Covid-19, confinement, crise économique … et filière agro-alimentaire. Article 3 sur 3 - "black swans", big bangs, "no regret moves" et conclusion
Chers tous et chères toutes,
Les articles précédents - voir liens dans le 1er commentaire - avaient listé quelques quasi-certitudes sur « l’Agro-alimentaire et le Monde d’après », quelques inversions de tendances relativement probables, dont celle de l’arrêt de la fragmentation des achats ainsi que des recommandations d’actions. Dans cet article, nous allons au-delà de ces accélérations ou inflexions de tendance à anticiper ; nous cherchons à identifier les « big bangs » qui pourraient totalement changer la donne.
Aussi, passons de la « boule de cristal » aux fameux « cygnes noirs », aux « black swans » que « personne » n’a vus … n’étant pas prospectiviste, je ne vous en soumets que deux, un vrai prospectiviste irait plus loin … et j’espère que vous en proposerez d’autres à travers votre propre grille d’analyse des signaux faibles !
1ère piste : pas vraiment un "black swan" mais plutôt « l’éléphant dans la pièce » : Amazon !
On parle finalement peu d’Amazon en France ces temps-ci, du moins pour l’Alimentaire … Or, les ambitions d’Amazon en Alimentaire restent fortes, les essais de nouveaux formats de magasin aux Etats-Unis s’accélèrent et, beaucoup plus près de nous, en Angleterre, Amazon a lancé ou annoncé trois initiatives majeures en avril :
- Le 17 avril, les autorités de la concurrence britanniques autorisent la prise de participation de Amazon dans Deliveroo, qui a été bien mise à mal par le « great lockdown » des restaurants … ; en ligne de mire la possibilité pour Amazon de mieux connaître les préférences alimentaires des millions de ménages anglais clients réguliers de Deliveroo, d’utiliser cette connaissance clients pour augmenter son taux de nourriture / sa part d’estomac à la fois en « grocery » et en « dine in » et enfin de mutualiser les « last miles » ;
- Le 20 Avril, la société annonce le lancement de Amazon Ultra Fresh Fast, un service, complémentaire à Amazon Fresh et Prime Now, de livraison des produits alimentaires en quelques heures, ciblant 40% des foyers britanniques d’ici fin 2020 et qui doit permettre à la société, forte de ses 15m d’adhérents Prime, de fortement concurrencer Ocado ;
- Le 28 avril, Amazon et Morrisons, la 4ième chaîne de supermarchés du pays, étendent leur partenariat vieux de 4 années à des grandes villes du « Midland », pour permettre aux membres Prime résidants d’avoir accès aux produits Morrisons en une à deux heures … A noter que Morrisons est surreprésenté dans le centre et le nord du pays, là où Ocado est moins présent, la densité de richesse moins forte et le besoin donc de solutions « click and collect » plus intense que par exemple à Londres … et à noter que Amazon a initié le click and collect aux Etats-Unis avec Whole Foods ;
Devons-nous anticiper ces mouvements en France ? Amazon va-t-il faire une acquisition structurante à la Whole Foods US ou à la Deliveroo UK, ou une succession de mouvements significatifs avec par exemple l’acquisition de Grand Frais, et par ricochet favoriser des fusions entre acteurs de la GMS classique (rappelons-nous des approches entre Carrefour et Casino), et - enfin - des reconversions de surface en « dark stores » ou en « dark kitchens » ? L’avenir nous le dira mais autant s’y préparer … apprendre à vendre et marketer ses produits sur Amazon, à gérer ses attentes spécifiques de réactivité logistique et de réactivité aux avis clients tout en protégeant sa marque et ses marges. Et aussi tactiquement, revisiter ses corridors de prix pour résister demain aux alliances et consolidations éventuelles voire certaines …
2nde piste, et cette fois ce n’est plus « l’éléphant dans la pièce », mais les « souris », de nombreuses souris et qui peuvent faire peur aux éléphant(eaux) : le retour à la Terre et les mini-républiques agricoles ou comment la GMS pourrait perdre significativement en taux de nourriture …
Pour introduire ce point, l'illustration suivante, désormais bien connue, est utile
Et donc si … une partie de l’archipel, afin de ne pas être submergée par le "squeeeze" de pouvoir d’achat et le réchauffement climatique, faisait totalement sécession ? Et si, comme en Grèce en 2012, de nombreux citadins retournaient à la Terre, reprenaient des terres libérés lors de départs à la retraite de paysans et développaient une agriculture « soutenable » avec une activité de tourisme à la ferme ? En Grèce, l’impact de la crise économique de 2008 a fait progresser la part d’actifs employés par le secteur agricole entre 2008 et 2013 de 11,1% à 13,6% …
Autant de personnes qui, de par ce retour à la Terre, vivent davantage de leur production et sur leur production, qui fréquentent moins la Distribution, qui achètent moins de marques, qui peuvent devenir eux-mêmes concurrents des acteurs de consommation de masse car membres d’Amap et autres réseaux de vente directe …
Certes, les chiffres triés ici de l’exemple grec sont limités … mais citons ici en italique Eddy Fougier, un politologue fin observateur du rapport à l’alimentation et à l’agriculture : et si de par « (1) l’existence de « chocs » violents, pandémies, catastrophes naturelles ou environnementales, crises économiques, etc., (2) une mutation sous-jacente des sociétés, notamment compte-tenu du renouvellement des générations, et (3) d’importants mouvements sociaux portés par des groupes qui ont tout intérêt à ce que les choses bougent : jeunes, « créatifs culturels » ou « transitionnistes » … » et « si ces différentes crises (pandémies, confinement, récession) devaient être à la fois profondes et durables avec, par exemple, une seconde vague de contamination et une récession particulièrement forte et si, parallèlement, on devait assister à nouveau à des effets tangibles du changement climatique, on pourrait observer un véritable tournant ».
