De l'agence bancaire à l'"agence-agora"
"La banque, je t’aime, moi non plus !"
La montée en puissance des offres bancaires en ligne vient poser la question de la place de l’agence bancaire dans la relation client, voire même de son existence. Il est vrai que les clients vont au plus facile, par l’utilisation d’applications ou de sites internet, cherchant une disponibilité permanente, une instantanéité dans les interactions.
Or, une agence, c’est avant tout un pas de porte et des humains. La problématique de l’agence bancaire de demain peut se résumer à la valeur ajoutée d’un contact humain en physique, et non via des systèmes désintermédiants (chat, mail, téléphone, visio …), et plus largement sur son rôle dans la société, dans l’architecture-même de la ville. Il ne faut pas sous-estimer le rôle primordial de l’agence et de sa signalétique dans la promotion d’une marque. A titre de comparaison, des établissements sans réseau, comme des entreprises de crédit à la consommation ou les banques en ligne « pure players », sont amenés, pour pouvoir exister, à engager des budgets de communication importants, de l’ordre de 20 à 30 M€ par an, pour contrecarrer ce manque de visibilité dans le monde réel.
Les agences bancaires sont aussi de véritables entreprises pourvoyeuses d’emplois locaux, au sein de régions ou de villes de plus en plus désertées, du fait d’une centralisation accrue de l’économie française. La réduction du nombre d’agences, déjà engagée par les banques traditionnelles, au rythme des départs à la retraite ou de départs volontaires, représente un risque non négligeable de détérioration de l’image. En effet, malgré un contexte défavorable de baisse des taux, les banques restent encore très rentables. Produire quelques milliards d’euros en résultat net et supprimer des emplois serait probablement mal perçu, qui plus est, pour un métier, banquier, souvent incompris, voire détesté. On se rappelle tous de la citation d’un ancien candidat à la Présidence de la République, fustigeant les banquiers, en annonçant que « son ennemi était la finance ».
« Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi »
Dans un monde où les banques proposent des solutions « à distance », le client a de moins en moins d’occasions de venir en agence. Quand il ne trouve pas de réponse via internet, il y vient pour du conseil. Mais, combien de fois dans une vie ? Tout au plus une dizaine, entre le financement d’un projet immobilier, la préparation de la retraite, une succession ou un divorce. Ces événements ne sauraient évidemment pas « nourrir » l’ensemble des implantations d’un réseau bancaire. Aussi, il convient de déterminer la valeur ajoutée d’un point physique versus un traitement « à distance », par la question : « que m’apporterait un déplacement à l’agence ? ».
L’"agence-back-office"
Les établissements bancaires ont, depuis plus de 20 ans, procédé à la création d’usines des traitements administratifs, en déshabillant les agences, qui étaient jusqu’alors en mesure d’accompagner les clients « de bout en bout ». Ainsi, avant, il suffisait au conseiller de passer une tête dans le bureau d’« à-côté »et se renseigner où en était un dossier de montage d’un crédit et apporter, en temps réel, une réponse au client. Aujourd’hui, le conseiller n’a plus directement l’information et ne peut que jouer un rôle de passe-plat, entre le client et ce back-office centralisé. Dernièrement, le dirigeant d’une grande banque française avouait qu’ils avaient trop longtemps oublié que le métier de banquier était un métier de service après-vente, à l’inverse d’une distribution plus transactionnelle. S’engager avec une banque, c’est pouvoir compter sur ce partenaire une bonne partie de sa vie, voire toute sa vie. Réallouer des activités de service après-vente dans des agences serait une piste pour redonner du sens dans la relation client, au même titre qu’une gestion plus réactive des réclamations clientèle. Car un client qui réclame n’est pas encore parti et espère un « sursaut » de sa banque. Bien géré, le client en deviendrait même un promoteur de la marque.
