Confinés mais pas aliénés

Confinés mais pas aliénés

Tout est-il pourri au royaume de la pandémie et du confinement ? Nous sommes tous conscients des morts, des hommes et des femmes qui vont perdre leur travail, de ceux qui le gardent la peur au ventre, de tous ceux qui souffrent de l’enfermement mais paradoxalement, comme nous l’a appris Nietzsche, ces expériences communes sont nécessaires pour nous comprendre vraiment. Confinés nous sommes, obligés de garder nos distances quand nous sortons, mais tout cela, c'est un commun et c'est un commun qui est désormais le nôtre et qui nous aide et qui nous aidera à mieux nous comprendre.

Récemment on a beaucoup mis en avant Camus, que ce soit à travers l’intérêt de lire ou relire La Peste ou en réfléchissant sur son fameux « un homme, ça s’empêche. ». Mais c’est chez Pascal qu’on apprend que « tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre ». Confiné chez lui, l’homme vit une situation insupportable qui le renvoie à ses pensées sur sa misérable condition, à sa peur de la maladie et de la mort. Cette idée de la fragilité va s'installer psychiquement en nous. L'incertitude sera plus intime, plus présente et plus angoissante.

Ainsi, à chaque catastrophe ou épidémie, on observe une augmentation du mysticisme, une accélération des process de plongée dans un monde intérieur, un surdéveloppement de la protection familiale et du groupe et une recherche haineuse du bouc-émissaire. Nous avons tous été choqués au bout de quelques jours de confinement de voir certaines lignes de front sociales inquiétantes bien qu’archaïques se dessiner : une opposition entre les jeunes insouciants et les personnes âgées durement frappées, entre les bourgeois au confinement confortable et les prolétaires qui doivent travailler à l'extérieur et s'exposer au risque, entre la campagne et la ville. Heureusement ces clichés caricaturaux sont mis à mal par bon nombre de contre-exemples et d’initiatives généreuses valorisées par les réseaux sociaux. Il est donc impératif que tout cela engendre des réactions positives, une prise de conscience.

Pour éviter tout syndrome psychotraumatique, il convient d’initier une réflexion sur soi avec soi-même, une sorte de thérapie par la philosophie. C’est-à-dire mettre en place une clarification conceptuelle avec discernement, sans se laisser emporter trop loin par les affects, afin de pouvoir mettre des mots précis sur les expériences que nous vivons. Tous les traumatismes obligent à penser la vie autrement. Sinon, nous restons prisonniers du passé, prisonniers du malheur, nous ne faisons que répéter, nous arrêtons de penser. Penser et envisager une autre manière de vivre, c’est bien la définition de la résilience. Nous étions prisonniers du temps social et nous sommes en train de redécouvrir le temps intime, le temps du corps, le temps de la nature. Nous allons redécouvrir des temporalités que nous avions enfouies, plus archaïques, plus sensibles. Confinement ou pas, la recette de la résilience repose sur trois piliers : l’action, l’affection, la réflexion. Malheureusement comme je l’ai écrit récemment en évoquant la crise de 2008, la résilience ne s’apprend pas et ne se transmet pas, elle se vit uniquement comme une expérience.

Pour autant je maintiens ce que j’ai déjà écrit, que notre monde ne sera pas totalement changé à l’issue de cette crise. L’histoire montre que très vite les routines se rétablissent, cela a été le cas après les deux guerres, l’ivresse de vie finit par se perdre, et y succède une tendance à la banalisation, à la normalisation. L’expérience montre en outre que souvent après une catastrophe, on voit émerger une forme de déni, de refoulement, et retrouver la vie d'avant peut nous donner l'impression que c'était juste une parenthèse et que cela n'arrivera plus. Enfin, il y a un risque de tomber dans un productivisme post-crise, une volonté farouche de vouloir compenser et rattraper ce qu’on aurait perdu, qui reproduirait en pire les travers de la période précédente. La mondialisation restera un axe de développement, tout comme le progrès et le recours au capital. "L'histoire ne se répète pas mais elle bégaie". Mais nous serons vigilants.

Car ce qui va fondamentalement changer en revanche, c’est nous, au moins pour ceux qui seront arrivés au bout de leur réflexion. Aujourd’hui il y a une crainte légitime que nous devenions tous des Hikikomoris, ces jeunes Japonais qui s’enferment chez eux, n’en bougent plus et sont en lien avec le monde entier via les réseaux sociaux. Le confinement pourrait conduire à cette bulle globale, cette aseptisation du lien social. Doit-on s’en inquiéter ?

Notre monde connecté et digital développe une individualisation du lien social, où l’autre devient davantage une sorte de faire-valoir de nos vies personnelles. Les nouveaux media ont transformé autrui en accessoire, que ce soit dans l’univers professionnel ou amical, dans la mesure où la communication avec l’autre éloigné paraît plus intéressante que celle avec celui ou celle qui vous fait face. Pour preuve cette consultation frénétique des smartphones quand on est au restaurant même à deux en toute intimité. Nous nous étonnons tous que nos adolescents (ou jeunes adultes) ne répondent que très rarement à nos appels téléphoniques mais certains confessent qu’ils préfèrent contrôler l’écrit, alors qu’ils ne peuvent pas le faire avec la parole.

Paradoxalement le confinement est en train d’éradiquer cette tendance. Ce « memento mori » (rappelle-toi que tu vas mourir) mondialisé nous confronte à notre finitude, à notre précarité et à notre fragilité. Il implique une volonté de reconquête du goût de vivre, de jouissance du sentiment d’être vivant, que le culte de la vitesse et de l’urgence, issu en partie des technologies modernes, était en train de nous faire perdre.

En ce moment, nous sommes en train de retrouver le prix des choses sans prix. Alors qu’on nous interdit de faire une simple balade, de rencontrer ses amis, qu’on limite l’autorisation de se rendre à son travail, on s’aperçoit combien cela avait une valeur absolument inouïe, mais oubliée. Ce confinement aura une conséquence d’ouverture sur les autres et de recentrage sur les plaisirs essentiels. On peut voir dans le développement des apéros en ligne, phénomène si caricaturalement français, les prémices de cette tendance.

Si cette crise doit générer des opportunités, c’est bien en développement personnel mais en restant autonome avec sa propre réflexion et sans passer par des coachs ou autres gourous, au positionnement ambigu entre le philosophe qui n’est pas là pour faire du bien mais pour aider à penser mieux et qui entre la vérité et le bonheur choisit la vérité, et le thérapeute, qui lui vise la santé. En mode confiné, nous retrouvons du temps et il n’y a pas de réel besoin de ces charlatans qui ne sont ni tout à fait philosophes ni tout à fait thérapeutes.

En conclusion, il y aura bien un avant et un après, mais sans changement radical de notre monde. En revanche, pour structurer cet après nous serons encore là et nous aurons changé en profondeur. C’est donc une bonne nouvelle puisque le monde c’est nous.


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