Comment accélérer le redémarrage économique en maximisant la captation de valeur ajoutée ?
Quelles que soient nos préférences collectives en matière de modèle social (niveau de protection, étendue des services publics, répartition des richesses…), d’appareil productif (lieu d’implantation, niveau des normes sociales et environnementales…) et de modes de consommation (taux de recyclage, respect de circuits courts…), le redémarrage économique ne se fera pas sans notre capacité à créer de la valeur pour entretenir, développer ou transformer le système économique actuel.
En effet la liberté de relancer ou refaçonner notre monde se gagnera par la capacité à produire et capter des richesses destinées à financer l’aspiration collective partagée, ensemble, demain.
La démocratie nous offre la possibilité d’exprimer nos choix de multiples manières (élections, sondages, pétitions, médias,…) et nos gouvernants sont invités à poursuivre le but collectif exprimé par la majorité d’entre nous.
Mais pour que l’aspiration se concrétise, il faudra nous donner les moyens de notre ambition. Et cela passe inéluctablement par la création de valeur qui se mesure par le PIB, qui lui-même somme l’ensemble des valeurs ajoutées des entreprises présentes sur le territoire. Rappelons que les entreprises étrangères implantées sur notre sol contribuent à la richesse de la nation et que le chiffre d’affaire réalisé par les entreprises françaises à l’étranger n’entre pas dans le décompte du PIB (excepté les commissions de management perçues par les sièges français).
Quelle sera au sortir de la crise, notre faculté à maximiser la captation de valeur ajoutée sur notre territoire, et au-delà, au niveau européen ?
La première solution, qui semble évidente et que tous évoquent spontanément est de produire et consommer localement autant que possible. C’est souhaitable mais pas toujours possible faute de production locale dans bien des domaines ou du fait d’un déficit de compétitivité majeure sur certains produits (manque de savoir-faire, coûts sociaux trop élevés, manque de matières premières…).
Il est clair que nos choix collectifs s’orientent clairement à moyen terme sur une (re)localisation nationale ou européenne de nos industries stratégiques (santé, communication, énergie, défense, agroalimentaire).
La seconde solution, plus complexe, consiste à essayer d’adopter un modèle de type IPhone (je précise que je n’ai pas de lien d’intérêt avec Apple, je n’en suis pas actionnaire, c’est juste une illustration de mon propos).
L’Iphone est conçu aux Etats-Unis, fabriqué en Chine et vendu dans le monde. Mais l’essentiel de la valeur ajoutée (47% du prix public TTC environ), et de très loin, est capté par cette entreprise américaine. Il est vrai que cette entreprise fait un choix hautement discutable sur le transfert de ses profits dans un paradis fiscal et je suis personnellement totalement hostile à ce procédé. L’expérience d’Apple avec l’Iphone est très intéressante pour illustrer comment s’opère le partage de valeur ajoutée. L’essentiel de la valeur est capté par le concepteur, le fabricant prenant une marge étroite et le distributeur la portion congrue (environ 7,5% du prix payé par le consommateur final).
Nous ne pourrons pas tout produire en France ou en Europe, nous ne deviendrons pas nécessairement le pôle de référence de produits de haute technologie, mais nous devons veiller, autant que faire se peut à ce que nos investissements et nos achats conduisent à maximiser la valeur intégrée dans le PIB national ou européen.
Aujourd’hui notre balance commerciale est déficitaire (- 59 Mds €) ce qui veut dire que nous transférons une part importante de valeur ajoutée vers le reste du monde contrairement à l’Allemagne (Excédent de 228 Mds €) que beaucoup prennent en exemple (pour schématiser à l’extrême nous achetons des produits manufacturés en Chine avec des machines allemandes).
Pour cela je propose deux idées relativement simples dans leur conception qui s’inspirent des dispositifs mis en œuvre au titre de l’information sur la consommation énergétique (Etiquette énergie) ou alimentaire (Nutri-score).
Plus efficace, rationnel et lisible qu’une étiquette mentionnant l’origine de la marque et, parfois du pays de fabrication, nous pourrions imaginer un dispositif d’étiquetage qualitatif, étendu à l’ensemble des produits manufacturés disponibles, qui indiquerait le taux de valeur ajoutée européenne inclus dans le prix public.
Et pour être plus précis, nous pourrions nous inspirer des applications de type Yuka (mesure instantanée de la qualité des produits alimentaires par lecture de code à barre) pour développer une application indiquant instantanément le taux de valeur ajoutée européenne du produit manufacturé. Ainsi nous pourrons préférer parfois acheter des produits de marque étrangère (fabriqué ou pas sur sol français) que des produits de marque nationale ou européenne (dont l’essentiel de la valeur est capté par un pays tiers de l’UE).
La France dispose d’un appareil statistique remarquable qui doit rendre possible l’identification de la part de valeur ajoutée nationale ou européenne. On pourrait ensuite affiner le système avec un taux absolu (part de valeur ajoutée nationale ou européenne du produit) et un taux relatif (part de VA nationale ou européenne comparée par rapport à la moyenne des produits manufacturés équivalents).
Consommer mieux, c’est consommer en pleine conscience des conséquences économiques de nos choix. La qualité et le nombre d’emplois nationaux et européens en dépend. Le rééquilibrage de nos finances publiques également.
Et si nous réussissons à accroître significativement la VA nationale et européenne, nous pourrons ensuite débattre de ce que nous en ferons tant sur le plan de la répartition des richesses que sur le plan des investissements (aide aux plus démunis, services publics, mutation de l’appareil productif, protection de l’environnement et de la santé, financement de la recherche et des innovations, accroissement des compétences individuelles et collectives,…).
Ce modèle nous permettrait d’éviter de tomber dans les pièges du protectionnisme aigu : pénuries de matières premières, impacts fortement négatifs sur nos industries exportatrices, appauvrissement des pays émergents (la Chine n’en fait pas partie) qui se traduiraient par des crises migratoires, absence de stimulation de notre économie, moindre circulation des idées et des technologies utiles pour contribuer à résoudre le défi environnemental auquel nous sommes confrontés…
Sur le fond je reste convaincu d’une régionalisation accrue des échanges et non d’une disparition pure et simple du commerce mondial.
Aussi quel que soit le monde nouveau que nous voulons bâtir pour nos enfants, le chemin le plus sûr est de faire évoluer le modèle actuel et non de le faire exploser. Sinon ce sera, je le crains, au prix d’innombrables vies humaines, ne l’oublions pas. Car une décroissance massive se traduira immanquablement par une précarisation accrue des plus modestes (compression des transferts sociaux, chômage accru pour les moins qualifiés), une fragilisation à l’extrême de notre système de santé, une dégradation de notre système éducatif, une détérioration de nos infrastructures publiques pour aller vers un monde absolument incertain.