De la nécessaire bienveillance

De la nécessaire bienveillance

La France aime les dispositifs. Nos législateurs, nos dirigeants en créent tous les jours. Nous en réclamons au premier incident venu. Nous voulons que des mesures soient prises et que des moyens soient mis en œuvre. On parlera de dispositif de prise en charge, de dispositif policier, de dispositif éducatif, de formation, de contrôle, etc. : soit une sorte de mécanique administrative où l'action collective est structurée par des procédures. Rien n'est rassurant comme un cadre juridique et comme un plan d'action. Le dispositif donne cette impression que le job est fait, que la responsabilité est assumée (à moins que ce ne soit une façon de se déresponsabiliser…).

Le dispositif donne l'impression de maîtriser le réel. Peut-on pour autant se passer de l'engagement humain motivé par des valeurs ? Par exemple, un dispositif de prévention des risques psycho-sociaux peut-il se dispenser de la bienveillance ?

Nous définirons la bienveillance comme une attention portée à l'autre et une intention, bonne, envers cet autre. Le contraire d'un "univers impitoyable", chanté dans une ancienne série télévisée. Elle n'est pas, pour autant, à confondre avec une certaine faiblesse nourrie de pitié et de scrupules. La bienveillance peut se concevoir avec l'exigence. Se montrer exigeant envers l'autre, c'est l'appeler à un dépassement de soi, de ce qu'il croit être ses limites, peut-être de sa paresse ou de sa crainte. Pour mieux comprendre, on pourra utilement relire ce passage de Vol de nuit* où Jacques Rivière reçoit dans son bureau un jeune pilote pour lui reprocher sa peur, une peur compréhensible, qui pourrait lui coûter la vie.

Quel dispositif pourrait remplacer un regard attentif, un contact imprévu devant la machine à café, une écoute empathique, en un mot, le souci de l'autre ? Aucune procédure ne fera que je prononcerai opportunément les quelques mots magiques libérateurs d'une souffrance non exprimée jusque là. Aucune obligation légale ou rédigée dans une charte de comportements éthiques ne me rendra sensible à un visage défait ou faussement enjoué, un petit matin triste, pourtant semblable à tous les autres, avec une réunion à venir et des projets en cours.

Si je suis là, présent à l'autre, dans ce moment furtif où la confidence peut se dire parce qu'un mouvement de confiance ouvre une brèche dans la solitude intérieure de mon interlocuteur, alors il se peut que soit entendue une fatigue d'être soi, un sentiment de n'être pas à la hauteur, un drame privé ou une saturation professionnelle. Alors il sera temps, éventuellement, d'en appeler au dispositif institutionnel prévu.

Aucune bonne gestion des ressources humaines ne remplacera la bienveillance que nous pouvons avoir, les uns et les autres, cadres et non cadres.

La bienveillance, cela s'enseigne-t-il ? Non, on ne transmet pas une valeur comme on transmet un savoir ou une information. Cela se partage dans une pratique effective, et comme une plante fragile qui retrouve la lumière, la bienveillance, après avoir été enfouie dans le fond de notre être par mimétisme avec un monde professionnel parfois impitoyable, peut alors devenir manifeste et faire œuvre humaine.

Loin d'une vision technocratique qui prétend régler le réel à coup de procédures, nous pensons que l'humain se règle avec l'humain.

* Vol de nuit d'Antoine de Saint-Exupéry, paru en décembre 1931 aux éditions Gallimard

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