L’"agence-expérientielle"
Le client souhaite s’immerger dans une expérience que l’approche à distance ne peut satisfaire pleinement. Ainsi, certaines banques outre-Atlantique ont organisé des activités adaptées aux communautés de leur zone de chalandise (promotion des commerces de quartier et produits, …). D’autres s’inspirent des bonnes pratiques des réception d’hôtels de luxe ou développent une empreinte plus ancrée via une mission éducative, en dispensant des informations, comme de célèbres enseignes de bricolage. A l’instar de marques reconnues pour leur signature relationnelle, comme Nespresso ou Apple, le client attend un accueil, un contact et une considération à la hauteur de l’effort du déplacement consenti. Sur base d’analyse cognitive du comportement client et d’outils d’aide à la relation, le conseiller pourrait adopter une attention plus personnalisée, via une compréhension « augmentée » des besoins. L’alignement de ces leviers avec le pilotage est primordial, via l’indexation des parts variables sur l’accueil réservé au client et surtout perçu. Enfin, le client cherche souvent, en agence, à obtenir une décision, induisant une plus forte autonomie d’actions du directeur, du conseiller, pouvant même aller jusqu’à la franchise. Les banques mutualistes avec des processus de décisions plus localisés et courts ont, sur ce point, un avantage indiscutable. Par ailleurs, des banques, comme ING en Belgique, ont participé à de telles approches, se confrontant à la problématique de la propriété du portefeuille client, du rapport de force entre franchiseur et franchisés, de la gestion de la relation client dans la durée.
L’"agence-servicielle" au cœur de l’économie
Au-delà de ces pistes de réflexion, déjà engagées par les banques, l’agence est aussi le reflet de la mission d’une banque, de sa raison d’être. Par définition, le banquier est un intermédiaire financier au sein de l’économie. Les nouvelles technologies, notamment APIsation des systèmes d’information, favorisent l’émergence de nouveaux modèles économiques, les agrégateurs de services. Ces entreprises ont pour objet de répondre à un moment-clé de vie du client en proposant des solutions packagées. Par exemple, au lieu de vendre un produit d’épargne à un client, qui veut économiser pour sa retraite, une banque adresserait le besoin à son origine et les peurs associées, en agrégeant des services additionnels, comme des soins à domicile ou un service de restauration. Pour x euros par mois, la banque s’engagerait sur une meilleure gestion de la potentielle dépendance future de ses clients. Les banques pourraient se le permettre, grâce à un positionnement de tiers de confiance, et remplir un rôle sociétalement parlant plus large, celui d’un intermédiaire au sein de l’économie, au sein de la société, ce que l’Etat a dû mal à assurer dans un contexte de maitrise budgétaire.
L’"agence-agora" au cœur de la cité
L’humain est un animal social qui a besoin de contacts, sources de vie. Il est dans une quête permanente d’émotion. La banque émotionnelle saura recréer les conditions de la rencontre à l’autre et du hasard, base de l’incertitude si chère à nos vies. Sans hasard de la rencontre, une vie paraitrait bien fade, insipide. Les clients, anciennes ou futures générations en quête de sens dans leur vie, seront indéniablement sensibles à un tel engagement, à des valeurs réaffirmées, pour laquelle l’agence-agora aura toute sa place, sa raison d’être, au cœur de la cité.
Innover sans le sentiment d’urgence
Que faire des agences ? Doivent-elles se résigner à disparaître, comme tous ces points de vente, relégués en périphérie des villes dans des centres commerciaux sans âme et déserter des centres-villes, pour les plus attractifs, musées, pour les autres, « mouroirs » d’une civilisation passée ? Leur devenir dépend de la vision et décision du dirigeant, qui doit aussi préserver la rentabilité actuelle de son entreprise, face aux attentes court-termistes des actionnaires. Innover, faire ce pas de côté, changer de modèle, est un pari que les banques traditionnelles auront probablement dû mal à faire, sans y être acculées face à l’urgence du syndrome du NDE (Near Death Experience), qui touche déjà des secteurs moins préservés, comme la distribution.