De l'insaisissabilité des biens publics...
La loi de finance pour 2017, pas encore votée dans son intégralité ni encore entrée en vigueur fait déjà couler de l'encre et des pixels. Les réseaux sociaux réagissent fortement à un amendement rendant insaisissables les biens appartenant à l'État en recouvrement des créances détenues par des tiers.
En d'autres termes, toute personne, particulier ou entreprise, qui disposerait d'une créance sur l'État pour quelque motif que ce soit, serait dépendante de la bonne volonté de ce dernier pour l'obtention de ce paiement. L'impossibilité d'user de voies d'exécution forcées pour obtenir le paiement des sommes qui sont dues priverait de fait toute décision de justice de toute efficacité et, osons le mot, de tout intérêt concret.
Avec force cynisme, l'on pourrait y voir une manière de désengorger les tribunaux à moindre coût pour les finances publiques. Plus sérieusement, quand bien même il s'agirait d'une manière d'écrire une pratique courante, il s'agit d'une disposition qui porte atteinte à l'État de droit de manière grave.
En effet, si les décisions de justice ne peuvent être exécutée, il n'existe plus de respect garanti de la règle de droit. C'est une première encoche dans le totem de l'État de droit, et pas la moindre. Si par ailleurs, cela devait permettre à l'État, acteur important de la vie économique de se dispenser de toute paiement malgré toutes les preuves du sérieux et de la réalité juridique d'une dette, alors il y aurait une autre encoche dans le dit totem. S'il est légitime que l'État ne soit pas soumis aux mêmes règles en matière de commande ou de prérogatives que les acteurs privés, il le serait beaucoup moins d'ouvrir une telle autoroute vers l'arbitraire dans les paiements.
De même, ce serait un message terrible en matière de gouvernance. En effet, si le client public ou si l'autorité publique n'est pas redevable des conséquences de ses actes et commandes, c'est la porte ouverte à des "investissements" démagogiques ou populistes (avec tout le sens péjoratif qui peut parfois être attribué à ce dernier terme). De fait, et cela s'appliquerait de la même manière à tout un chacun, si nul ne peut être forcé de payer ce qu'il consomme, pourquoi se limiter et ne pas distribuer force avantages ou travaux sans jamais engager la moindre dépense ? Cela pourrait paraître présenter, dans une version extrême, un avantage pour la collectivité publique et l'intérêt général (en réduisant de manière très cynique le poids financier des investissements). Mais, de manière indirecte, ce serait la fin des marchés publics et de toutes les procédures dans lesquelles l'État pourrait se voir imposer une action contre son gré (par exemple le paiement d'une commande ou d'une indemnité d'expropriation). Les conséquences sur les personnes concernées seraient économiquement dramatiques s'agissant de marchés publics. Elles seraient également inconstitutionnelles en permettant de porter atteinte à la propriété privée sans la moindre contrepartie.
A l'heure où, depuis quelques années déjà, l'administration fiscale essaye d'instaurer la confiance avec les contribuables, où les investissement directs étrangers atteignent des sommets et placent le Maroc au sommet de la hiérarchie continentale, où le classement Doing Business sur le climat des affaires est vu comme un indicateur stratégique (si l'on en croit les commentaires qui l'accueillent chaque année), un tel amendement est une faute politique, économique, financière et de gouvernance. Pour ne pas dire pire. Il peut être compréhensible que cette démarche ait pour but de protéger les finances publiques. Mais le prix à payer peut apparaître tel qu'il semble que la maîtrise des finances publiques devrait passer par des voies bien différentes.