Covid-19 : quelles perspectives pour le marché de l'investissement des commerces en France ?
Retour de la défiance
En 2019, la tendance était redevenue positive sur le marché de l’investissement en commerces, avec six milliards d’euros engagés dans l’Hexagone soit une hausse de près de 30 % par rapport à 2018 et à la moyenne décennale. L’activité avait notamment bénéficié de la finalisation de quelques acquisitions de grands centres commerciaux, témoignant d’un retour de la confiance des institutionnels.
Le déclenchement de la crise sanitaire a entamé cette confiance. Si le marché n’est pas bloqué, les conséquences immédiates du confinement (fermeture des magasins, non paiement ou report des loyers) et les interrogations posées par la propagation du Covid-19 (fragilisation des enseignes, dépenses à engager dans le cadre de la crise sanitaire, valorisation des actifs) ont, au moins pour un temps, détourné des commerces un certain nombre d’investisseurs, en particulier ceux déjà largement exposés à cette classe d’actifs ou les plus averses au risque. Si les capitaux à investir en immobilier restent importants, plusieurs investisseurs sont du reste en train de les réallouer au profit d’autres segments de marché considérés comme plus résistants à la crise sanitaire (logistique, résidentiel). La défiance à l’égard des commerces s’est également étendue aux banques, désormais plus attentives (comme pour d’autres typologies de biens) à la qualité des actifs et de leurs fondamentaux au moment de financer de nouvelles opérations.
Dans ce contexte, les investissements en commerces devraient refluer en 2020, même si l’ampleur de la baisse est encore difficile à appréhender. Si le contexte est loin d’être comparable, rappelons que les volumes avaient dévissé de 75 % sur un an en 2008 (1,2 milliard d’euros investis). Cependant, le point le plus bas des vingt dernières années date de 2001 avec à peine plus de 600 millions d’euros engagés en France. Ce volume est quasiment celui atteint au 1er trimestre 2020, les sommes engagées en commerces sur cette période enregistrant un recul de 33 % sur un an. En cause, un nombre très réduit d’opérations, en particulier sur le segment des transactions de plus de 100 millions d’euros animé par la seule acquisition par MATA CAPITAL du « CIFA Fashion Business Center » d’Aubervilliers, plus grand centre européen de grossistes du prêt-à-porter.
Le recul des volumes pourrait s’accentuer lors des trois prochains trimestres, même si de nouvelles opérations majeures limiteront la baisse de l’activité à l'exemple de la cession par Unibail-Rodamco-Westfield d'un portefeuille de cinq centres commerciaux sous la forme d'une joint-venture avec Crédit Agricole Assurances et La Française. En outre, la grande spécificité des actifs de commerces dessine des perspectives très contrastées selon les territoires et types de formats.
Quelle correction des taux ?
La défiance des investisseurs restreint à ce stade le nombre d’acquéreurs potentiels. Les volumes devraient aussi être limités par l’attentisme de propriétaires potentiellement vendeurs, en raison du manque de visibilité sur la progression de la pandémie et sur la correction des taux de rendement. Ce flou pourrait notamment affecter les segments core + et value-add, où l’on s’attend aux baisses de valeur les plus fortes.
Comme pour le marché locatif, nous manquons encore de références permettant de déterminer l’ampleur du repricing des actifs de commerces. Cela dit, quelques exemples de négociations en cours semblent indiquer une stabilité ou une remontée assez modeste sur le segment du core, comprise entre 5 et 10 %. Lors de la crise financière, la hausse avait également été limitée, avec une remontée de 20 % environ des taux sur les meilleures artères parisiennes entre 2007 et 2008, avant un retour à la baisse à partir de 2011. Encore une fois, il est difficile de comparer ces deux moments de l’histoire du marché français des commerces, et rien ne permet pour l’instant de dire que la correction liée au Covid-19 ne sera pas plus marquée.
Sur les segments core + et value-add, certains dossiers indiquent aujourd’hui une hausse allant jusqu’à 20 %. Rappelons toutefois que la correction des taux d’actifs secondaire était déjà amorcée avant la crise du Covid-19, certaines opérations d’acquisition de biens à revaloriser faisant déjà ressortir des taux supérieurs à 8 ou 9 % ces dernières années.
