire scénario et sont convaincues de pouvoir y faire face, elles seront dès lors beaucoup plus unies et combatives en cas de survenue de circonstances adverses.

Les équipes projet déploient généralement une énergie considérable, proportionnelle à l’impact du partenariat sur les structures existantes, pour rationaliser l’intérêt d’un partenariat a fortiori s’il impacte significativement l’existant et bouscule des périmètres de responsabilités, des habitudes de travail, des croyances bien établies…

Les analyses portent généralement sur les dimensions financières, commerciales, concurrentielles, opérationnelles et juridiques.

Les entreprises s’entourent souvent d’une batterie de Conseils qui ont généralement un intérêt économique à ce que l’opération aboutisse ce qui peut parfois conduire à une perte d’objectivité.

Plus le projet est d’une importance stratégique ou économique importante, plus les questions structurelles sont traitées avec soin.

En revanche les dimensions socio-culturelles sont peu voire non traitées, par manque d’outils pour les analyser et surtout parce qu’elles questionnent l’identité profonde des organisations et notamment celle de leurs principaux dirigeants mais aussi leurs personnalités et leurs styles de management.

De fait, des erreurs d’analyse majeures issues du croisement des subjectivités surviennent. Nous appelons croisement des subjectivités, la différence entre ce que chacun pense être en tant qu’entité, et comment il est perçu par son partenaire.

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Dans cette configuration, nous avons identifié les trois types d’altération de la réalité les plus fréquents :

1. La projection,

2. Le transfert,

3. La dénégation.

 1.     La projection consiste à percevoir le partenaire comme un sauveur, un faiseur de miracle, qui va permettre de combler toutes les carences de son entité. Le chevalier blanc est même parfois perçu comme totalement désintéressé.

Cela arrive malheureusement assez rarement pour ne pas dire jamais, et pour s’éviter une désillusion notoire, il convient de se poser trois questions et d’objectiver autant que possible les réponses avec le partenaire :

👉 Quelles sont les compétences avérées et tangibles du partenaire qui sont susceptibles d’être mobilisées pour aider notre organisation à progresser ?

👉 Notre partenaire est-il réellement disposé et a-t-il réellement la capacité à mobiliser ces compétences à notre service ?

👉 Quel est le prix à payer et est-il acceptable ?

 2.     Le transfert consiste à imaginer que le partenaire raisonne, agit et réagit exactement de la même manière que nous. C’est une sorte de double, d’alter ego idéal auquel on se lie très facilement indépendamment de toute approche objective.

Cette erreur est invariablement source d’énormes quiproquos et de déceptions quasi-affectives générant des moments de tension très forts dès que les partenaires n’arrivent plus à faire preuve d’empathie et / ou à exprimer simplement leurs désirs et leurs contraintes dans un processus de recherche de consensus.

💡 Pour s’en prémunir, il est utile de faire appel à un tiers qui décodera les messages implicites, veillera à ce que les frustrations soient exprimées avant de devenir des problèmes insurmontables et que les différences de perception ou de jugement soient clairement mises en évidence pour être traitées.

 3.     La dénégation consiste à prêter au partenaire de viles ambitions, le considérer prêt à tout pour atteindre ses objectifs, et réciproquement se considérer en parfaite santé dénuée de faiblesse majeure.

Cela peut paraître surprenant de conclure des partenariats avec un tel niveau de défiance mais cela arrive parfois lorsque le rapprochement est imposé par une autorité extérieure ou résulte de la volonté exclusive d’un cercle (très) restreint de dirigeants des deux entités. C’est d’autant plus vrai si les futurs partenaires étaient précédemment en concurrence frontale.

💡 Pour échapper à ce contexte négatif, il faut rationaliser autant que possible les situations avec une analyse objective des forces et faiblesses et, surtout, oser organiser des réunions informelles où les ressentis, rancœurs, incompréhensions et frustrations peuvent librement s’exprimer et faire l’objet d’une modération. Pour réussir cet exercice, il est utile de s’adjoindre les services d’un coach spécialisé en résolution de conflits.

Dans ce cadre, nous recommandons de formaliser la raison d’être du partenariat à engager en valorisant les atouts de chaque partie et en se dotant de règles de transparence et d’arbitrage pour éviter toute accumulation inutile de tensions.

In fine, c’est la transparence et l’entente entre les décideurs qui fera le succès ou l’infortune du partenariat.

Tout projet de partenariat naît de la rencontre et de la volonté d’êtres humains. Chacun disposant de sa propre ambition (affirmée ou cachée), de ses croyances, de ses craintes, de ses forces et de ses faiblesses.

Or la pérennité et l’efficacité du partenariat naissent de la confiance entre ces décideurs. La confiance est elle-même basée sur la transparence. Il est pourtant extrêmement difficile de faire preuve d’une absolue transparence lorsqu’en tant que dirigeant, vous êtes sensé tout savoir, tout prévoir et portez la responsabilité de l’avenir de votre organisation. Le doute est largement perçu aujourd’hui comme un signe de faiblesse, contagieux au surplus.

La même remarque, à une moindre échelle, s’applique à des managers intermédiaires qui initient et sont chargés de mettre en œuvre un partenariat.

💡 Pour limiter les risques de dérapage, il convient dès les premiers temps du projet de confronter les ambitions personnelles et d’essayer de trouver au plus vite un terrain d’entente.

 Chaque fois que cela est possible, il faut expliciter clairement les sources possibles de divergence et éviter de parier sur leur auto-résolution dans le temps. Un problème caché finit toujours par ressurgir avec une vigueur proportionnelle au temps et à l’énergie mis à l’ignorer.

Cela suppose d’avoir conscience que des difficultés de toute nature y compris interpersonnelles sont à venir et accepter l’idée que des partenariats sont pour autant souvent nécessaires; parfois essentiels mais rarement naturels… En médecine, toute greffe nécessite un temps d’adaptation qui passe par une phase d’abaissement volontaire des défenses immunitaires.

🧐 La plupart des études internationales situe le niveau d’échec des fusions entre 50 et 70%. Cela signifie que la somme des deux entités réunies génère moins de valeur que les entités prises isolément avant la fusion ou présente une capitalisation boursière inférieure. Parmi les autres opérations, environ la moitié présente un profil financier similaire, conséquence de quoi, entre 15 et 25% des opérations se traduisent par un gain de performance effectif… La marge de succès est donc particulièrement ténue.

 En suivant ces principes méthodologiques les chances de succès seront maximisées pour :

  • Tirer pleinement parti de vos partenariats d’image,
  • Donner toute la valeur attendue sur le long terme à vos partenariats industriels et commerciaux,
  • Faire partie de la faible proportion des opérations de fusions / absorption qui se traduisent par une réelle création de valeur.

😀 Ainsi, il sera possible de suivre le modèle à succès de Cisco qui a réussi sous l’impulsion de John Chambers à racheter, intégrer et développer des synergies avec plus de 170 sociétés pour devenir l’un des leaders mondiaux des réseaux télécoms et informatiques qui affiche une rentabilité nette de plus de 22% en 2020 et un retour sur capitaux propres de près de 30% avec une étonnante régularité… en dépit des incessantes ruptures technologiques que la société a dû affronter.

 

 

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