Covid-19 et le benchmarking par les citoyens
La crise du Covid-19 touche tous les pays du monde. Mais les images gravées dans notre mémoire sont fondamentalement différentes : en Chine, le portrait du médecin Li Wenliang, qui a mis en garde contre le virus et a été réduit au silence par son propre gouvernement.
En Corée du Sud, des tests de masse qui ont sauvé le pays et qui rendent maintenant possibles les élections législatives. Aux États-Unis, les cercueils en bois brut sont enterrés dans des fosses communes sur l'île de Hart. En France, les photos d'infirmières s'enveloppant dans des sacs poubelles parce qu'elles n'ont pas de vêtements de protection.
La crise sanitaire et économique n'est pas seulement source de souffrance, elle permet aussi une comparaison implacable des systèmes. Ce ne sont pas seulement les économistes ou les médecins qui font cette comparaison, mais chaque citoyen. "Les gens comparent plus intensément que jamais ce qui se passe dans leur propre pays et ce que font les autres", note le sondeur français Brice Teinturier.
Pendant la crise de l'euro, les primes de risque nationales étaient en jeu. Aujourd'hui, ce sont des critères complètement différentes qui comptent : Quelle est la dureté du confinement, combien de lits de soins intensifs et de tests un pays peut-il mobiliser ? Combien de morts faut-il déplorer ? Tout cela se résume : "Mon pays me protège-t-il ?"
Dans de nombreux cas, la réponse est aussi surprenante qu'amère. La Chine prouve que les systèmes autoritaires ne sont pas plus efficaces. Dans le même temps, elle a également mis en jeu son prestige international par des mensonges d'État. Les États-Unis semblent agités, sans tête et manquant de solidarité à un point tel que l'UE apparaît comme un havre de bonne coopération.
En Europe, les chiffres fluctuent encore trop pour qu'il soit possible de dire avec certitude quel pays fera le mieux face à la crise. Mais dès aujourd'hui, nous pouvons constater le nombre élevé de victimes en Italie, en Espagne et en France.
Pour beaucoup de Français, bien au-delà de la gauche dure, l'Allemagne était devenu ces dernières années l'enfer du précariat, un pays où l'inégalité triomphe. Aujourd'hui, on lit de longues analyses qui présentent le système de santé allemand comme exemplaire. Dans les rues, les policiers demandent : "Pourquoi y a-t-il moins de morts en Allemagne ?
Il serait obscène - et prématuré - pour l'Allemagne de se vanter de cela. Mais la question demeure. Lorsque le pire de la pandémie sera derrière nous, chaque citoyen exigera qu'on lui rende des comptes : Pourquoi la Corée du Sud et Taïwan se sont-ils si bien débrouillés, mais pas des pays plus riches comme l'Italie ou même la France ?
Il ne suffira pas de blâmer la mondialisation ou le retard qu'a pris la réaction de l'UE. Chaque pays devra faire son examen de conscience, est-il bien ou mal géré?
Les enjeux du système de santé, évidemment, sont importants. En Allemagne, heureusement, les conseils de la Bertelsmann Stiftung, qui, il y a neuf mois, préconisait "une forte réduction du nombre d'hôpitaux, qui passerait d'un peu moins de 1 400 actuellement à bien moins de 600", n'ont pas été suivis. En France, en revanche, selon la Fondation Adenauer, le système de santé est "au goutte-à-goutte depuis des années".
Une industrie forte, qui intervient lorsque les fournitures de ventilateurs ou les tests provenant de l'étranger n'arrivent pas, est un autre facteur de résilience. La capacité de la politique à accomplir rapidement et efficacement des tâches souveraines, mais aussi à assurer la fourniture de biens en coopération avec le secteur privé, est également nécessaire.
Toutefois, les critères vont plus loin et ne concernent pas que des facteurs "durs". Chacun dans une société attend-il des ordres d'en haut, ou existe-t-il une capacité d'auto-organisation lorsque les dirigents au sommet s'avèrent incapables ? Quelle est la qualité du dialogue, du consensus social ? Parce qu'il détermine la capacité des entreprises à changer rapidement de cap, à réorienter leur production.
Elle va jusqu'aux questions sociales. En Allemagne, peu de personnes âgées ont été infectées au départ, ce qui s'explique aussi par le fait que les jeunes Allemands sont des "fugueurs de nid", alors que leurs pairs en Espagne ou en France, coincés par des loyers élevés, vivent encore souvent chez leurs parents ou même leurs grands-parents - et les infectent.
Il est étonnant que les soi-disant rois soient nus aujourd'hui. Non seulement la Chine s'est déshonorée, mais les États-Unis aussi. La puissance technologique mondiale n'est pas plus résistante que d'autres pays. Au contraire. Les géants américains de l'internet sont utiles, mais n'ont pas amélioré la situation de manière significative.
Covid-19 est, comme le dit la philosophe Cynthia Fleury, un "test à moindre coût" pour d'autres crises, par exemple à la suite de la catastrophe climatique. La capacité à leur résister est un défi pour tous les États.
Nous n'aurons pas un stock énorme de masques, mais nous devrons restructurer notre économie afin que les biens essentiels puissent être produits ici et que la production puisse être modifiée à la vitesse de l'éclair.
En Europe, la résilience ne peut fonctionner qu'ensemble : tous les pays ne peuvent pas être autosuffisants. Cela soulève de nouvelles questions pour la solidarité européenne. L'aide financière pour surmonter ensemble les conséquences de la crise est importante.
Demander davantage de solidarité au gouvernement allemand, c'est justifié. À l'avenir, cependant, chaque pays devra montrer ce qu'il apporte afin que l'UE dans son ensemble puisse tenir bon. Les règles fiscales ne suffisent plus. L'UE a besoin d'un pacte de résilience auquel aucun membre ne peut échapper.