Communication : se taire pour mieux s’entendre ?
Screaming to each other... (by courtesy of DALL.E-2)

Communication : se taire pour mieux s’entendre ?

À la fin de la représentation, alors que les acteurs fourbus quittent la scène, le grand théâtre de la réforme des retraites nous laisse le souvenir d’un spectacle lassant. Du premier au dernier acte, le gouvernement a déclamé l’impératif économique — autant dire moral — et invoqué le déluge ou quarante-huit mois de labeur obligatoire. Las, les syndicats, dans un chœur uni, résistèrent sur fond d’Internationale pour un acquis social conquis de haute lutte par leurs aînés. Enfin, dans la fosse, la cohorte des médias entonna avec gourmandise l’hymne du conflit social et de son probable dérapage jusqu’à la grève générale.

Cette pénible revue, vouée à se reproduire, n’est qu’un exemple parmi d’autres de cette incapacité devenue générale à communiquer sereinement pour résoudre nos problèmes. Loin d’être l’apanage du seul champ des représentations politiques, cette langue de bois s’est infiltrée dans toutes nos vies, personnelles et professionnelles, les rendant tel un théâtre Kabuki ivre et absurde. Ainsi les juniors ne comprennent plus les seniors, les locataires ne parlent plus aux propriétaires, les artistes et leurs publics s’étrillent sur un faux-pas, les élus et leurs administrés s’égosillent sur le plan d’urbanisme, et entre ex époux le conflit envenime toujours plus les séparations. Qui prends encore le temps de s’écouter quand l’incantation et l’invective deviennent notre lingua franca ? Cette maladresse collective à nous parler est ce que nous appellerons la nouvelle incommunication.

Mais pourquoi cette situation d’incommunication grandissante nous frappe-t-elle alors que paradoxalement, nous communiquons abondamment, à grand renfort d’agences et d’éléments de langage, de powerpoints, d’e-mails soignés et de visuels explicatifs ? Chacun dispose désormais pour soutenir sa parole d’un arsenal inédit. D’aucun désigneront les réseaux sociaux, figurant sans doute au premier rang des accusés par leur propension à jouer de nos différences et à amplifier le faux. D’autres évoqueront le changement de nos sociétés, fragmentées, secouées de crises de confiance.

Il semble pourtant que le mal soit bien plus profond, ancré dans la conception qui s’est développée de la communication même : elle n’est plus un moyen pour aller vers l’autre et s’y frotter, mais un circuit fermé, un huis clos disqualifiant ceux qui ne se joignent pas à la fête du consensus unilatéral. Peut-être que nous sommes tout simplement fascinés par notre propre parole, notre propre message, sans nous préoccuper des réponses. Et si le récit obsessionnel et narcissique que nous nous servons à nous-mêmes dans ce monologue de sourd était une forme de réalité qui se dispense du retour du réel ? Dans ce climat de post réalité où le vrai se fabrique, l'image que l'on se raconte de soi suffirait elle à nous satisfaire ?

Ainsi la communication, vecteur de compréhension de l'autre, est dévoyée en devenant à la fois une armure et un outil actif de vexation et d’exclusion de son interlocuteur. La volonté martelée de « pédagogie » de la part du gouvernement trahit bien cette volonté d’éduquer ce peuple rebelle et fumeur de gitanes plutôt que de reconnaître les désaccords sains et légitimes qui le structurent. En creux, cela dit aussi le sentiment de supériorité manifeste de ceux qui savent mieux. Ainsi le mépris et la suffisance des messages circulant d'un PDG maladroit du CAC40 à la moindre copropriété sont autant de gifles discrètes à celui qu’on considère comme son inférieur. On s’en protège et pour mieux s’en protéger encore, on le disqualifie. On l'assomme de son récit.

L’incommunication, c’est ce refus de considérer l’intelligence et l’altérité de son contradicteur pour justifier de ne s’adresser qu’aux convaincus a priori. Pensée magique contemporaine, elle est un déni de réalité face aux enseignements basiques de l’Ecole de Palo Alto : la communication est un pas de deux qui se joue entre l’émetteur et le récepteur.

In fine, l’incommunication reste l’aveu d’une certaine insignifiance en se prenant pour seul référentiel, tel un enfant immature. Ces bulles autoréférentielles sont autant de châteaux forts qui nous protègent du clivage fécond pour lui préférer le conflit stérile… Et pourtant, « l’esprit du château-fort, c’est le pont-levis », nous souffle René Char ! Comment, alors, refaire de la communication une porte sur l’autre et sur le monde ? Comment sortir de cet exercice de communication en forme de gilet pare-balles que les dirigeants pratiquent avec avidité ?

A ce dévoiement, nous proposons une solution simple : l’écoute bienveillante et l’empathie comme point de départ indépassable à l’émission de toute forme de message. Plutôt que de s’en protéger ou de l’humilier, nous proposons de commencer par entendre cet interlocuteur, ce collègue, cet ami, ce parent et cet administré. Briser le cycle de l’incommunication c'est d’abord rétablir les fonctions d’étude et d’analyse de l’opinion, ce temps de l’écoute désintéressée, sans élément de langage préformaté en tête, pour se saisir des attentes, des nuances, qui demain seront autant d’atouts nécessaires pour associer la logique et rallier l’émotion.

Il s’agit sans doute de mettre de côté, au moins pour un temps, les recettes pour convaincre et autres potions magiques du leadership. Brisons là avec l’illusion que pour exister il faut briller et emporter les suffrages par la seule force de son verbe égotique. Tel Jacques Pilhan jadis, redécouvrons les vertus du silence, de la modération, de l’oreille fine aux respirations profondes de l’opinion. Sans doute l’influence positive commence-t-elle ici ? C'est ce que nous pensons avec nos équipes de JIN. Pour vaincre l’incommunication, commençons par écouter et nous taire, en toute humilité.

Pascal DRAY

Cadre Financier Opérationnel - Docteur en Economie

1 ans

Bravo Edouard pour cet article tout à fait réaliste sur l’incommunication ambiante actuelle. Restons calmes et à l’écoute.

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