Découvrir nos théories implicites du management
Comment démarrez-vous vos entretiens ? Pourquoi organisez-vous des réunions assis plutôt que debout ? Que pensez-vous du management agile ?
Ainsi pourrions-nous égrener nombre de questions sur vos et nos pratiques du management. Il est probable que ce jeu de questionnement provoque l'embarras tant il est vrai que nous agissons pour beaucoup par habitudes, selon un certain nombre d'évidences. Évidence, de "videre" qui signifie "voir", c'est ce qui s'impose à l'esprit sans être discuté. L'évidence est donc un point aveugle. Par exemple, on s'assied toujours en réunion ! D'ailleurs cela se justifie par la longueur des réunions. Évidemment, on n'imagine pas une réunion de 2 ou 3 heures, ni même d'une heure où les participants seraient debout. Alors qu'assis et au chaud, la réunion devient plus supportable, le temps passe, on finit par s'occuper. Donc, une réunion, cela se fait assis. Voilà le genre de pratique évidente que l'on peut questionner : pourquoi ne ferions-nous pas une réunion brève mais debout ? Justement pour éviter que l'on ne s'installe dans la durée ...
L'on voit donc bien l'intérêt de remettre en question des évidences, de reconsidérer des pratiques acquises car à demeurer en deçà de l'explicitation, on court le risque de la systématisation. Or ce qui fait une bonne pratique ce n'est pas, ou pas seulement, sa valeur intrinsèque mais son adaptation à l'objectif recherché, aux interlocuteurs et aux circonstances.
Pour sortir d'une pratique répétitive qui va de soi, la question clé est : pourquoi fait-on ce que nous faisons ? Les réponses résident dans nos théories implicites du management, soit un ensemble de représentations sur le management, sur les personnalités, la motivation au travail, etc. Tout un univers mental édifié autour de diverses expériences, de valeurs, de modes de fonctionnement personnels (donc de projections).
Ce qui ne signifie pas que nos pratiques non explicitées ne sont pas efficaces. Nous postulons ici que les connaissances managériales "expérientielles" sont fondées, peu ou prou. Cela signifie que ces pratiques reposent sur un savoir constitué au fil des expériences mais qui n'est pas formalisé parce que non conscientisé. Une sorte de pré-notion managériale. Une vraie richesse laissée en friche. Cela s'observe en formation, lorsqu'un participant témoigne d'une expérience, que le formateur le questionne pour clarifier sa pratique ("comment faites-vous ?") et qu'apparaît progressivement une compétence ignorée du participant lui-même : il ne savait pas en théorie qu'il savait faire. Le participant est alors surpris de se découvrir compétent sans avoir d'abord bénéficié d'un apport du formateur. Ainsi la valeur pédagogique d'une formation peut consister - avec un groupe de praticiens ayant déjà une expérience - à mettre au jour cette richesse de l'expérience. Puis de thésauriser sur les pépites de compétences extraites en poursuivant avec une démarche pédagogique qui relève d'une analyse de la pratique.
Par exemple, à la question "comment démarrez-vous vos entretiens ?" la réponse peut être : je souris, je dis bonjour, je fais entrer et j'invite à s'asseoir, j'annonce ou je rappelle l'objet de l'entretien. Pour certains managers cela prendra 30 secondes, pour d'autres cela peut prendre 5 mn ou plus. Pourquoi un tel écart ? Parce qu'en réalité ces deux managers ne font pas la même chose, leurs pratiques respectives divergent. Lequel a raison ? Il n'y a pas de bonne réponse. Mais il y a de bonnes questions. Le formateur (ou le coach) pourra alors utilement demander : "Lorsque vous faites cela, que faites-vous vraiment ?". L'un va droit au but dans une recherche d'efficacité immédiate alors que l'autre s'attache, par-delà le premier contact, à instaurer un processus relationnel, une ambiance de travail propice à traiter un sujet particulier.
Le jeu des questions - réponses dans le cadre d'une analyse de la pratique nous amènera alors à mettre au jour ce que chaque manager croit de ce que doit être une bonne pratique, par exemple un bon entretien, et plus largement ce qu'il pense des relations de travail. Cet exercice pourra même aller au-delà de la seule analyse de la pratique et déboucher sur un travail plus approfondi de connaissance de soi (comment je fonctionne et quels effets je produis sur les autres). Ainsi l'un se découvrira extraverti et l'autre introverti (non pas au sens de l'usage courant mais selon les termes définis par le M.B.T.I. questionnaire de personnalité issu des travaux de Jung).
Prenant mieux conscience de soi et des autres, interrogeant ses objectifs, un manager pourra alors enrichir son management d'une gamme de pratiques à choisir selon ses besoins. Il pourra le faire de façon réfléchie, en ayant fait retour sur son expérience, questionné ses valeurs, clarifié ses justifications.
Expliciter ses théories sous-jacentes à toutes pratiques, c'est enrichir son expérience d'une réflexion et ainsi ouvrir la pratique à d'autres possibles.
©Manager Formation FF2019
Bien vu ! Plus généralement nos cultures nous emprisonnent parfois. Me rappelle cet ouvrage relatif à l'interculturel : "Les évidences invisibles"