Avantage à la proximité et aux retails parks
Tous les types de biens ne disposent pas actuellement des mêmes atouts. Certains investisseurs sont d’ores et déjà plus sélectifs, donnant la priorité aux actifs qui semblent les plus à même de résister à la crise sanitaire.
Tel est le cas des commerces alimentaires de proximité, qui sont parmi les rares à avoir tiré leur épingle du jeu lors du confinement et répondent aussi à l’évolution profonde des comportements d’achat. Ainsi, les formats de proximité étaient déjà prisés avant 2020, comme illustré par les nombreuses cessions de magasins Monoprix opérées ces trois dernières années. L’attrait pour les retail parks devrait également se renforcer en raison de l’adéquation de leur modèle aux contraintes nées de la crise sanitaire, avec un positionnement économique pertinent face à la baisse attendue du pouvoir d’achat des Français et des coûts d’occupation modérés à l’heure où les enseignes doivent accélérer la rationalisation de leur parc de magasins. L’accès en voiture est également privilégié, ce qui peut sécuriser les consommateurs face aux risques de contamination et facilite en outre le click & collect.
Les rues commerçantes, plébiscitées sur le long terme
Des questions se posent pour d’autres types de biens et de territoires. Les zones les plus exposées à la hausse du chômage ou ne bénéficiant pas d’une économie assez diversifiée pour amortir la crise semblent évidemment les moins bien placées. Elles faisaient d’ailleurs déjà l’objet d’une grande défiance des investisseurs avant la propagation du Covid-19.
Quant aux actifs de pied d’immeuble les plus dépendants des flux de touristes internationaux, ils devraient provisoirement perdre de leur attrait alors qu’ils étaient jusqu’ici très prisés des investisseurs. En 2018 et 2019, les boutiques de luxe avaient ainsi concentré 25 % des sommes engagées sur le marché des rues commerçantes à Paris. Néanmoins, plusieurs éléments plaident en faveur des plus beaux emplacements de la capitale : la priorité donnée par les investisseurs aux actifs core, un marché locatif préservé par une offre très restreinte et la capacité de résistance des grands groupes de luxe, et une correction a priori limitée des taux de rendement. Avant le déclenchement de la crise sanitaire, les taux prime des meilleures artères se situaient ainsi sous le seuil des 3 %, soit plus de 100 points de base au-dessous du niveau constaté avant la crise financière de 2008.
Et les centres commerciaux ?
Après la reprise constatée en 2019 (hausse de 164 % des volumes investis et de 0,3 % de la fréquentation sur un an), le marché des centres commerciaux est également bousculé par la crise du Covid-19. À court terme, les consommateurs pourraient avoir plus de réticence à fréquenter ces espaces fermés, alors que les performances des centres commerciaux sont justement corrélées à l’importance des flux de visiteurs. Pour les rassurer et pouvoir ouvrir leurs centres, les bailleurs ont donc dû rapidement adopter de nouvelles règles d’hygiène. Si celles-ci sont plus ou moins coûteuses à mettre en place, elles s’ajoutent néanmoins aux dépenses que la plupart des foncières ont engagées ces dernières années pour rénover et moderniser leurs actifs. Les bailleurs ont également dû aménager le paiement des charges et des loyers de leurs commerçants de façon à préserver les flux locatifs et l’attractivité de leurs centres sur le long terme.
Dans ce contexte, les investisseurs sont nécessairement plus prudents, même si de grandes opérations sont en cours et confirment le retour des institutionnels sur le segment du core. La crise sanitaire devrait en revanche accélérer la désaffection des investisseurs pour les actifs secondaires, en particulier pour ces centres qui dépendent d’acteurs et de secteurs plus exposés à la crise (indépendants, franchisés) et aux arbitrages des consommateurs (mode, etc.). Requérant un important travail d’asset management, ce segment pourrait toutefois offrir de réelles opportunités de création de valeur.
Retrouvez l'étude complète de Knight Frank France sur l'impact du Covid-19 sur le marché immobilier des commerces :
Dubai Real Estate | Copywriter Freelance
4 ansTrès enrichissant !