Décider aujourd'hui et demain, conversation avec Pascal Demurger, Directeur Général du Groupe MAIF
Nous nous sommes retrouvés dans notre espace d’innovation, le NEXT, avenue Kléber. L’endroit est propice à la projection des idées. Pascal Demurger, le directeur général du groupe MAIF depuis 2009, m’a fait le plaisir d’accepter cet échange, cette conversation pour explorer ensemble comment les dirigeants vont "décider" dans ce monde qui vient vers nous.
Pascal Demurger a fait de la MAIF une entreprise à mission et ses prises de parole et de position font toujours évènement. L’une, qui a récemment marquée, fut son tweet et son post LinkedIn, après l’annonce des résultats de son entreprise : "Un dirigeant peut-il être fier d'annoncer des résultats divisés par 4 ? Oui quand, dans une période de crise comme celle que nous traversons, c'est la preuve que notre préoccupation était avant tout d'être solidaires envers nos sociétaires, nos collaborateurs et nos partenaires !".
Le thème, que j’explore ici avec d’autres dirigeants, "Comment décider, aujourd’hui et demain ?", prenait ainsi une belle résonnance. Et puis, à la lecture de son livre "L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus", j’eus le sentiment que nous partagions la même conception du rôle de l’entreprise et de ce que doit devenir le management, même si nos chemins pour y parvenir ont été différents.
Un livre, c’est un acte d’engagement. Écrire son parcours et son projet d’entreprise a, bien sûr, une visée d’ouverture de sa propre audience, mais au-delà c’est aussi un pacte qui se signe : "ce que j’écris, je le fais, vous en êtes désormais les témoins".
C’est avec ce sentiment que je commençais notre conversation.
- Vous le dites bien au fil des pages et de vos initiatives, transformer et réorganiser l’entreprise pour lui donner une mission fondée sur une promesse client, qui prend alors un statut central, c’est une décision qui ne peut se prendre seul, au risque de rester dans l’incantation. C’est une vision qui passe à l’action.
- Oui, on ne peut pas rester, me répondit-il, dans un ilot de verticalité, dans un monde de plus en plus horizontal. Quand nous avons commencé en 2015 à lancer les changements et les réformes, nous avons décidé de commencer par mettre en place un "management par la confiance". La culture interne et le management sont ainsi les fondements de tous les autres changements. Mais cela nécessite parfois de prendre des décisions radicales. Par exemple, quand j’ai proposé de supprimer les bonus et les commissions pour les collaborateurs, y compris pour les commerciaux, mon COMEX m’a dit "tu vas trop loin" ! Or c’était une condition indispensable pour installer une relation client "honnête", proposer un vrai conseil sincère . Ce sont des décisions difficiles sur le moment, mais elles favorisent un engagement de l’entreprise auprès de ses clients et ils le lui rendent par leur fidélité.
- Et cette après-crise saura nous mettre à l’épreuve. Pour rebondir sur votre position engagée, je crois qu’il y a deux décisions structurantes pour la période qui va s’ouvrir : être déterminé à amplifier la qualité de la relation avec nos clients – faire une promesse et la respecter - et faire évoluer nos modes de management pour favoriser l’engagement des collaborateurs. Rien de disruptif et pourtant deux décisions qui vont emporter beaucoup de nos vieilles certitudes.
- Je vous suis sur ces points, enchaîna Pascal Demurger, et je repense à ce samedi du mois mars 2020, date de la décision de rembourser nos clients de leur prime d’assurance auto correspondant à la période du confinement.
Ma conviction était que l’on ne s’enrichit pas pendant la crise. La mesure s’est imposée, il y avait une forme de logique. Ma voiture ne roule pas, pourquoi est-ce que je paierais ? Au matin de ce samedi, j’ai envoyé un message à mon Comex, sur notre boucle WhatsApp, leur proposant une réunion à 15h. J’ai ouvert la discussion avec cette idée, l’accueil a été enthousiaste. "C’est là que nous devons être" m’ont-ils dit.
- Cette histoire, dis-je, vous le dites bien dans votre livre, c’est comme un fil à plomb : J’ai ouvert la discussion avec cette idée, l’accueil a été enthousiaste. C’est cette ambition que nous devons mettre en œuvre.
- Pourtant, avec le temps, j’en arrive à la conviction qu’on ne pourra pas généraliser ce mouvement d’entreprises qui renoncent à une performance uniquement court terme, si on ne créé pas les conditions de sa réalisation.
Et je crois que l’Etat a une double responsabilité : il pourrait créer un système de notation des entreprises en fonction de leur comportement économique, social, environnemental. Et puis, il serait aussi prépondérant qu’il organise sa politique économique autour de ce sujet, ce qui renvoie à la question de la conditionnalité des politiques publiques. Par exemple, la politique fiscale pourrait intégrer ces critères de comportements, pour ne plus traiter les entreprises de manière indifférenciée, ou aveugle.
J’ai cru un temps que le fait que l’engagement de l’entreprise nourrisse sa performance long terme, suffirait à convaincre de plus en plus de dirigeants à s’engager dans cette voie. Je vois que ce n’est pas possible et l’affaire Danone le démontre. Il faut donc que l’environnement politique, fiscal et économique soit plus porteur et soutienne ce mouvement.
- C’est en effet, Pascal, un vrai défi que de concilier ces exigences et sans doute un système de bonus/malus rendrait tout cela plus lisible. La démarche que nous suivons chez Sopra Steria Next, c’est de nous focaliser sur l’accompagnement dans la durée de nos 26 grands clients en France, nous avons donc l’habitude de dire que nous jouons sur le long terme en concevant des stratégies issues de nos expériences du terrain et réellement actionnables. Cette vision du conseil a un impact fort sur le rôle, les valeurs et les pratiques du consultant.
Et puis, je le disais tout à l’heure, vous utilisez dans votre livre l’image d’un fil à plomb pour évoquer l’alignement des valeurs et des actions de l’entreprise. Cet alignement, pour moi, peut aussi prendre une dimension nouvelle : je crois que l’entreprise peut évoluer vers un modèle qui met au centre non pas ce que l’entreprise sait produire, mais ce qu’elle promet à son client, même si cela dépasse ses propres capacités de production.
Nous appelons cette stratégie, la stratégie "entreprise plateforme". Une entreprise qui, pour satisfaire sa promesse client, décide d’aller au-delà de ce qu’elle sait faire et travaille avec un écosystème ouvert, aligné avec cette promesse. En instaurant des relations basées avec les clients et les partenaires sur une éthique numérique, une confiance et une transparence de l’information et des données, nous pouvons ainsi décider de bâtir un modèle que je crois, résilient. L’entreprise "d’après", en quelque sorte.
Senior Vice President of Brand@Bollé Safety | B Corp™
3 ansBravo pour ce bel article sur le courage du leader #Pascal Demurger. Un exemple d’ entreprise alignée avec sa mission, profondément au service de ses promesses clients. Courage de prendre des mesures différentes au service et avec son écosystème.