Ultracrepidarianisme...??
Quel est donc ce mot incongru, qui en plus ne présente aucun intérêt pour le Scrabble, car beaucoup trop long et sans aucune lettre rare. C’est simplement le comportement qui consiste à donner son avis sur des sujets sur lesquels on n’a aucune compétence crédible ni démontrée. Alors que la pandémie a remis à la mode la lecture de Camus, que ce soit La Peste et surtout la réflexion autour du fameux « un homme, ça s’empêche », c’est finalement Raymond Devos qui l’emporte actuellement lorsqu’il disait : «Se taire quand on a rien à dire ? Ah non, c’est trop facile ! ».
Pourtant, Descartes semblait vouloir nous en préserver : "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée." Mais si le bon sens est bien la chose du monde la mieux partagée, que dire de la connerie ? Justement, la connerie est un vrai problème, autant que l’existence de Dieu, que les fondements de la démocratie ou que l’essence d’une œuvre d’art. De nature protéiforme, concept plastique, la connerie est universelle. La connerie, chacun la connaît : nous la supportons tous au quotidien. C’est un fardeau. Et pourtant les psychologues, les spécialistes du comportement humain et autres philosophes n’ont jamais essayé de la définir. On peut perdre beaucoup de temps à vouloir l’enfermer dans une définition abstraite, mais la connerie, c’est avant tout des cons.
Mieux la comprendre pour mieux la combattre, ce pourrait être un noble objectif mais il s'avère qu'amener un con à résipiscence est un combat perdu d'avance. Vouloir le raisonner nous contraint de reconnaître que nous sommes vaincus d’avance (d'où peut-être ce terme de convaincu ?). Le doute rend fou, la certitude rend con. Si vous estimez de votre devoir de faire évoluer le con, vous prétendez savoir comment il devrait penser, c'est à dire se comporter en l’occurrence, comme vous. Et vous voilà con. Tentez d’améliorer un con et, non content d’échouer, vous l’aurez renforcé dans sa conviction et vous l'aurez dupliqué en créant un nouveau con. Il n'y a pas que la raison qui échoue face à la connerie. Lacan a ainsi pu dire que "la psychanalyse est un remède contre l'ignorance. Elle est sans effet sur la connerie."
Pour autant, il ne faut pas basculer dans le pessimisme le plus noir car il n'y pas plus de cons dans les circonstances extrêmes que nous connaissons actuellement, ni même globalement dans notre époque, qu'auparavant. La connerie n'est pas une pandémie qui attend son paroxysme généralisé, c'est juste qu'elle n’a jamais été aussi visible, décomplexée, grégaire et péremptoire. Andy Warhol avait tenté de nous prévenir en affirmant "A l’avenir chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale". Mais c'est Umberto Eco qui, comme souvent, synthétise le mieux ce que nous vivons. "Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d'imbéciles qui avant ne parlaient qu'au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd'hui ils ont le même droit de parole qu'un prix Nobel".
Le souci est qu’actuellement, on peut avoir l’impression très désagréable que même les Prix Nobel, les fameux sachants, sont eux aussi en train de déverser leur lot de conneries. Dans son dernier ouvrage « Ce virus qui rend fou » Bernard Henri Lévy note bien que « mais ce qui m’a le plus sidéré, ce n’est pas la pandémie …. C’est l’épidémie, non seulement de Covid, mais de peur qui s’est abattue sur le monde ». Pour continuer à le citer, « un monde où règnent les techniciens de la ventilation, les surveillants généraux de l’état d’urgence, les délégués de l’agonie » devient très inquiétant, plus que sidérant, « et c’est encore pourquoi, il fallait résister coûte que coûte, à ce vent de folie qui souffle sur le monde ». L’infantilisation dont nous sommes victimes et la faculté de vouloir ne présenter que les indicateurs anxiogènes, quitte à changer de thermomètre lorsque la fièvre n’est plus assez élevée en passant innocemment de la publication du nombre de morts quotidiens au nombre de cas positifs, doivent nous inciter à nous demander pourquoi ? La finance comportementale nous a appris que face au mimétisme informationnel et au biais de confirmation, il est fondamental de garder un brin de cynisme pour toujours s’interroger sur les raisons qui poussent un tiers à me donner une information.
Quand on y réfléchit, ce vent de folie ne s’est pas mis à souffler subitement, mais était déjà bien présent à travers le grand mal français : l’égalitarisme. Economiste et philosophe, Friedrich Hayek a admirablement tout synthétisé en proclamant : « il y a toutes les différences du monde entre traiter les gens de manière égale et tenter de les rendre égaux. La première est une condition pour une société libre, alors que la seconde n’est qu’une nouvelle forme de servitude ».
Si on ne considère que le cas français, cette pandémie a encore été l’occasion de privilégier à tort et comme souvent une sorte d’égalité de façade au détriment de la recherche du vrai bien public. Confiner tout le monde, porter un masque en toutes circonstances, au lieu de traiter les cas par le prisme du bon sens : c’est-à-dire confiner les vulnérables et laisser les actifs responsables faire tourner l’économie ainsi que ne porter le masque qu’en zone dense et pas lorsqu’on est isolé, sont des exemples évidents de ce travers. Le bon cheminement ne passait pas par ce principe de précaution dénigrant l'espoir mais bien dans la valorisation de l'espérance et de la responsabilité. Et comme on est en France, des mesures incompréhensibles voire paradoxales (porter un masque pour faire son footing en extérieur mais ne pas en porter pour le faire en salle de sport; mesure heureusement vite avortée) renforcent le camp des râleurs et donnent du grain à moudre aux anti-masques et finalement aux anti-élites et anti-tout.
Il est donc urgent de retrouver un minimum de sens critique dans l’analyse de la situation actuelle, de rendre aux agents responsables leur liberté pour faire face dans leur périmètre de compétence (notamment les chefs d’entreprise auprès de leurs salariés et autres parties prenantes) et surtout que nos chers politiques et fonctionnaires arrêtent de vouloir tout réguler. Notre société souffre déjà de trop de régulation et de normes quand tout va bien, il est donc vital de ne pas l’entraver quand la situation est exceptionnelle. A l’occasion de cette crise, la France a dépensé sans compter pour aider les français et les entreprises. Ainsi a été perpétuée une tradition vécue depuis l’après-guerre de surréaction par rapport à nos partenaires économiques à travers des mesures sociales pour protéger ses concitoyens lors des grandes crises (régime du licenciement économique en 1973, avantages sociaux post 1979 avec l’arrivée au pouvoir des socialistes, mesures budgétaires du président Sarkozy en 2008). On ne peut que louer ces politiques même si elles ont pour conséquence de créer une attente, une habitude voire une dépendance. C’est pour cela qu’il est encore plus fondamental de ne pas entraver ceux qui sont réellement en première ligne et permettent le redémarrage.
Gérante Laiterie Gilbert Mios & Audenge
4 ansJ'adore !
Dirigeante⎮Consultante en formation⎮Auditrice Qualité⎮Administratrice indépendante
4 ansNoté, toujours de bons conseils Christophe. Je t’en prends un Michel Rive ? 😉
Communication & Sustainability Director, Lithium Projects at Imerys
4 ansBien dit, Christophe. En résumé - comme disait Brassens : quand on est con, on est con !
Poil à gratter - Conseil de Dirigeants - Hôtelier - Ultra Traileur
4 ansTrès belle tribune. Et tellement d'accord avec toi !