Culture mutualiste : une inspiration en réponse aux défis actuels
La prise en compte croissante des enjeux de transition - climatique, énergétique, numérique, sociale, humaine, etc. - remet en cause chaque jour davantage les modèles des entreprises et appelle à les amender.
Dans ce contexte, les valeurs et pratiques du mutualisme font l’objet d’un regain d’intérêt tant ils semblent, a minima, faire écho aux revendications pour des entreprises plus responsables, pour une (r)évolution managériale et une relation client revisitée.
L’engagement volontariste des Caisses du Crédit Agricole sur leurs territoires, les actions du Groupe Vyv pour rendre la santé accessible au plus grand nombre, ou les innovations sociales et managériales au sein de la MAIF sont parmi les exemples les plus régulièrement cités de modèles à la fois vertueux et couronnés de succès.
Alors, si le mutualisme n’est pas la panacée et que ce modèle doit dépasser ses propres tensions – en particulier comment ne pas lâcher prise sur les principes mutualistes en interne dans les réponses à apporter à la pression concurrentielle - il y a certainement un intérêt à chercher de l’inspiration dans ce qui fait l’originalité d’une culture mutualiste pour challenger sa propre culture.
Ce qui fait une culture mutualiste
Les identités mutualistes se sont forgées à partir du 19è siècle sur un petit nombre de valeurs érigées en modèle. Ces valeurs ont guidé l’adoption de principes comme la gouvernance démocratique, la mutualité (le double statut assureur / assuré) ou la non-lucrativité (ou limitée).
En particulier, trois valeurs centrales ressortent de l’analyse des entreprises mutualistes et permettent un éclairage plus précis du mutualisme : solidarité, responsabilité, liberté.
La solidarité, dans le contexte du mutualisme, est une valeur centrale qui s’applique non seulement entre collaborateurs et envers les bénéficiaires mais aussi entre les bénéficiaires eux-mêmes. C’est l’idée fondamentale du « un pour tous, tous pour un ».
Cette valeur alimente des initiatives concrètes comme, par exemple, reverser aux sociétaires des économies réalisées du fait de la diminution des accidents de la route durant la période de confinement et de crise sanitaire (au même moment, d’autres acteurs du même secteur distribués 2 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires).
La solidarité se traduit aussi en interne sur le primat de l’évaluation collective plutôt qu’individuelle : les équipiers sont solidaires dans l’effort pour atteindre leurs objectifs.
Autre valeur, la responsabilité qui retrouve toute son actualité avec l’avènement de la RSE.
Qu’il s’agisse de la responsabilité de l’entreprise à l’endroit de la planète, de son territoire ou de ses employés, les cultures d’entreprises mutualistes révèlent leur désirabilité en mettant en scène leur action responsable. L’exemple est donné avec le Dividende écologique lancé par la MAIF à l’échelle nationale, tandis qu’au Crédit Agricole une part substantielle des résultats des Caisses régionales sont conservés et réinvestis dans des projets locaux fléchés par les élus locaux de la Caisse.
En interne, cela se traduit dans une attention particulière au bien-être des employés, à leur développement personnel et professionnel, ainsi qu’au respect des valeurs éthiques dans toutes les interactions.
Solidarité et responsabilité, se conjuguent avec la liberté, valeur fondamentale dans le cadre du mutualisme car elle représente l'autonomie et la capacité des membres d'une entreprise mutualiste à participer activement aux processus décisionnels et à influencer la direction et les politiques de l'organisation.
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Des inspirations concrètes pour se réinventer
Si on ne devient pas une entreprise mutualiste du jour au lendemain, il est possible de s’inspirer de ces marqueurs pour faire pivoter sa culture d’entreprise et ainsi façonner des pratiques plus désirables et mieux à même d’accompagner la prise en compte des transitions en cours. Plus prosaïquement, il y a là aussi des inspirations « business » qu’il s’agisse de gagner des parts de marché, d’attirer les talents ou d’engager les collaborateurs.
Quelques illustrations autour de trois défis.
Le défi de la relation client : ne pas considérer ses clients comme de simples contrats mais comme des acteurs qui ont leur mot à dire (en leur permettant par exemple de sélectionner les canaux de prise de contact et en privilégiant une relation responsable plutôt qu'axée sur les processus).
Les défis managériaux : porter un cadre d’autonomie qui permet de dépasser un « command & control » deshumanisant pour promouvoir un management par la confiance, la responsabilisation et le dialogue.
Les défis sociétaux et environnementaux : faire de la RSE une pierre angulaire de sa stratégie, avec un investissement sincère et proportionnel aux moyens de l’entreprise et non pas une simple obligation réglementaire ou sociale.
Passer d’un « mutualisme de fin » à un « mutualisme de moyens »
Ce questionnement sur la culture mutualiste doit aussi permettre aux entreprises mutualistes de dépasser les tensions qui les mettent aujourd’hui en danger et s’articulent autour de deux enjeux.
D’abord, comment renforcer leur signature mutualiste alors que la différenciation avec les offres de service des entreprises non mutualistes tend à s’estomper ?
Ensuite, et surtout, comment ne pas sacrifier en interne les valeurs et principes mutualistes en introduisant des logiques managériales « classiques » au nom de l’efficacité et de la performance ?
Ce dépassement, c’est non seulement persévérer sur la voie portée par les valeurs mutualistes mais c’est aussi passer d’un « mutualisme de fin » à un « mutualisme de moyens ». C’est-à-dire ne pas réserver les bénéfices du mutualisme aux « clients », en vidant au passage les institutions symboliques de tout réel pouvoir opérant mais, au contraire, faire des collaborateurs les acteurs engagés d’une culture mutualiste qu’ils vivent et font vivre à leurs clients et partenaires.
En synthèse, je crois que (ré)investir dans des principes de solidarité, de liberté et de responsabilité ne peut être que salutaire pour créer des modèles d’entreprises auquel les autres veulent appartenir.
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2 moisMerci Cédric Legros pour cet éclairage sur la culture mutualiste. J'ajouterai un point qui me marque de plus en plus en discutant avec les différents acteurs : leur perception du temps. Chez les mutualistes, parce que l'on veut faire les choses bien vis-à-vis de ses clients ou de ses collaborateurs, on accepte de prendre le temps. Cette "lenteur" pourrait porter en elle le risque de l'immobilisme mais celui-ci n'est plus possible dans un monde toujours plus concurrentiel et en perpétuelle évolution. Les mutuelles de santé ont ainsi découvert que la concurrence maintenant les percuterait plus fortement et qu'il fallait se remettre en question. Le temps ne veut pas dire "ne rien faire" mais il offre une vision plus humaniste de la conduite du changement. Dans d'autres univers, les changements s'enchaînent sur des rythmes plus rapides, cela peut certes permettre de s'adapter plus vite mais cette frénésie porte aussi en elle le risque de déstabiliser les clients comme le corps social et de ne pas parvenir aux objectifs voulus. Le débat reste ouvert...
➤ Coach de consultants et de coachs depuis 2005 | Auteur | enseignant de coaching universitaire | Expert en résilience et métamorphose professionnelle.
2 moisEn lisant l’article j’ai pris conscience que dans le joli panel de valeurs prônées par les entreprises « classiques » je n’ai jamais vu la solidarité et que c’est un manque énorme pour aider notre société à aller mieux