Complexe d'imposture
1re époque
1re séance :
La responsable des ressources humaines à l’autre bout du fil a l’air préoccupée en décrivant Helena, une jeune recrue au potentiel stupéfiant, notamment pour aider les entreprises à anticiper les dilemmes énergétiques de demain. Cependant elle me dit aussi qu’elle a rarement vu une consultante qui manque à ce point de confiance en elle. Le coaching est généralement réservé à ceux qui ont plus d’expérience, mais pour Héléna une exception est faite, car ils veulent absolument la garder de nombreuses années tout en craignant qu’elle ne s’enfuie très vite en raison de son sentiment de peur permanent.
Je prends rapidement un rendez-vous avec l’intéressée et dès les premières secondes, je remarque le contraste entre son regard de chiot battu et le tailleur haut de gamme qu’elle a probablement acheté pour se donner une certaine contenance. Sa poignée de main semble ne contenir aucune force de vie.
Je l’invite à exprimer ce qu’elle aimerait améliorer en elle. D’une voix à peine audible, elle commence à énumérer une multitude d’autocritiques : trop lente, pas assez intelligente, silencieuse en réunion ou ne disant que des bêtises. Je l’interroge : « s’agit-il de faits ou est-ce simplement des jugements ? » Sans se démonter, elle réaffirme son sentiment de nullité et aligne des exemples insignifiants qui, selon elle, prouvent son incompétence. Sa voix s’affaiblissant au fur et à mesure qu’elle parle, avant que celle-ci ne s’éteigne, je lui demande :
— Pouvez-vous à présent mentionner des réussites ou des sources de fierté ?
— Je n’en vois pas, je ne sais pas s’il y en a.
— Cherchez bien.
— Je ne vois pas… Ah si, mon admission à Polytechnique !
— Super, voici un premier exemple. Et vous en êtes sortie bien classée ?
— Euh, je ne peux pas le dire, c’est gênant.
— Donnez-moi un indice.
— J’étais dans le top 10 %.
— Waouh ! C’est exceptionnel d’être dans le top 10 % des meilleurs à polytechnique, vous ne pouvez donc pas être si nulle que ça.
— Mais c’est pourtant le cas. Polytechnique est basé sur les maths, j’ai un don pour les maths et c’est tout. Pour tout le reste, je suis vraiment mauvaise. Et je suis terrifié à l’idée que les gens découvrent à quel point je suis nulle.
Je bouillonne intérieurement contre moi-même. Quelle erreur de débutant : je me suis imaginé que je pouvais l’aider à changer en lui présentant un argument implacable (puisque tu étais dans les 10 %, tu n’es pas nulle). Ça ne marche jamais, les gens changent à partir des raisonnements que nous les aidons à élaborer, pas à partir des évidences qu’on leur assène. De plus, cette façon de communiquer est dangereuse, certains pourraient se sentir humiliés, un peu comme si on avait sous-entendu « vous n’aviez jamais compris cela ? ». Fort heureusement Héléna ne semble pas m’en tenir rigueur. Je reprends :
— Est-ce qu’on peut se tutoyer ?
— Oui, tu peux utiliser le « tu » avec moi, tout le monde ici l’utilise, c’est la culture de l’entreprise, mais j’ai du mal à faire de même. Alors si tu veux bien, je vais essayer d’utiliser « tu », mais ne sois pas fâché si j’utilise parfois « vous ».
— C’est promis, je ne t’en voudrai pas le moins du monde…
Cette jeune femme est rongée par la souffrance. Je décide de consacrer la majeure partie de la séance à apaiser ses tourments. Je l’invite à me faire part de ses « échecs » les plus obsédants. Puis, à l’aide de la méthode EFT, décrite page XXXX, je l’accompagne à revivre ces épisodes douloureux tout en stimulant des points d’acupression. Peu à peu, honte et culpabilité se dissolvent. Désormais, elle peut évoquer ses mésaventures sans souffrir. Je lui demande une phrase pour conclure la séance, elle me dira qu’elle se sent « Toujours nulle, mais apaisée ». Rien n’est encore réglé, mais elle peut cheminer plus sereine en attendant notre prochaine rencontre…
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Sur une terrasse, au centre de Paris, je retrouve Agnès, mon ancienne professeure de coaching qui m’avait présentée à mon premier cabinet de conseil. Elle est devenue une amie précieuse avec laquelle je partage mes défis dans le cadre d’une supervision informelle. Sa première question m’intrigue :
— Combien de consultants as-tu coachés à ce jour ?
— Une vingtaine je dirais.
— Et face à cette jeune femme, comment t’es-tu senti ?
— Meurtri de la voir douter d’elle-même alors qu’elle a de si grandes capacités.
— C’est vraiment pour elle que tu étais meurtri ?
— Ben oui, pourquoi cette question ?
— Je me demande si tu n’étais pas plutôt blessé envers toi-même…
Sa remarque fait mouche. Je me mets à réfléchir à voix haute :
— Quand j’ai entendu « top 10 % », j’ai été impressionné.
— Peux-tu préciser ta pensée ?
— Je crois qu’à cet instant, je suis devenu comme elle, je ne croyais plus en moi. Je me suis demandé ce qu’un autodidacte comme moi pouvait apporter à une telle diplômée.
— Et tu voulais tout de suite lui expliquer qu’elle avait tort d’être comme ça parce que ce que tu voyais en elle, c’était ce que tu n’arrivais pas à affronter en toi.
— C’est vraiment ça
— Et maintenant quelle conclusion en tires-tu pour elle comme pour toi ?
— Elle peut se libérer de son complexe, comme nous tous. Mais je ne pourrai l’y aider que si j’affronte le mien d’abord.