Et si « tournant » il y a, peut-être préférez-vous avoir organisé une « fédération » efficace de points de vente localisés et de marques locales, assise sur une production optimisée entre le local/le made in France et le « origine UE », avec quelques marques ou produits appréciés par 100% de l’archipel, plutôt que piloter un « mammouth », même petit mais intégré nationalement ou continentalement, qui aurait du mal à prendre en compte les réalités locales et fragmentées suffisamment rapidement ? Il y a là un enjeu de transformation des modèles opératoires profond et complexe.
Que conclure – une conclusion générale ?
Les trois articles ont tenté de décrire à grands traits le « Monde d’avant », de formaliser en quoi le « Monde d’après » contiendra en partie l’avant en accéléré puis d’expliciter les réorientations de tendances et de lister deux « big bangs » envisageables - à vous d'en proposer d'autres -, tout en proposant des actions, des plus immédiates aux plus prospectives …
Une certitude émerge de toutes ces incertitudes, c’est qu’il sera dangereux d’agir en séquentiel : la séquence de type se focaliser sur « résister » puis sur « se relancer » - à modèle d’activité donné puis sur transformer son modèle d’activité, et ce « pour gérer les priorités les unes après les autres » serait pour de nombreux acteurs perdant. Le court terme doit certes être piloté au mieux mais en même temps des décisions importantes de transformation sont à prendre maintenant. La filière alimentaire, même si elle est moins touchée que d’autres secteurs à court terme, est sur l’écran radar des acteurs digitaux et sous le regard souvent méfiant d’archipels de consommation de plus en plus désargentés . Ses dirigeants vont pouvoir et sûrement devoir, encore plus qu’avant, simultanément optimiser et réinventer, et dégager ou préserver des marges de manœuvre financières, et prendre les décisions commerciales et stratégiques, qui prépareront le succès à moyen terme et y faire adhérer leurs équipes, dont à des « non regret moves » qui peuvent paraître chimériques, et et et …
« Vaste programme » certes mais au moins les entreprises de la filière ont pour la plupart un peu de temps pour le mener – contrairement à d’autres secteurs !
Aussi, « mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne vous prenne par la gorge » copyright : Winston Churchill
(un amateur de champagne et un senior advisor avec qui B2C Advisors aurait vraiment vraiment souhaité pouvoir travailler !)
#Covid #Agro #Amazon #blackswans #retail #agroalimentaire
Entrepreneur I Président @ Les Parisettes
4 ansMerci Frédéric pour ce rappel sur Amazon , qu’on oublie beaucoup trop... sans doute pq ça fait du temps qu’on parle de l’explosion d’Amazon en alimentaire sans la voir venir à notre porte... Tes hard facts Uk récents sont très parlants... A noter l’effet gâteau derrière la vitrine: On n’a pas envie d’acheter chez Amazon, mais c’est rudement tentant!
DG / CEO / F&B
4 ansPas facile la prospective en ce moment ! Pointu et bien documenté. Bravo Frédéric.
Founder at Xperts Council: Tailored Expert Calls, Senior Advisors, & Board Members
4 ansMerci Frédéric. Nous allons contacter ton senior advisor :).
Article tres visionnaire, la premiere plateforme de vente en ligne en Chine, JingDong capitalize deja sur sa superiorite logistique pour accelerer sa croissance dans le commerce des fruits et legumes!
Directeur Marketing Agroalimentaire - PGC passionnée ✔️Stratégie✔️RSE✔️Innovation✔️Digital✔️Transformation ✔️Transition « Le courage d’être authentique, la ténacité pour réussir »
4 ansEn ce qui concerne les éléphants et les souris, la question de l’image d’Amazon me saute aux yeux. Comment cette société peut se développer sans améliorer son image auprès des consommateurs et des partenaires ? Pourquoi une entreprise qui a un tel savoir-faire, a une image aussi déplorable ? Quand on sait les freins étiques qui peuvent exister pour l’achat d’un simple livre, on peut se demander ce qu’Amazon peut mettre en place pour que les ménages le considèrent comme un partenaire pour leur alimentation au quotidien, en se sentant respecté et en respectant l’ensemble de la chaîne ?