Déformation

Déformation

 

Le discours de cette amie, juste revenue de vacances dans ‘’sa douce France’’ disait-elle, faisait irrésistiblement résonner dans son esprit, la complainte du poème de Verlaine, ‘’Le ciel est par-dessus le toit’’, Mon Dieu, Mon Dieu, la vie est là /Simple et tranquille / Cette paisible rumeur là / Vient de la ville.

 

Tout concourt à la déformation, avait-elle lancé, pour commencer. La France en déshérence, à la dérive morale, sécuritaire, économique, sociale, un Israël à feu et à sang, pays de guerre et d’apartheid, la jeunesse aculturée, sans idéal, jouisseuse, l’apocalypse climatique à nos portes…..Alors qu’en réalité, La France en dépit de ses difficultés indéniables garde sa plénitude. Israël reste en pointe dans de nombreux domaines, en dépit de ses déséquilibres économiques et moraux. La jeunesse affronte sans peur tous les défis modernes, en dépit de ses dérèglements. L’accélération de la crise climatique stimule les comportements responsables…..La vie, la vraie vie,  en dépit de ses douleurs garde ses joies., loin de la déformation dantesque de sa représentation.

Nul besoin de se gargariser du monde à venir du Metavers. La réalité décrite est déjà virtuelle. Et en rien vertuelle, osa-t-elle, pour bien enfoncer le clou. Les médias sont les premiers coupables. Le drame est leur nourriture favorite. Le lecteur, l’auditeur, le téléspectateur, est précipité sans interruption dans un univers enchainant les grands drames les uns aux autres, éclipsant totalement le courant de la vie, ses aventures et ses plaisirs. Ah, la longue litanie des journaux télévisés désespérants !

Le personnel politique n’est pas loin derrière. La dramatisation, si commode, justifie le vide et les excès, servant de cache-sexe au creux de l’argumentaire. Mais le règne véritable est celui de la caricature. Non pas pour révéler la vraie nature des hommes et des idées, mais au contraire pour déformer, ridiculiser, dénigrer l’adversaire.

De façon plus générale, laisser du temps au temps disparait du vocabulaire et des pratiques. La véhémente amie osa encore Nous sommes dans l’immédiatisation.  L’actualité noie la réflexion dans un espace de temps de plus en plus court. Une invention verbale qui ramena Verlaine à l’esprit de Jonathan. Le ciel est par-dessus le toit / Si bleu, si calme ! / Un arbre, par-dessus le toit / Berce sa palme.

La mise en perspective des évènements est remplacée par l’accumulation, une nouvelle catastrophe se superposant à la précédente, l’envoyant systématiquement dans les trous noirs de la mémoire.

La vie devient une histoire, pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot, telle que Shakespeare l’avait déjà relevé.

Et, cerise sur ce gâteau amère, la simplification extrême de représentation de la réalité, émascule la vie de la complexité qui, pourtant, en fait toute la richesse.


Que faire ? ….Le silence abyssal qu’opposa Jonathan à cette interrogation qui lui apparaissait, elle aussi, plus virtuelle que réelle, permit à la brune amie de reprendre le fil, tel qu’elle le souhaitait à l’évidence.  Eh bien, sortir de ce labyrinthe de glaces déformantes.  Ne pas se laisser impressionner par l’image qui allonge démesurément, par celle qui tasse et écrase. Savoir ramener à ses vraies proportions l’idée, le fait, la personne que l’image distord, gondole et rend méconnaissable. Avec précaution mais obstination, trouver le chemin qui mène vers la lumière de l’extérieur. C’est-à-dire vers la vraie réalité des choses et des gens. Autant métro-boulot-dodo, qu’une mère et son enfant, la ballade dans un champ de fleurs….

Sortir de l’étouffement de la médiatisation. Garder à proportion les évènements mondiaux qu’on veut nous imposer par rapport aux évènements de notre vie quotidienne, familiale, professionnelle. Garder en conscience l’épidémie Covid, la guerre d’Ukraine, les excès climatique, la menace Trumpienne, la fusée raciste zemourienne, le conflit Israël/Gaza, mais aussi les images somptueuses de l’univers par le télescope spatial James-Webb, les nouveaux traitements anti cancer, les récentes découvertes archéologiques, la résurrection miracle de Nadal, les Accords d’Abraham, sans laisser disparaître l’un après l’autre ces éléments, habituellement dévorés par le monstre ‘’actualité’’.

En fait, dit la jeune femme, il s’agit d’identifier cette déformation de la réalité vivante par la force d’imposition des médias, du monde politique, de la modernité galopante. Et de la combattre. En réintroduisant la réalité humaine

Ramener les choses à hauteur d’homme, dit Jonathan, tout heureux de participer, ultimement, à cette sauvegarde de la vision réelle. Bonheur vite douché par la rectification, implacable : les choses à hauteur de femme, plutôt.

 

 Il ne lui restait plus qu’à se réfugier dans la musique paisible des vers de son cher Verlaine. Paraphrasant la lamentation finale du poème, Dis, qu’à-tu fait, toi que voilà / Pleurant sans cesse, / Dis, qu’a-tu fais, toi que voilà, / De ta jeunesse ? il se demanda, intérieurement, ce qui restait de notre lucidité personnelle. De notre capacité individuelle à connaître, apprécier la vie réelle. A résister au rouleau compresseur des strates de fausse vie que les forces externes nous assènent.

Un autre de ses référents, Pierre Dac, lui apporta un début de réponse. Si la matière grise était plus rose, le monde aurait moins les idées noires.

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de meillet claude

  • MON ISRAEL

    MON ISRAEL

    Chacun de nous est une ile. Qu’il le sache ou non.

  • Eclairage ''ismique''

    Eclairage ''ismique''

    Cette fois, l’initiative était venue du terrain. Une initiative ‘’citoyenne’’, en quelque sorte.

  • Contre-courant

    Contre-courant

    Il mit un peu de temps à bien comprendre. Son vieux copain n’évoquait pas le Macintosh, cet ancêtre de l’Apple, mais…

  • LE DOGME ET LE JOURNAL

    LE DOGME ET LE JOURNAL

    La pensée dogmatique est toujours la plus absolue : Nous l’allons maintenant le porter à votre vue. Un journal…

  • RETOUR VERS LE FUTUR

    RETOUR VERS LE FUTUR

    Difficile de rester jeune, commença le vieux professeur. En parfaite contradiction avec son allure toujours alerte et…

  • ENTROPIE

    ENTROPIE

    C’est de la faute de Paul Valéry. Il n’avait qu’à ne pas écrire ‘’Nous ne sommes presque jamais’’.

  • OXYMORE

    OXYMORE

    Privilège de l’âge. Jonathan donna carte blanche à ce vieil oncle.

  • Désastres parallèles

    Désastres parallèles

    Il ne pouvait pas garder ça pour lui. Ayant bien installé ce couple confident en face de lui, engoncés dans leur…

    1 commentaire
  • Mortelle Triade

    Mortelle Triade

    Je vais te faire du Tik-Tok, lui avait annoncé sa jeune nièce, toute excitée. Le temps n’est plus, ni aux profondes…

  • Cul par-dessus tête

    Cul par-dessus tête

    ‘’Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde’’ a pu écrire Albert Camus. Jonathan était tranquille.

    1 commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets