Cultiver « l’entreprise vivante »
Y a-t-il encore une place dans nos entreprises pour l’émotion ? La question est d'importance à l’heure où les peuples aspirent à de nouvelles formes d’exercice de la démocratie et du « vivre ensemble ». Et si la capacité à s’émouvoir et à transmettre l'émotion, caractérisait le dirigeant de demain ?
Comment ne pas constater que l’engouement actuel pour la mesure du bien-être, de la qualité de vie au travail masque trop souvent le manque d’aspiration partagée dans le collectif de travail ? L’environnement mondialisé de nos entreprises engendrerait-il à lui seul la prégnance des normes, règles, contraintes qui étouffent le sentiment collectif ? Ou le refoulement de toute émotion dans le style de management de nombre de dirigeants aurait-il sa part, engendrant un mal-être du corps social paralysant peu à peu la capacité d’action de l’entreprise ?
L’étymologie du mot « émotion » devrait pourtant nous rappeler que cette composante intrinsèque de la nature humaine, loin de se réduire à la sensibilité individuelle, est au cœur du mouvement collectif. Mme de Sévigné n’écrit-elle pas « Toute l'Europe est en émotion » ? Je ne parle pas de l’émotion que savent si bien manier les populistes, qui font un peu partout la démonstration paradoxale de la puissance des émotions en exploitant le besoin de reconnaissance et les frustrations pour satisfaire leur ambition, sans être en capacité de diriger durablement. Je ne parle pas non plus du charisme personnel du dirigeant hors de sa sphère d’action première, tel celui du PDG de Danone lors de son discours à HEC en juin 2016. Je veux parler d’un charisme qui est moins affaire de personnalité, de tempérament que de conception du métier de dirigeant, qui se nourrit du terrain, de l’observation, du dialogue avec les hommes et les femmes qui font marcher l’entreprise au quotidien.
L’émotion partagée nait du contact avec le vivant, de la connaissance du terrain.
Notre culture cartésienne et la formation de nos dirigeants tendent à ignorer la « compétence émotionnelle » dans l’art de diriger l’entreprise. Pourtant, l’émotion, la capacité à s’émouvoir tout autant que la capacité à la transmettre, caractérisent pour moi le dirigeant de demain. Certains dirigeants bien connus, froids et rigoureux, tirent leur vision - et leur légitimité – de la connaissance intime des réalités de l’entreprise et de ses équipes. Ils affrontent avec succès les défis d’une économie mondialisée et en transformation continue en entretenant leur inspiration par des visites régulières de leurs BU ou de leurs filiales, même les plus éloignées. Aucun d’entre eux ne noie ses managers de demandes continues de rapports - par méconnaissance, voire ignorance de ce qui se fait localement - ni ne se livre à une surenchère permanente d’exigences. Tous connaissent et reconnaissent les résultats atteints, tous savent s’assurer qu’ils partagent avec leurs managers la même vision et la même envie de faire.
L’émotion partagée nait du contact avec le vivant, de la connaissance du terrain. Elle est selon moi le moteur même de la mise en mouvement et de l’action collective, et la condition de sa réussite.
Le problème du dirigeant déconnecté du terrain, c’est qu’il ne sait pas parler à son entreprise car il ne sait pas ce qui s’y passe vraiment et ce qui s’y réalise. Comme l’homme politique qui ignore le prix de la baguette de pain, du ticket de métro ou de la célèbre chocolatine, il parle de manière abstraite en fonction de l’image qu’il s’est construit de la réalité, raisonne en hypothèses parce qu’il vit dans une bulle.
A l’inverse, le dirigeant qui est en prise avec la réalité de son entreprise, qui y ancre sa vision, sait de quoi il parle, et son entreprise le comprend. De ce fait même, le cap qu’il donne, l’ambition qu’il porte deviennent porteurs d’émotion, mobilisent les énergies. N’est-ce pas là ce qu'attendent les équipes ?
Florence Cathala
Présidente
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7 ansBelle article ! il y a un passage intéressant : "Tous (Dirigeants) connaissent et reconnaissent les résultats atteints, tous savent s’assurer qu’ils partagent avec leurs managers la même vision et la même envie de faire." ce qui génère un problème de reconnaissance si cela n'est pas fait et cela a tous les niveaux hiérarchique !
Conseil en organisation. Coaching.
7 ansBelle surprise cet article. Mais j'en partage le contenu.
Founder and CEO at Vianeo - Let's reveal value 💥 - Innovation enthusiast 💡
7 ansIl faut voir et revoir le film Vice&Versa ! Nous nous construisons avec et par nos émotions !
Coach, Préventrice, formatrice, thérapeute , accompagne la transformation individuelle et collective,
7 ansBonjour Florence, merci pour ce bel article. Interressant cette culture des émotions en entreprise qui est parsemée de croyances. la première pour les dirigeants étant que plus on est dans l'émotion, plus on est vulnérable. Donc pas de place à l'expression.Second point: Plus la posture est figée par les peurs, plus la carapace s'épaissit, et moins la personne est en capacité d'étre en empathie avec l'autre: elle perd sa capacité à être authentique et par extension son humanité.. Comme tu le soulignes, les politiciens ne sont plus en lien avec les élécteurs de la même façon, que les dirigeants ne sont plus en lien avec leurs clients. Heureusement, certaines entreprises sont assez conscientes pour réintroduire la notion de ressenti dans leur vision jusqu'à développer dans leur politique managériale de l'intelligence émotionnelle...Comme je le dis, tout un chemin:-)