Débats d'urgence ou état d'urgence
Tout le monde s’accorde pour reconnaître que l’événement le plus triste et le plus bouleversant dans notre société est le décès d’un jeune, quelles que soient les circonstances, avant le départ de ses anciens.
Pour autant, les dégradations et pillages dont beaucoup sont le témoin au réveil ces derniers jours doivent nous inciter à réfléchir sérieusement sur le thème des violences urbaines.
La violence était déjà un sujet d’actualité avec la prise en compte récente par l’Etat de l’écoterrorisme et de la radicalité revendiquée par certains écologistes dans la lignée des publications de l’idéologue « vert » suédois Andreas Malm prônant une violence appelée « désarmement » au titre d’un « léninisme écologique ». Pour autant les tentatives de justifications ou les soutiens apportés aux soulèvements de la terre et aux écologistes radicaux ont un côté passionnel, souvent hors-sol, quelquefois romantique qui est finalement dans la continuité de la tolérance de la société française vis-à-vis de l’extrême-gauche. Héritières de 1792 qui avait vu la sacralisation de la Sainte Pique des sans-culottes, les théories justificatrices de la juste violence révolutionnaire fleurissent au XIX siècle : la barricade magnifiée par le verbe hugolien permet d’idéaliser une juste violence avant qu’Engels ne lui donne son sens progressiste comme accoucheuse de l’histoire. Après la seconde guerre mondiale, l’hypermnésie des crimes du nazisme accompagne l’amnésie de ceux du communisme et permet à une ribambelle de révolutionnaires d’opérette de s’insurger régulièrement (sans aucun risque physique dans notre société) au titre d’un néo-antifascisme de plume prédisposé au conformisme idéologique voyant dans tout bourgeois et dans l’ordre établi systématiquement une « droite brune ». Finalement l’opposition entre deux extrêmes, qui peuvent ponctuellement se rejoindre tout en le niant farouchement, est relativement inscrite dans notre histoire et les violences de ces deux bords ne sont pas de nature à remettre en cause l’ordre établi et l’équilibre du système, malgré les fantasmes de certains lider maximo grottesques.
A l’inverse l’irruption relativement récente dans l’histoire de notre société des violences urbaines est particulièrement grave du point de vue politique : elle remet en question la capacité de l'instance étatique à défendre les citoyens, laquelle est la base du pacte social et sa principale promesse. Dans la mesure où l'Etat se définit dans le sens weberien comme une entreprise de monopolisation de la violence physique légitime, l'irruption de violences urbaines ébranle ses fondations. Paradoxalement, c’est notre attachement viscéral aux valeurs d’un état républicain qui génère sa propre remise en cause. Déjà en 2003, Jean Louis Borloo alors ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine déclarait : « La spécificité française aujourd'hui en Europe, c'est que l'arrogance républicaine nous a fait passer directement à la case « ghetto », sans passer par la case communautaire que rejettent les principes de notre République. Cette ghettoïsation favorise les haines, bien plus qu'un système communautaire ».
Ces violences urbaines nous renvoient par ailleurs au concept d’ « illégalismes » développé par Michel Foucault pour rompre avec la catégorie juridique d’« infraction » et avec la notion criminologique de « délinquance ». Ces illégalismes sont entendus comme l’ensemble des pratiques illicites associées chacune à des groupes sociaux distincts. L’originalité de cette approche consiste à considérer l’illégalisme non comme un accident mais comme un élément indispensable du fonctionnement social. Chaque classe sociale connaît des formes d'infraction qui lui sont spécifiques et qui se transforment selon les conjonctures sociohistoriques. La régulation des illégalismes a donc partie liée avec le fonctionnement du pouvoir qui, pour se perpétuer, doit nécessairement ménager des espaces où la loi peut être ignorée ou violée : « La loi n’est pas faite pour empêcher tel ou tel type de comportement, mais pour différencier les manières de tourner la loi elle-même. » Dans cette perspective, la gestion différentielle des illégalismes s’explique principalement par l’inégalité des ressources qu’ont les individus face aux institutions répressives, notamment lorsqu’ils doivent justifier leurs comportements et éventuellement négocier les sanctions.
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Ces violences urbaines marquent aujourd’hui les limites de cette approche. En effet, les différences de traitement réelles, statistiquement prouvées ou simplement vécues, voire uniquement perçues sont les fondements de cette crise. La bavure, couverte par l’institution ou non, n’est plus tolérée par une partie de la population dont l’impunité a été, quant à elle, garantie pendant des décennies à travers des politiques de clientélisme et de laxisme. Face à l’échec de ses politiques et la perte de crédibilité d’un Etat social, le thème de l’Etat de droit s’était alors opportunément imposé depuis les années 1980, notamment face au développement, d’abord en Amérique du Nord, puis en Europe, d’un militantisme des Droits de l’Homme face à l’Etat et à la Loi. Cependant, même sans verser dans le débat sur l’opposition entre droit et loi, il est évident que le droit ne doit pas seulement être connu de tous les justiciables mais il doit être aussi reconnu. Le droit commun ne doit pas surplomber les justiciables mais provoquer leur adhésion et cela passe incontestablement par l’éducation et l’exemplarité.
On sait en outre depuis les émeutes de 2005 que si ces explosions de violences urbaines sont souvent déclenchées par des bavures policières ou par quelques abus d’autorité réels ou simplement perçus, les dégradations et agressions commises par les jeunes dans l’espace de la ville ont plusieurs autres causes croisées qu’il convient de traiter pour sortir d’un cercle vicieux générant inexorablement exclusion et paupérisation.
On peut citer la situation familiale critique souvent violente avec une absence de communication qui incite à reproduire en collectivité ce qui est vécu dans la cellule familiale. On note aussi une responsabilité de la mono-parentalié qui favorise malheureusement le relâchement du contrôle parental. On arrive alors trop souvent à un état d’échec scolaire qui obscurcit presque totalement l’horizon d’un éventuel ascenseur social. Il existe par ailleurs une relation vicieuse entre violence, chômage et discrimination, puisque le chômage engendre la violence qui renforce les discriminations qui favorisent le chômage. De plus, on ne peut nier l’impact du climat de tension issue de l’économie parallèle même si les trafics souterrains n’ont aucun intérêt à encourager les violences. Enfin, il convient de ne pas oublier l’incidence des éléments culturels et cultuels.
En conséquence, on reconnaîtra aisément que les réactions récentes n’ont certainement pas été à la hauteur des multiples chantiers à mettre en œuvre si l’on souhaite réellement conserver une république indivisible, laïque, démocratique et sociale reposant sur nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.
C est pauvre et triste
🧀 Cheese Geek Stoïc Advisor👨🏼💻
1 ansJe partage votre avis Christophe.👍