— Eh bien voilà, tu maîtrises tous les outils d’autocoaching nécessaire pour cela.
— Tout à fait
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2e séance :
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Nous nous retrouvons en pleine canicule, ses bras décharnés m’apparaissent sous son chemisier d’été. Son langage, sa posture et même son apparence respirent la timidité et l’anxiété. De mon côté, je ne cesse d’afficher des sourires amicaux et de faire des blagues pour tenter de la mettre à l’aise.
Dès que ses traits commencent à se détendre, je l’encourage à raconter les moments les plus douloureux qu’elle a vécus depuis le jour où elle a commencé à travailler ici, en l’incitant à chaque fois à nommer ses émotions. Après un petit quart d’heure, j’attire son attention sur le fait que :
— On dirait que tu éprouves à chaque fois les deux mêmes émotions : la honte et l’anxiété.
— Oui, c’est vrai.
— Depuis combien de temps ressens-tu cela intensément ? Depuis que tu as commencé à travailler ici ?
— Oh non, j’ai l’impression que ça a toujours été comme ça.
— Alors quand est-ce que ça a commencé à devenir vraiment inquiétant ?
— Depuis l’école.
— Serais-tu prête à m’en parler ?
— Je ne sais pas. C’est très embarrassant.
— C’est à toi de décider.
– Mon père était très strict sur les devoirs, et dès que je faisais la moindre erreur, il se mettait à m’engueuler en criant : « c’est quoi ce travail de bougnoul ? ». Au début, je ne savais même pas ce que ce mot voulait dire. Quand j’ai découvert qu’il signifiait arabe, j’ai pensé que mon père était raciste et je lui en ai parlé. Il s’est excusé et a expliqué qu’il avait entendu la même phrase des centaines de fois de la bouche de son père, qui avait été meurtri par la guerre d’Algérie. Mon père est alors redevenu charmant, réalisant que, sans le vouloir, il transmettait un traumatisme à travers les générations qu’il était temps d’oublier. Je ne l’ai plus jamais entendu prononcer cette phrase maudite, mais je crois que le mal était fait.
Son analyse est parfaite, elle a pris du recul sur ce souvenir qui ne la hante plus directement et qui n’a pas besoin d’être travaillé. Mais le « mal » est fait et dans ce cas, il prend la forme de la croyance fermement implantée que « ce que je fait n’est jamais assez bien ». C’est sur ce point que je décide de travailler avec elle tout de suite :
— Est-il vrai que ce que tu fais n’est jamais assez bien ?
— Oui, bien sûr !
— Comment le sais-tu ?
— Est-ce que tu m’écoutes vraiment ? Je viens de t’expliquer toutes mes erreurs, comment est-ce que tu peux encore douter de ce que je te dis. Je viens de t’énumérer tout ce que je fais ici et qui n’est jamais assez bien.
— Je t’ai écouté et selon moi, ce que tu as énuméré, ce sont des faits. Par contre l’idée « ce que je fais n’est jamais assez bien » n’est pas un fait, mais un point de vue.
— Tu me perds
— OK, est-ce que tu veux bien répéter trois fois la phrase : « C’est un point de vue intéressant que le point de vue qui stipule que ce que je fais n’est jamais assez bien »
Elle obtempère et fait une pause jusqu’à ce que son côté scientifique reprenne le dessus :
— Je suis en train de repenser à l’expérience des deux fentes !
— Celle où l’on a montré que les photons sont à la fois des ondes et des particules ?
— C’est presque ça, on a vu qu’ils peuvent être soit l’un, soit l’autre en fonction de la personne qui les observe.
— C’est fascinant, mais quel est le rapport avec toi ?
— Je me dis que c’est peut-être la même chose pour l’observation de soi. Je crois vraiment que « ce que je fais n’est jamais assez bien ». Mais c’est sans doute ma façon de regarder les choses qui conduit à cette conclusion.
— Ça commence à devenir un peu complexe, je te propose de revenir à la question de départ : « est-il vrai que ce que tu fais n’est jamais assez bien ? »
— De mon point de vue, c’est vrai. Cependant, ce n’est pas la seule perspective possible. Les personnes qui m’ont évalué jusqu’à présent ont toutes adopté le point de vue selon lequel tout ce que je fais est excellent.
— Alors est-ce que c’est vrai que ce que tu fais n’est jamais assez bien ?
— Non, ce n’est pas vrai puisqu’un point de vue n’est pas une vérité
— Comment te sens-tu maintenant que tu dis cela ?
— Un peu mieux
— Que veux-tu dire par là ?
— Je comprends pourquoi je suis négative à ce point en ce qui me concerne. La pensée « ce que je fais n’est jamais assez bien » a toujours prévalu. De ce fait, quoi que je fasse, je ne pouvais qu’être insatisfaite.
— Et maintenant ?
— J’ai l’impression que j’ai compris le processus, mais que ça ne change rien.
— Qu’est-ce qui te chiffonne encore ?
— Un autre souvenir encore plus grave que celui-là
— Tu veux bien me le raconter ?
— Oui
Chers lecteurs de LinkedIn, si j'atteins les 250 000 likes(looool), je publierai la suite jeudi
Salut Stéphane, j'ai découvert que tu écris un livre. Ce que j'apprécie beaucoup, c'est qu'il semble etre basé sur des cas concrets plutôt que de simplement décrire une méthode. Cela donne une perspective beaucoup plus pratique et réaliste, et rend l'ensemble plus captivant. Si je peux t'etre utile, n'hesite pas. Neil
Cheffe décoratrice | Executive coach
1 ansTémoignage très intéressant à mes yeux et inspirant ! Merci pour ce partage Stephane.